Un nouvel élan : une deuxième génération de réformes

Un nouvel élan : une deuxième génération de réformes

Dans une bonne quinzaine de jours, ce sera le 23ème anniversaire de l'intronisation de SM le Roi Mohammed VI. Le discours du Trône traditionnel en cette circonstance sera certainement une référence à retenir. Pas le bilan par secteurs, sans doute, mais une lecture et une appréhension de l'état des lieux. En même temps, des axes d'une vision devant décliner les politiques publiques, galvaniser les énergies existantes et les mobiliser dans le cadre d'un nouvel élan. 

Oui, il faut bien parler d'un nouvel élan ! Continuer pour continuer ? Ce n'est plus tellement tenable : tant s'en faut. Le discours officiel est ainsi appelé à être revu et corrigé. Est-il en effet tellement audible ? A part quelques ministres qui ont pris en main leurs dossiers et qui s'insèrent activement dans le couloir des réformes, d'autres ne se distinguent pas vraiment par un savoir-faire ni par un faire-savoir. Question de parcours personnels et de cursus; difficulté aussi à prendre le pouls des citoyens, les pulsions d'insatisfaction de la société et plus globalement le mécontentement qui sourd dans les profondeurs et qui nourrit une dynamique contestataire en marche, même si elle est brouillonne et échevelée.

 

Optimisme et autosatisfaction

Le gouvernement Akhannouch ignore-t-il cette situation ? Peut-être pas, même si son discours persiste dans l'optimisme et l'autosatisfaction. Par moments, il se défausse carrément en incriminant le bilan et le passif du précédent cabinet dirigé par le responsable du PJD, Saâd Eddine El Othmani, et même celui de Abdelilah Benkirane (2012- 2017). Réducteur : est-ce efficace ? Personne ne peut le croire sérieusement. Le 8 septembre dernier, les électeurs ont voté pour le «changement» attendu et annoncé par le président du RNI, Aziz Akhannouch, et ses deux alliés, le PAM de Abdellatif Ouahbi et le PI de Nizar Baraka. C'était certainement injuste - et même indécent- de s'en prendre à ce nouvel exécutif, investi à la mi-octobre dernier, dès les premières semaines. Pas davantage, l'agenda médiatique des «Cents jours» n'était à retenir. Mais tel n'est plus le cas, en ce milieu d'année, à la fin du premier semestre. Pourquoi ? Parce que les ministres sont davantage en responsabilité; parce que, par ailleurs, ils sont tenus désormais, dans les toutes prochaines semaines en tout cas, de préparer et d'affiner leurs projets de budgets respectifs pour 2023. Mais encore faut-il que le chef du gouvernement leur adresse une note d'orientation sur les axes, et surtout les priorités de la Loi de Finances de l'année prochaine. Où en est-on à ce sujet ? Un élément d'interrogation persistant : il préoccupe les citoyens, mais aussi les opérateurs économiques. La CGEM a soumis voici un mois ses propositions ainsi que les centrales syndicales d'ailleurs.

 

La barque est lourde, chargée même...

Du côté du cabinet, force est de faire ce constat : il n'a pas été aidé par la conjoncture. Nommé en pleine pandémie COVID-19, voici neuf mois, il a fort à faire. Le projet de Loi de Finances 2022 - déjà finalisé par le précédent cabinet El Othmani - n'a été corrigé que de manière bien partielle; la Loi organique des Finances lui imposait en effet le délai du 20 octobre au plus tard. L'impact de la crise sanitaire sociale et économique se poursuivait et les premières mesures de déconfinement n'ont été prises qu'au début du printemps 2022. Les aides apportées à différents secteurs (tourisme, transporteurs) grevaient les ressources du Trésor; le début d'application de la protection sociale a également pesé dans ce sens. Il faut y ajouter une très mauvaise campagne agricole de 33 millions de quintaux de céréales. De quoi faire chuter les prévisions de croissance à 1,1% en 2022, contre 7,4% l’année dernière. Il s'agit là des effets conjugués de la sécheresse et de la guerre en Ukraine. Les espoirs d'une reprise post-pandémie sont remis en cause, d'autant plus que l'inflation s'accroit avec 6% dans les pays avancés, 8% en Europe et plus dans les pays émergents. Le Maroc, lui, retient un taux de 5,7%, mais c'est une moyenne pondérée calculée sur un panier de 400 produits; ceux d'usage ou de consommation courante - dépenses contraintes - ne sont qu'une bonne vingtaine au plus (alimentation, logement, prix des hydrocarbures,...). 

