Des premières salles d’arcade aux cybercafés, en passant par l’arrivée de la PlayStation, cet article nous replonge dans les débuts du gaming au Maroc. Premier volet d’une série dédiée à cette épopée vidéoludique, il mêle anecdotes, nostalgie et une discussion à bâtons rompus avec Hamza Anoui, expert en gaming et membre de l’association Morocco Gaming Network (MGN).
Par K. A.
Nous sommes au milieu des années 90. À Casablanca, Rabat ou Marrakech, de nouvelles lumières s’allument, celles des premières salles d’arcade. Des espaces modestes mais vibrants, où des jeux comme Street Fighter II ou The King of Fighters captivent une jeunesse avide de nouveauté. Ces salles marquent les premières traces tangibles d’un phénomène qui allait façonner des générations: le gaming au Maroc.
Souvent installées dans des quartiers populaires, elles attirent rapidement les jeunes. Pour quelques dirhams, ils accèdent à un monde électronique, fait de combats, de stratégies et d’adrénaline. «Franchement, à l’époque, c’était magique. Les salles d’arcade, c’était notre endroit à nous. Même si nos parents voyaient ça d’un mauvais œil, on y allait parce qu’on avait besoin de se retrouver, de se challenger et aussi d’oublier un peu tout le reste», raconte Hamza Anoui.
Mais cette popularité s’accompagne de controverses. «Il y avait ce regard des adultes, comme si l’on perdait notre temps. Mais pour nous, c’était plus que ça. C’était là qu’on découvrait des jeux qui nous faisaient rêver et qu’on se faisait des potes», ajoute-t-il.
La révolution des consoles
À la fin des années 90, une nouvelle étape s’amorce : les consoles de salon. La PlayStation devient un véritable phénomène culturel. Mais son accès reste inégal. Si les magasins officiels en proposent à des prix élevés, les marchés informels comme Derb Ghallef à Casablanca s’imposent comme des alternatives accessibles.
«Ah, Derb Ghallef, c’était le paradis du gamer, plaisante Hamza. Si t’avais pas les moyens d’acheter une PlayStation dans les boutiques, c’est là-bas que tu trouvais ton bonheur. Des consoles, des manettes et même des jeux piratés à cinq dirhams... Tout le monde connaissait le chemin ! ». Les consoles, une fois introduites dans les foyers, modifient le rapport au gaming. Les parties se jouent désormais entre amis ou en famille et font du jeu vidéo un loisir plus intime et collectif.
L’émergence des cybercafés et des compétitions
Le début des années 2000 voit l’essor des cybercafés, devenus sanctuaires pour les amateurs de jeux en réseau. Des titres comme Counter-Strike et Warcraft III transforment ces espaces en arènes compétitives. «Les cybercafés, c’était une autre époque. Tu venais avec tes potes pour jouer des heures, et même si la connexion n’était pas top, l’ambiance faisait tout», se rappelle Hamza.
«C’était là qu’on commençait à vraiment jouer en équipe, à se challenger sérieusement. Certains cafés organisaient même de petits tournois improvisés», se souvient-il. Mais cette époque n’échappe pas à ses propres défis : des connexions Internet capricieuses et des équipements parfois rudimentaires. «Oui, y’avait plein de galères techniques, mais on s’en fichait. On était tellement passionnés qu’on trouvait toujours un moyen de jouer», ajoute Hamza.
La naissance d’une communauté gaming
Malgré les obstacles, une communauté structurée émerge au Maroc. Les premières compétitions locales s’organisent dans les cybercafés ou lors de rassemblements improvisés. Les joueurs se regroupent autour d’une passion commune et parviennent à dépasser les barrières sociales et économiques. C’est également durant cette période qu’Ubisoft installe son antenne à Casablanca en 1998, un signal fort pour l’industrie. Mais en 2016, après 18 ans de présence, le géant français ferme son studio et met ainsi fin à une époque. «Quand Ubisoft est parti, on a tous ressenti ça comme une perte énorme», confie Hamza.
«Mais quelque part, ça nous a obligés à nous poser des questions : est-ce qu’on voulait rester de simples consommateurs ou devenir des créateurs ?», ajoute-t-il. Le départ d’Ubisoft a laissé un vide, mais il a aussi ouvert la voie à une nouvelle dynamique. Des studios locaux comme The Wall Games, portés par des anciens de l’industrie, ont vu le jour. Des initiatives gouvernementales et privées, comme le programme «Video Game Creator» ou la création de hubs spécialisés à Rabat, témoignent aujourd’hui de la volonté de transformer cette passion en une véritable industrie. Longtemps considéré comme un simple terrain de jeu pour des acteurs étrangers, le Maroc s’affirme aujourd’hui comme un véritable créateur d’univers vidéoludiques. Porté par une nouvelle génération de talents, il dessine les contours d’une industrie prête à conquérir la scène internationale.