Victorieuse mais affaiblie par un score électoral décevant, Angela Merkel s'attelle lundi à la tâche difficile de former une nouvelle majorité en Allemagne dans un paysage politique éclaté, alors que la droite nationaliste a commencé à se déchirer au lendemain même de son succès historique.
L'état-major du parti conservateur CDU de la chancelière s'est réuni dans la matinée pour tirer les premières leçons d'un scrutin législatif où le mouvement n'a recueilli que 33% des voix, son plus mauvais score depuis 1949, selon les résultats définitifs publiés lundi matin.
«Une victoire cauchemardesque», résume le quotidien Bild.
La quatrième victoire consécutive de la chancelière, au pouvoir depuis 2005, a un goût amer pour elle. Et les premiers signes de contestation sont apparus du côté de ses alliés conservateurs bavarois de la CSU, qui militent depuis deux ans pour que Merkel entame un virage à droite.
Car une partie de l'électorat conservateur, un million de personnes selon les sondages, a rejoint l'AfD (Alternative pour l'Allemagne). Ce mouvement de droite populiste a fait du rejet de l'accueil massif des migrants décidé par la chancelière en 2015 son grand cheval de bataille.
«Nous avons délaissé notre flanc droit et il nous appartient à présent de combler le vide avec des positions tranchées», a lâché le chef de la CSU, Horst Seehofer.
«La consternation règne dans les rangs conservateurs et la principale responsable est toute désignée», estime lundi le quotidien de centre gauche Süddeutsche Zeitung.
L'AfD a raflé 12,6% des suffrages après une campagne prenant pour modèle le président américain Donald Trump et les partisans de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Ce succès a été obtenu au prix d'une radicalisation du discours du mouvement, avec des propos révisionnistes sur le nazisme, des attaques très dures contre Angela Merkel, les musulmans et les étrangers. Un durcissement qui a rallumé les divisions internes d'un parti disparate.
Une des dirigeantes du parti, qui fut jusqu'en début d'année sa figure de proue, Frauke Petry, a créé la surprise en annonçant lundi qu'elle refusait de siéger au sein du groupe parlementaire de l'AfD à la chambre des députés.
Elle s'en est pris notamment à l'un des deux chefs de file de la campagne du parti, Alexander Gauland, qui a annoncé juste après les élections que l'AfD, forte de son succès, allait mener «la chasse» à Angela Merkel. Il a aussi récemment créé la polémique en appelant à être fier des performances des soldats allemands durant la Deuxième guerre mondiale.
L'entrée d'un tel parti dans la chambre des députés est un vrai choc pour de nombreux Allemands, l'identité d'après-guerre reposant justement sur la lutte contre les extrêmes, la quête du compromis et la repentance pour les crimes du IIIe Reich.
Les problèmes pour Merkel ne s'arrêtent pas là: sa victoire étriquée limite fortement sa capacité à forger une coalition majoritaire au Parlement. Et les sociaux-démocrates, ses partenaires jusqu'ici, ont annoncé qu'ils rejoignaient les bancs de l'opposition après un score historiquement bas.
Il ne lui reste sur le papier qu'une solution: une alliance inédite au niveau national réunissant son parti conservateur, les Libéraux du FDP, qui reviennent au Bundestag avec 10,7%, et les Verts, qui ont atteint 8,9%.
Cette coalition, dite «Jamaïque» - référence aux couleurs noir-jaune-vert des trois partis - n'existe actuellement qu'au niveau régional, dans le petit Etat nordique du Schleswig-Holstein. Et seulement depuis le printemps.
Problème, ces deux derniers partis s'opposent sur bien des dossiers clés comme l'immigration, l'avenir du diesel et la sortie du charbon. Ils ont aussi chacun des désaccords de fond avec les conservateurs.
Le chef des libéraux, Christian Lindner, a lui déjà fixé une condition pour entrer au gouvernement: le rejet des idées de réforme de la zone euro portées par le président français Emmanuel Macron. Un budget commun est ainsi «une ligne rouge», car Berlin ne doit pas se retrouver à payer les dérapages financiers des autres.
Les négociations pourraient donc prendre des mois. Depuis les premières élections d'après-guerre en 1949, le parti vainqueur a toujours réussi à former une majorité. Et la chancelière a exclu un gouvernement minoritaire s'appuyant sur des majorités changeantes.
Ce n'est qu'après l'officialisation d'une nouvelle coalition que Merkel pourra formellement être désignée chancelière une quatrième fois. Autrement, de nouvelles élections pourraient être convoquées.
AFP