L’imbroglio syrien

guerre en syrie Jawad Kerdoudi

 

Par Jawad Kerdoudi, Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

 

L’attaque par l’armée syrienne de la localité de Khan Cheikhoun le 4 avril 2017 avec l’utilisation d’armes chimiques a fait 87 morts dont des enfants. Il s’en est suivi le 6 avril un tir de l’armée américaine de 59 missiles à partir de bateaux de guerre en Méditerranée visant l’aéroport de Shayrat, d’où seraient partis les avions syriens ayant attaqué la localité de Khan Cheikhoun. Les Américains ont pris le soin d’avertir à l’avance la Russie, alliée du régime syrien, ce qui explique le bilan relativement faible de 6 victimes.

Ces deux attaques viennent compliquer davantage l’imbroglio syrien, qui d’une guerre civile s’est transformé en conflit international. Tout est parti en mars 2011 dans le cadre du printemps arabe, de manifestations de lycéens syriens réclamant au régime bassiste de Bachar Al Assad plus de démocratie, de liberté, et de respect des droits de l’Homme. Le régime syrien y répondit par une répression brutale. Dès 2011, l’opposition syrienne au régime s’est constituée en Conseil national syrien, et a commencé à combattre Bachar Al Assad à travers l’armée syrienne libre. Mais à partir de 2013 sont entrées en scène les brigades islamistes sunnites. Les mouvements rebelles ont alors été soutenus par les pays arabes du Golfe, la Turquie et les Etats-Unis. Par la suite, se sont ajoutés les salafistes jihadistes du Front Al Nosra, et les Kurdes qui combattent pour l’autonomie de la région Rojava. En 2014, l’Etat islamique qui était né en Irak, s’est étendu également à la partie Est de la Syrie. La guerre civile syrienne s’est ainsi transformée en conflit international opposant une coalition arabo-occidentale favorable aux rebelles et combattant l’Etat islamique, et le régime syrien soutenu par le Hezbollah libanais, les brigades chiites, l’Iran, et la Russie qui a commencé son intervention militaire en septembre 2015. Le bilan à ce jour est effroyable : 400 à 500.000 morts, 100 à 200.000 disparus et 5 millions des réfugiés dans les pays voisins de la Syrie et même en Europe.

Une grande polémique est née après le tir américain du 6 avril de missiles contre l’aéroport syrien de Shayrat. Cette opération décidée par le Président Donald Trump a été une surprise du fait que le 30 mars 2017, le Secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson avait indiqué que le sort de Bachar Al Assad devrait être décidé par le peuple syrien. De son côté, Nikki Haley, la Représentante américaine à l’ONU, avait fait comprendre avant le tir que la priorité des Etats-Unis était le combat contre l’Etat islamique. Pendant sa campagne électorale, Donald Trump avait critiqué l’action américaine contre le régime syrien la jugeant improductive, et s’était prononcé contre les opérations militaires américaines à l’étranger sauf si la sécurité nationale était gravement menacée. Aussi, une explication plausible à ce tir est la volonté de Donald Trump après plusieurs défaites sur le plan intérieur depuis sa prise de pouvoir, de redorer son image personnelle, et de remettre les Etats-Unis comme auteur principal de la politique internationale. Il veut également démontrer par cette opération qu’il ne craint pas la Russie, après qu’il a subi plusieurs attaques du fait de sa proximité supposée avec Poutine.

Les réactions internationales au tir de missiles américains contre la Syrie sont diverses. D’un côté Paris, Berlin et Londres ont soutenu l’opération américaine en déclarant que «Assad est le seul responsable». Le Premier ministre Netanyahu, de son côté, a précisé dans un communiqué «Qu’Israël soutient pleinement la décision du Président Trump». De l’autre côté, la Russie a qualifié l’opération américaine «d’agression contre un Etat souverain en violation du droit international». Elle a en outre suspendu le mémorandum sur la prévention des incidents aériens en Syrie, qu’elle avait signé avec les Etats-Unis. L’Iran, à son tour, a condamné vigoureusement les raids américains contre la base militaire de Shayrat qui ne feront «qu’aider les groupes terroristes qui sont en déclin». Quant à la Syrie, elle a démenti toute responsabilité dans l’attaque de l’arme chimique de Khan Cheikhoun. La Syrie et la Russie tentent d’accréditer la thèse qu’il s’est agi d’un tir des avions syriens sur un entrepôt de rebelles contenant des armes chimiques.

En conclusion, on ne peut que déplorer la situation actuelle de la Syrie, pays de grande civilisation et qui est maintenant en ruines. Plus grave encore est la catastrophe qu’a subie le peuple syrien à la suite de l’utilisation d’armes chimiques, de massacres, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le premier responsable est Bachar Al Assad qui aurait dû après le déclenchement du printemps arabe faire des concessions à l’opposition, et éviter le pire à son pays et à son peuple. Le second responsable est les Etats-Unis qui ont déclenché la guerre d’Irak en 2003, ayant entraîné la création en Irak de l’Etat islamique qui a débordé en Syrie. Le troisième responsable est la Russie qui intervient en Syrie pour préserver sa base militaire de Tartous et augmenter son influence au Moyen-Orient.

Il est difficile de prévoir l’avenir du conflit syrien. Les Etats-Unis vont-ils se contenter de ce tir de missiles ou amplifier leur intervention militaire en Syrie ? La priorité doit être d’éradiquer Daech; les Etats-Unis et la Russie doivent se mettre d’accord pour une solution politique du conflit syrien, car la solution militaire n’est pas possible. ■

 

 

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