Finances News Hebdo : La visite royale au Moyen-Orient intervient dans un contexte assez particulier. Quel commentaire en faites-vous ?
Cherkaoui Roudani : Il est important de rappeler les relations stratégiques du Royaume du Maroc avec les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Il y a un pacte stratégique, qui en train de prendre une forme institutionnelle plus solide. Ce sont des relations séculaires et stratégiques aussi bien au niveau bilatéral que multilatéral.
Les relations qu’entretient le Maroc avec les pays du CCG, notamment les Emirats Arabes Unis et le Qatar sont, le moins qu’on puisse dire, exemplaires. Il y a une confiance et une convergence sur un ensemble de questions de dimension internationale. Outre la solidarité avec ces deux pays, les pays du Golfe, d’une manière générale, apportent un soutien matériel et moral dans les réalisations des projets marocains de développement ainsi que leur soutien infaillible à l’intégrité territoriale du Royaume.
Dans ce sens, il est judicieux de mettre l’accent sur le Sommet historique Maroc-pays du CCG de 2016, dans lequel Sa Majesté le Roi a prononcé un discours de forte clarté, en mettant le curseur sur les défis et les enjeux auxquels font face le Maroc et les monarchies du Golfe, notamment sur le plan sécuritaire. Dans ce discours, SM le Roi n’a pas hésité à rappeler le danger qu’encourt la région du Proche-Orient, en décortiquant les risques de division et de discorde, ainsi que les retombées dangereuses d’un éventuel désordre qui n’épargnerait aucun pays dans la région, ni le monde entier.
De fait, les événements qui secouent actuellement la région ainsi que les dislocations existantes inter-pays ont confirmé la véracité et la précision des visions exprimées dans le discours royal de Ryad.
C’est un message visionnaire et une lecture pragmatique dans le temps et dans l’espace, qui montre une clairvoyance royale tangible et irrécusable.
F.N.H. : Force est de reconnaître que la visite intervient dans un climat de tension… exacerbé par les récents évènements.
Ch. R. : Nul ne peut nier le fait que la visite de Sa Majesté s’effectue dans une région en pleine sismicité politique. D’une part, les tensions entre le Qatar et les trois pays du Golfe (Émirats Arabes Unis, Arabie Saoudite, et Bahreïn) et l'Egypte ont atteint un point culminant. Malgré les intermédiations de plusieurs pays, à l’image du Koweït et la France, aucune vision sur une sortie de crise n’est apparue.
De plus, la crise que connait la région et la sous-région est amplifiée par l’intensification des conflits au Yémen, en Irak et en Syrie. Cette situation de crise dépend en grande partie du dépassement de ce qu’on peut appeler «entente stratégique», ravivée par un programme nucléaire iranien et une ingérence dans l’échiquier politique et militaire de plusieurs pays sunnites. La présence grandissante de l’Iran, dans une région géopolitiquement sensible, risque de créer un désordre sans précédent dans plusieurs pays.
C’est le cas au Yémen où les Houthis, principaux alliés des Iraniens, et qui leur servent de tête de pont, ont tiré un missile balistique depuis le sol yéménite qui a été intercepté le 4 novembre au nord-est de la capitale Ryad.
Dans le même sens, la situation au Liban, pays aux équilibres communautaires fragiles, est explosive. La mainmise politique et sécuritaire du mouvement chiite Hezbollah, carte maîtresse de l’Iran, sur ce pays, est un instrument pour l’expansion de l’influence stratégique régionale iranienne dans toute la région. D’ailleurs, les milices militaires chiites du Hachd Chaabi en Irak, qui sont appuyées par l’Iran et le Hezbollah, pourront plonger et la Syrie et l’Irak dans un ethnocide dont les répercussions dépasseront les deux pays.
A la lumière des rapports de forces militaires établis post-libération de la ville de Mossoul, il est difficile de prévoir après la chute de Daech un retour du fameux «triangle sunnite» dans le giron irakien. Outre la présence dans la région des groupes terroristes, qui ne facilitent pas une issue vers une stabilité et une sécurité même provisoire, la fragmentation spatiale, la porosité des frontières et la prolifération de la logique belliqueuse, compliquent toute éventuelle perception stratégique d’une reconstruction westphalienne de la Syrie et de l’Irak.
Il semble que sans la résolution de plusieurs équations géopolitiques et géosécuritaires, avec une perception géostratégique d’une architecture de système de défense et de sécurité collective des pays du Golfe, l’ethnocide planifié peut mener aux chaos total.
De la Libye à l’Irak en passant par la Syrie, il est très difficile de faire des prévisions optimistes tant l’impulsion donnée par les «printemps arabes» semble s’orienter vers tout autre chose que la paix et la stabilité. C’est dans ce cas que le monde arabe et musulman est dans l’obligation de repenser sa stratégie d’alliance.
F.N.H. : Faut-il y voir une intervention royale pour essayer d’apaiser les différentes parties ?
Ch. R. : La visite de Sa Majesté le Roi, présage une médiation de sa part afin d’apaiser les tensions, et que le CCG retrouve sa place en tant qu’acteur incontournable dans la paix et la stabilité dans la région et dans le monde.
Cette visite Royale renforcera le pacte stratégique scellé avec les pays du CCG et insufflera une dynamique relationnelle du Maroc avec l’ensemble des pays du Conseil.
F.N.H. : Quid du rôle de médiateur du Maroc dans l’apaisement de la crise entre l’Arabie Saoudite et le Qatar ?
Ch. R. : Depuis le déclenchement de la crise entre ces pays du CCG, le Maroc n’a cessé d’œuvrer pour rapprocher et apaiser les tensions entre les pays frères. Le diagnostic visionnaire exprimé lors du discours du Sommet de Ryad en 2016 a renforcé la place du Maroc en tant que pays défenseur et stabilisateur dans une région en proie aux dislocations.
Les faits et les développements post-déclenchement de cette crise ont donné raison à la position de neutralité constructive exprimée par le Maroc. Outre le fait que la systématisation arbitraire n’est pas une solution, le Maroc a montré que les tractations pacifiques et la conduite visant à éviter l’escalade est une panacée. ■
Propos recueillis par I. Bouhrara