"Du côté académique, l'IA devrait pouvoir s'occuper de tout"

"Du côté académique, l'IA devrait pouvoir s'occuper de tout"

Enseignant en intelligence artificielle (IA) à la prestigieuse Université de Stanford, située au cœur de la Silicon Valley, Younes Bensouda Mourri apporte un éclairage détaillé sur les tenants et aboutissants de cette discipline encore peu connue.

 

 

Propos recueillis par K.A

 

 

Finances News Hebdo : Tout d'abord, parlez-nous de votre cursus académique et comment vous vous êtes retrouvé dans l’enseignement ?

Younes Bensouda Mourri : Je suis marocain, qui a fréquenté l'Ecole américaine de Tanger jusqu'à l'âge de 18 ans. Par la suite, j’ai été accepté à l'Université de Stanford en Californie, en IA. Pendant mon parcours académique, j’ai eu l’opportunité d’intégrer le laboratoire d’intelligence artificielle de la Faculté afin d’élaborer de nouveaux cours d’IA.

C’est dans ce contexte que j'ai réalisé le potentiel illimité de l'IA. Je voulais faire partie de ce mouvement, afin d’aider et de changer les métiers d’aujourd’hui et de demain. J'ai donc commencé à enseigner l'apprentissage automatique, puis l'apprentissage profond ou «Deep learning». Actuellement, je travaille sur quelques cours de traitement du langage naturel.

J'ai eu l'occasion de constater que de nombreuses tâches seront automatisées dans le futur proche. Par conséquent, je souhaiterais aider les gens à surmonter cette prochaine vague d'automatisation, à trouver un emploi dans le monde de demain. Selon McKinsey, 30% des emplois risquent fort d'être automatisés d'ici 2030. Et par risque élevé, j'entends que 70% de ces emplois pourraient être complètement remplacés par des technologies prouvées.

 

F.N.H : L'IA, le Machine learning, le Deep learning, on en parle beaucoup. À l’évocation de ces technologies, les gens pensent généralement à des voitures autonomes, à des drones militaires ou à des robots, plus qu'au domaine de l'éducation et de la formation. Comment voyez-vous l’éducation en tant que champ d’application de l’IA ?

Y.B.M : L'IA changera radicalement l'éducation, de la même manière qu'elle a changé (et continuera de changer) de nombreux autres domaines. Par exemple, l'IA sera utilisée pour surveiller les examens, concevoir un programme d'enseignement personnalisé, et assister des devoirs à la maison. L'IA sera également utilisée pour développer des «chatbots» qui répondront aux questions des étudiants en direct, disponibles 24h/24 et 7j/7.

Maintenant avec l'apprentissage en ligne, la plupart des étudiants passent des examens à distance. Nous pouvons donc utiliser l'IA pour surveiller ces examens en utilisant la vérification du visage, l'identification vocale et la détection de frappe sur clavier. L'apprentissage en ligne entraîne de nouveaux défis auxquels nous n'avions pas pensé auparavant. Mais je suis vraiment enthousiaste de voir l'IA faciliter l'apprentissage des étudiants.

L'intelligence artificielle permettra également à chaque élève d'aller selon son rythme. Si quelqu'un est lent, il ne sera pas laissé pour compte. Si quelqu'un est rapide, il ne sera pas retardé par ses camarades de classe, ainsi il pourra développer son potentiel. Qui sait, vous pourriez former des diplômés du secondaire à l'âge de douze ans ou trente ans ! Chacun son rythme.

 

F.N.H : Dans le cadre de l'apprentissage, le problème n'est-il pas plus complexe et spécifique tant pour les étudiants que les professeurs ?

Y.B.M : C'est un défi pour les étudiants et les professeurs. Il est toujours difficile de s'adapter au changement. Tout d'abord, les professeurs doivent faire confiance au système et compter sur lui pour confier des devoirs à l'étudiant. D'un autre côté, les étudiants ne doivent pas s'ennuyer mais doivent se tenir responsables lorsqu'ils étudient seuls. Il est très facile de se laisser distraire.

