Mohammed VI et Paul Kagame, le président rwandais, sont les architectes d’une nouvelle coopération entre les deux pays respectifs, signant ainsi une reconfiguration des relations du Royaume avec l’Afrique de l’Est. Désormais président en exercice de l’UA, Paul Kagame saura-t-il transposer cette nouvelle alliance au niveau de l’organisation panafricaine ? Sera-t-il l’allié de notre intégrité territoriale ?
A la veille jours de la tenue de la 30e Session ordinaire de la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement de l'UA (28 et 29 janvier), présidée cette année par Paul Kagame, tous les yeux sont rivés sur la capitale éthiopienne, Addis-Abeba.
En effet, plusieurs sujets brûlants y seront débattus, notamment la réforme de l’organisation panafricaine, projet mené justement par le président rwandais.
Avec Mohammed VI, les deux leaders partagent la même vision de paix et de réforme dans le continent, puisque le Roi dans son discours adressé au précédent Sommet avait également appelé à une Afrique «concrète» et «pragmatique», pour dire que les chefs d’Etat sont sur la même longueur d’onde.
Mieux encore, en 2016, Mohammed VI et Paul Kagame ont signé une nouvelle page de coopération politique et économique entre leurs deux pays respectifs avec la conclusion de 23 conventions.
«Paul Kagame est un véritable homme de paix doublé d’un politique pragmatique. Il a en effet réussi à sortir son pays de la guerre civile en conciliant les Tutsis et les Hutus. Il partage également la vision pragmatique de développement et de croissance de Mohammed VI. Le Rwanda enregistre actuellement un taux de croissance autour de 6%. D’ailleurs, les deux chefs d’Etat ont témoigné leur estime réciproque à plusieurs reprises et ont concrétisé leur rapprochement avec la signature de 23 conventions de partenariat. L’excellence des rapports entre les deux pays ne fait aucun doute», explique Mohamed Bouden, expert politique.
Il rappelle d’ailleurs que lors de sa visite au Maroc, Paul Kagame a été décoré du «Ouissam Al Mohammadi de classe exceptionnelle», la plus haute distinction du Royaume.
On se rappelle encore en janvier 2017, l’entretien en tête-à-tête du Roi Mohammed VI avec le président rwandais, et d’autres chefs d’Etat, à la veille d’une réunion cruciale de l’Union Africaine sur le retour du Maroc au sein de sa famille institutionnelle.
«Les deux chefs d’Etat sont animés par la même fibre réformatrice et de croissance de leurs pays, ce qui opère un rapprochement des points de vue y compris sur le dossier aussi complexe du Sahara. Je pense que Paul Kagame a assimilé la vision de Mohammed VI à ce sujet», analyse Mohamed Bouden.
D’ailleurs, le Maroc a opéré une reconfiguration de ses relations avec les autres pays de l’Afrique de l’Est, comme la Tanzanie, jadis chasse gardée des adversaires de l’intégrité territoriale du Royaume.
Ces pays inscrits dans une idéologie de gauche ont désormais des positions plus nuancées que par le passé, et ce en grande partie grâce à la vision royale du partenariat Sud-Sud, concrétisée par une cinquantaine de visites effectuées dans 26 pays africains de 1999 à octobre 2017 (selon l’Institut royal des études stratégiques).
«L’un des acquis majeurs en Afrique est que beaucoup de chefs d’Etats qui avaient une position hostile au Maroc sont devenus plus neutres sur la question. Pour preuve, en 2017, la question du Sahara n’a figuré sur aucun discours officiel. C’est une avancée cruciale pour le Maroc qu’il faut souligner», poursuit Mohamed Bouden. ■
Kagame, Köhler et le Sahara
Paul Kagame a également reçu en ce début d’année l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, Horst Köhler.
Ce qui pose la question de l’enjeu de cette présidence de l’Union africaine pour le dossier du Sahara, les Nations unies ayant lancé un appel au Président rwandais afin qu’il puisse aider à résoudre ce conflit vieux de plus de 40 ans. Sachant que le Rwanda n’a à ce jour pas retiré sa reconnaissance de la RASD.
L’expert politique exclut d’emblée l’hypothèse de voir ce dossier passer de la houlette des Nations unies à celle de l’Union africaine, rappelant le discours du Roi du 6 novembre 2017 : «L’organe onusien (le Conseil de sécurité) étant, de fait, la seule instance internationale chargée de superviser le processus de règlement».
«Köhler est en train de collecter des données, intrigué par un verrou qui a sauté avec l’intégration du Maroc au sein de l’UA aux côtés de son adversaire, chose impensable il y a quelques années. Ce qui à mon sens pose un nouveau scénario de résolution de ce conflit passant par le dialogue, que Köhler annoncera probablement en avril prochain», note Bouden.
Pour l’expert politique, certaines institutions de l’UA manquent de l’objectivité et de la neutralité requises pour statuer sur pareil sujet, allusion faite à l’Algérien Ismaïl Charki, président du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, qui a rencontré Köhler à deux reprises. Charki veut convaincre son interlocuteur d’intégrer l’UA dans le cadre d’un processus pour trouver une solution à ce dossier.
I. Bouhrara