Si l’on se tient au bilan du gouvernement sortant, tous les partis de la majorité auraient dû être sanctionnés.
Finalement, la croyance l’a emporté sur le rationnel, puisque c’est un vote idéologique qui a porté le PJD à la tête de cette course électorale. Sur un autre registre, un mea-culpa de la gauche s’impose pour ressusciter ce courant politique de ses cendres.
On n’en revient pas encore dans les rangs de la gauche, mais également dans les milieux académiques ! Parti sur un bilan plutôt mitigé, le PJD n’a pourtant pas été sanctionné par les urnes comme le dicterait toute logique. Hormis le bilan, mêmes les programmes électoraux n’ont pas été tenus en ligne de compte durant ces législatives.
C’est d’ailleurs l’avis partagé par les intervenants ayant pris part à la conférence-débat organisée à Rabat par le Centre de recherche et d’études en sciences sociales, la Revue marocaine des sciences politiques et sociales, le Laboratoire sur la régulation politique et juridique, en partenariat avec la Fondation Hanns Seidel.
Pour le Professeur Mohamed Said Saadi, «ces législatives ont été un véritable séisme de la scène politique marocaine, marquées par un bras de fer entre l’Etat et l’Islam politique, non pas sur la nature du pouvoir, encore moins sur le plan économique, mais concernant la légitimité religieuse».
L’hégémonie de deux partis n’a pas non plus servi la démocratie, car durant ce scrutin, il a été noté plusieurs éléments qui dévoilent une dégradation des élections comme exercice démocratique exprimant la voix du peuple. En effet, poursuit l’ancien ministre, il a été noté un recours massif à l’argent, puisque le prix de la voix s’est négocié à 500 DH !
«Les partis ont coopté des hommes d’affaires, ce qui s’est répercuté sur la composition du Parlement avec un tiers de commerçants, avec tout ce que cela aura comme impact sur les orientations et choix économiques futurs», relève l’ancien membre du bureau politique du PPS.
Dans cette course effrénée aux voix, il a été usé de tout : la religion, les réseaux de travail social sur le terrain, les communes et, surtout, le recours aux énergumènes politiques uniquement motivés par leurs propres intérêts. «C’est à se demander, mais où sont passés les militants ? Une fois encore, la démocratie interne des partis n’a pas été activée dans le choix des candidats, ce qui s’est traduit par des luttes intestines, des scissions et des alliances contre nature !», déplore Said Saadi. Comme expliqué, l’affrontement entre les différentes formations politiques ne s’est pas fait sur les idées, ni sur les programmes, ce qui n’augure aucun changement pour les cinq prochaines années : aucune solution fiable de la problématique économique du pays et la poursuite d’une politique d’austérité.
La gauche, grand perdant
Si les législatives de 2016 ont été marquées par le recul fulgurant de grands partis comme l’Istiqlal, elles n’ont fait que confirmer le désamour pour la gauche, plus particulièrement l’USFP qui récolte l’un des pires scores de son histoire. Un avis que partage également l’économiste Najib Akesbi qui dresse un bilan très négatif du gouvernement sortant : «de quelles réformes se targue-t-on ? Celle de la compensation ? Il s’agit d’une bombe à retardement. Idem pour le secteur pétrolier qui n’a pas été réformé, mais libéralisé sans régulation : pour preuve, vous payez à la pompe deux fois plus cher le prix du fuel», plante-t-il le décor. Et d’ajouter : «Depuis la Constitution de 2011, on avait installé l’idée que grâce à ce texte, la responsabilité est désormais liée à la reddition des comptes et que les résultats du vote seraient en conséquence».
A ce rythme-là, et si l’électorat s’en était tenu au bilan, les partis de la majorité sortante auraient dû subir un vote sanction. Or, il n’en a rien été !
L’une des premières conclusions de cet état de fait dressé par Najib Akesbi est le vote idéologique, qui a permis la victoire du PJD. «On a pratiquement installé la chronique d’une victoire annoncée du PJD depuis 2015, et c’est finalement l’idéologie qui l’a emporté plutôt que la sanction rationnelle des politiques menées par le gouvernement… On est dans le domaine de l’incantation», souligne le professeur de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II. La question qui se pose dès lors est quel risque émane de cette situation ?
«Une suffisance et une arrogance qui paralysent. Autrement, pourquoi prendre des risques de réformes compliquées au prix de problèmes avec le régime», explique N. Akesbi. Autre risque souligné, voire décrié, est une surenchère idéologique qui déteint sur les libertés individuelles, ce qui nous éloignerait davantage du régime démocratique où toutes les différences ont voix au chapitre. Bien évidemment, les législatives sont également un moment propice pour se remettre en cause. C'est le cas de la gauche, qui a essuyé un terrible revers, si l’on exclut la Fédération de la gauche démocratique (FGD) qui demeure néanmoins une expérience embryonnaire. «C’est une descente en enfer de la gauche enclenchée depuis 20 ans. L’histoire a tranché pour l’USFP. Et ce qui reste de la gauche est loin du compte. Cette chape de plomb idéologique laissera-t-elle espérer quelque chose pour la gauche dans les cinq et dix ans à venir ?», se demande Najib Akesbi.
Piégée par le camp adverse à coup de calculs électoraux, la gauche s’est censurée. «On n’osait plus parler des tabous pour ne pas gêner les «nouveaux» amis. Il nous faut retrouver nos valeurs et le chemin sera très long», conclut Akesbi. C’est sans compter sur la possible entrée de l’USFP dans la majorité en mettant la main dans celle du PJD, idéologiquement à l’opposé. Ce qui ne manquera pas de décrédibiliser davantage le parti de la rose.
I. Bouhrara
Quid de l'avenir ?
Abdelmoughit Benmessaoud Trédano, Professeur de sciences politiques et de géopolitiques à l’Université Mohammed V à Rabat, et Directeur de la Revue marocaine des sciences politiques et sociales, tire pour sa part la sonnette d’alarme sur le fait que le système actuel a réellement atteint ses limites et que sa réforme est conditionnée par une volonté de changement réel. Pour lui, une piste sérieuse se dégage bien qu’idéaliste pour configurer le champ politique. «En effet, on a pu remarquer, surtout depuis 2002, un stock électoral variant entre 11 et 19 millions -entre non-inscrits et abstentionnistes- qui est potentiellement mobilisable et qui peut changer la donne. Avec des signaux forts, ces citoyens «en jachère» peuvent retrouver le chemin des urnes, pourvu que l’offre politique soit attractive», prônet-il. Une option qui ne saurait aboutir sans un développement global et un système éducatif fort et performant. Cela, sans oublier que les tractations, parfois contre nature, en cours pour la constitution d’une majorité qui gouvernera jusqu’en 2021, dégoûtent davantage l’action politique, puisqu’au final, la voix des urnes devient muette dans les arcanes de la politique à la marocaine.