Avec un apprentissage personnalisé où chacun va à son rythme, je crois vraiment que nous pourrions avoir des diplômés brillants du secondaire à l'âge de 12 ans. Dans un autre sens, vous pourriez avoir quelqu'un qui est académiquement brillant, mais qui n'est pas assez mature pour aller à l'université.

Cela soulève de sérieuses questions. Les étudiants ont tendance à être regroupés dans la même classe, non seulement parce que leur niveau académique est similaire, mais aussi en raison de leur niveau de maturité. Désormais, l'IA regroupe les étudiants en fonction de leur niveau académique. Il lui sera difficile d'accélérer le niveau de maturité de l'enfant. Avoir des enfants de 12 ans dans les universités peut être un problème à l'avenir.

 

F.N.H : Peut-on imaginer, dans le futur, un enseignement uniquement basé sur l’IA, sans professeur ? Ou est-ce que l’élément humain sera toujours indispensable pour assurer un niveau qualitatif au système éducatif ?

Y.B.M : Une intervention humaine sera nécessaire pour surveiller les niveaux de maturité et les attitudes comportementales des élèves. Du côté académique, l'IA devrait pouvoir s'occuper de tout. Cependant, ces étudiants devront être capables de présenter, de poser des questions, et de s'exprimer aux autres. Cette partie sera beaucoup plus difficile à automatiser.

Les domaines scientifiques seront plus faciles à automatiser que ceux de la littérature. Cependant, à l'avenir, l'IA fera une grande partie du travail que les enseignants font actuellement. Les enseignants resteront pour résoudre les problèmes d'attitude. L'école ne consiste pas seulement à apprendre les mathématiques, à lire et à écrire. L'école est une institution de vie, qui permet de grandir en tant que personne au sein d'une communauté.

J'ai quelques craintes à l'idée que l'IA produise des robots capables de lire, écrire et résoudre des problèmes, mais à qui il manquerait cette connexion humaine. Ils ne pourraient guère interagir avec les gens de manière accueillante. Voilà quelque chose sur laquelle nous devons encore travailler.

 

F.N.H : Quelles innovations basées sur l'IA peut-on s'attendre à voir émerger dans le domaine de la santé dans l'avenir en matière d'anticipation, de gestion et de lutte contre les pandémies ?

Y.B.M : Le champ des possibles est vraiment très large. Tout d'abord, l'apprentissage automatique aidera à prédire les réactions individuelles du virus. Par exemple, nous pourrions l'utiliser pour comprendre les risques de décès à l'échelle individuelle, déterminer si le patient aura besoin d'un lit d'hôpital, combien de temps cela prendra-t-il pour le guérir, et ainsi de suite, en tenant compte de son dossier de santé.

Nous utiliserons toutes ces informations pour mieux préparer le pays en prenant en considération les limites de notre système de santé. Nous pourrons également essayer de prédire la vitesse à laquelle le virus se propage, et dans quelle direction.

Étant donné les données individuelles des utilisateurs, telles que leur lieu de résidence, leur communauté, leur fréquence d'interactions sociales, nous pourrons avoir une bonne connaissance de l'avancement de la pandémie, et de prendre les mesures nécessaires en conséquence.

Savoir si quelqu'un présente un risque élevé ou faible du virus permettra d'établir une stratégie de confinement optimale. Si la majorité des gens ne sont pas affectés, nous devrions pouvoir les laisser continuer leur vie. Seuls ceux qui sont à haut risque devraient maintenir une distance sociale.

L'IA nous aidera à cet égard, ainsi qu'à optimiser correctement les ressources. Par exemple, avec la COVID-19, en collectant suffisamment de données, nous pourrions peut-être prédire les personnes les plus susceptibles d'être asymptomatiques, leur permettre de vivre leur vie «normale» tout en protégeant les plus «faibles» d’entre nous.

 

 

 

 

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