Depuis le 1er janvier, le budget dédié à la Caisse de compensation a explosé. Il avait retenu 16 milliards de DH, mais de nouvelles prévisions sont désormais requises, comme l’a annoncé Fouzi Lekjaa, le 9 juin dernier, à l'issue d'un Conseil de gouvernement. Il a précisé à cet égard qu'il faudra quelque 17 milliards de DH additionnels, répartis comme suit : 9,8 Mds de DH pour le gaz, 6 pour le blé et 1,2 pour le sucre. Si bien que le déficit budgétaire sera au moins de 6,3% selon les chiffres prévisionnels du 30 juin 2022. Assurément, la barque est lourde - très chargée même. Alors ? Tenir bon et gérer ne suffit pas. L'on répète à l'envi que la crise doit être aussi une opportunité pour faire des réformes. Or, il faut bien relever que l'on n'a pas pour l'heure beaucoup de visibilité ni pour 2023 - on verra bien cependant avec le projet de Loi de Finances en préparation -, encore moins pour les années suivantes.

 

Ni séquences ni priorités

Est-on plus éclairé sur l'agenda de ce cabinet pour les années à venir ? Pas le moins du monde ! L'on a déjà signalé dans cette même publication, voici près de deux mois, que l'on n'avait pas connaissance d'un calendrier politique et législatif décliné jusqu'à la fin de la présente mandature en 2026. Il ne s'agit pas de détails ni de mesures ponctuelles, mais d'autre chose : des séquences et des priorités hiérarchisées. Le programme de ce gouvernement a fait état globalement d'annonces; la seule forte indication a trait à la protection sociale avec des étapes d'ici là, sauf à préciser que c'est… un chantier royal. Mais pour le reste, qu'en est-il ? Pratiquement, seuls les départements de l’Education et de l’Industrie - dirigés  respectivement par Chakib Benmoussa  et Ryad Mezzour - témoignent d'un volontarisme réformateur, à marche forcée, dans le cadre d'une stratégie d'avenir. Il y a aussi le ministère de la Jeunesse, de la Communication et de la Culture, dirigé par un Mohamed Mehdi Bensaid qui travaille et a des idées pour l'avenir.

D'autres grands secteurs ne semblent pas être mus par une dynamique de même nature. Que fait-on pour l'entrepreneuriat et la transformation productive, la compétitivité et l'attractivité, l'économie sociale ? Ou encore pour des territoires dits résilients, comme lieux d'ancrage du développement, avec cette régionalisation à la peine et une déconcentration tout aussi à la traine ? Sans parler de la profonde réforme de l'Etat et de l'Administration ou du financement des programmes et de la nécessaire réforme fiscale. Même constat pour ce qui est des chantiers d'un autre référentiel de développement, à savoir une nouvelle doctrine organisationnelle. La bonne gouvernance, l'approfondissement et la consolidation des libertés couplée à l'Etat de droit et à la justice : autant de chapitres à l'ordre du jour et encore en instance. Enfin, il faut évoquer toutes les opportunités d'inclusion pour tous de nature à renforcer le lien social, notamment en direction de la jeunesse et de l'égalité femmes-hommes : des réformes participant toutes d'un projet politique d'avenir tourné vers des mutations sociétales. Un nouvel élan. Une deuxième génération de réformes : ce qui requiert que celle-ci puisse être portée et, si possible, incarnée par le chef de l'exécutif. Le veut-il ? Le peut-il ? En tout état de cause, la gestion à court terme telle qu'elle est aujourd'hui, même si elle revêt une parure «technocratique», voire cosmétique même, ne peut faire l'économie du primat de la politique; elle seule peut en effet  nourrir  durablement l'adhésion populaire, à tout le moins son soutien...

 

 

Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit, politologue

 

 

 

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