Le récent bal diplomatique autour de l’Ukraine, autant que la démonstration de force de Moscou ont fini probablement par porter leurs fruits. Une désescalade semble avoir été enclenchée à travers un retour progressif des troupes russes dans leurs casernes, et la guerre n’a pris au final qu’une forme rhétorique et communicationnelle.
Non, l’Ukraine n’adhèrera pas à l’OTAN. La Russie garantit son accès aux mers chaudes à travers la mer noire et les Occidentaux évitent une guerre qui, plus que tout, révèlera le déclin de plus en plus prononcé de leur hégémonie. Mais bien que la souveraineté ukrainienne semble avoir été la principale victime des rapports de force entre Washington et Moscou en étant sacrifiée sur l’autel de la paix régionale et mondiale, d’autres victimes collatérales semblent devoir être déplorées. Je pense en l’occurrence aux 8.000 étudiants et étudiantes marocains, invités par le ministère marocain des Affaires étrangères le 11 février dernier, par la voie de l’Ambassade du Maroc à Kiev, à quitter le territoire ukrainien, mais avec leurs propres deniers, ou plutôt ceux de leurs parents.
Si l’inquiétude exprimée par la diplomatie marocaine vis-à-vis de la situation des citoyens marocains en Ukraine face au risque d’une guerre est somme toute louable, elle ne manque cependant pas de soulever un certain nombre de questions, quant à sa pertinence et sa crédibilité. Premièrement, ce souci du bien-être des citoyens marocains et de leur dignité aurait été le bienvenu quand des milliers de Marocains se sont retrouvés piégés à l’étranger, suite à la décision brutale de fermer les frontières le 28 novembre de l’année dernière. Sans aucune visibilité quant à une date d’ouverture des frontières, ces Marocains, dont l’éventuelle menace aurait pu être évacuée par un simple test PCR et une éventuelle quarantaine d’une semaine, se sont retrouvés littéralement livrés à eux-mêmes.
Deuxièmement, se pose la question de la pertinence de la décision. Car c’est bien Washington qui a donné le «la» à ces vagues de rapatriements, puisque plusieurs pays occidentaux, j’ai envie de dire dont le Maroc sur un plan géopolitique, ont emboité le pas aux Américains, en demandant à leur tour à leurs citoyens de quitter le territoire ukrainien. Cependant, si le récent rapprochement stratégique entre les Etats-Unis et le Maroc se doit d’être fondé sur un schéma minimal de confiance, il ne doit aucunement prendre la forme d’un chèque en blanc. Car tout ce que dit Washington n’est pas vrai, et tout ce qui est vrai n’est pas forcément dit par Washington. Puisque tout géopoliticien un tant soit peu sérieux ne pouvait ignorer que la rhétorique américaine autant que la démonstration de force de Moscou, ne pouvaient aucunement aboutir à un conflit généralisé sur tout le territoire ukrainien. Premièrement, parce qu’il est inconcevable, du point de vue de l’état-major russe, de mener des bombardements sur des villes russophones et en partie russophiles comme Kharkiv où réside la partie la plus importante des étudiants marocains. Deuxièmement, l’unique raison qui aurait pu amener l’armée russe à intervenir, aurait été d’empêcher une tentative de guerre éclair menée par l’armée ukrainienne pour reconquérir la région du Donbass qui se situe à l’extrême Est du pays. Rappelons à ce propos que la superficie totale des deux républiques indépendantistes de Donetsk et de Lougansk n’est que de 16.230 km², soit à peine 2,6% du territoire ukrainien.
De même, puisqu’on parle de guerre, est-il utile de rappeler à la diplomatie marocaine qu’une guerre est en cours dans la région depuis 2014, avec plus de 13.000 morts et un million et demi de civils déplacés sans que cela ne touche ni de près ni de loin la sécurité des Marocains résidant en Ukraine ?
Enfin, parce que la diplomatie russe n’a eu de cesse de crier depuis plusieurs semaines, à qui veut l’entendre, que la Russie ne compte pas envahir l’Ukraine. En bon joueurs d’échecs, les Russes savent que la menace est plus forte que l’exécution.
Troisièmement, la dimension logistique. Car puisque la recommandation de quitter le territoire émane directement de l’Ambassade du Maroc à Kiev au nom de la sécurité des Marocains, cela ne doit pas se faire à «travers les vols commerciaux disponibles» dont les prix sont exorbitants. Les rapatriements devaient être pris en charge par l’Etat marocain si la menace d’une guerre était réellement sérieuse et imminente. Car, en plus de créer la psychose dans l’esprit des parents, cette initiative risque de pénaliser bon nombre d’étudiants marocains à qui certaines universités ukrainiennes n’ont pas offert la possibilité de suivre les cours à distance. Pire, certaines universités ukrainiennes ont menacé d’annuler l’inscription des étudiants marocains qui feront le choix de partir, de ne pas repousser la date des examens et de ne pas rembourser les frais de scolarité déjà engagés par les parents. Notre ambassade à Kiev ainsi que le ministère marocain de l’Enseignement supérieur ont-ils contacté leurs homologues ukrainiens pour trouver un compromis ? Face au mutisme de notre gouvernement, on ne peut que dire : «Seul Dieu sait».
Malheureusement, à nouveau, notre gouvernement, dans la continuité de celui qui l’a précédé, démontre son amateurisme communicationnel, sa précipitation dans les prises de décisions majeures, et son manque d’autonomie intellectuelle quant à l’évaluation des risques géopolitiques.
Jusqu’à quand ?
Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Arkhé Consulting