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Tourisme : Les banques tirent sur le frein à main

Tourisme : Les banques tirent sur le frein à main

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La montée des créances en souffrance dans le secteur incite les établissements bancaires à la prudence. S’ils s’étaient engagés, pour accompagner la mise en oeuvre de la stratégie Vision 2020, à mobiliser une enveloppe globale de 24 milliards de DH, jusqu'à présent ce ne sont que 10% de ce montant qui ont été débloqués pour l’appui au secteur. Aujourd’hui, les objectifs de la Vision 2020 sont sérieusement compromis.

Il faut se rendre à l’évidence : l’objectif de multiplier par deux la capacité d’accueil en construisant 200.000 nouveaux lits additionnels et d’atteindre 20 millions de tou­ristes dans le cadre de la vision 2020 semble être une utopie. Tout comme l’est l’ambition de créer 470.000 emplois directs sur l’ensemble du ter­ritoire national, d’accroître les recettes touristiques à 140 mil­liards de dirhams et de renfor­cer la contribution du secteur au PIB pour atteindre 150 mil­liards de dirhams. Les autorités en sont d’ailleurs conscientes, même si elles restent, subtile­ment, dans le déni.

Aujourd’hui, revoir ces ambi­tions à la baisse ne serait que légitime. D’abord, les statis­tiques disponibles à fin 2015 font état d’une contre-perfor­mance de 0,2% des arrivées internationales par rapport à 2014. Pour le ministre du Tourisme, Lahcen Haddad, dans un contexte internatio­nal défavorable marqué, entre autres, par les attentats de Paris, le secteur touristique a néanmoins fait preuve de «résilience». Mais même en tablant sur une hausse des recettes du secteur de 2% (à 60 milliards de dirhams) et une progression de 3,8% des arrivées touristiques en 2016, comme le prévoit Haddad, il est difficile d’imaginer que les objectifs initiaux pourront être atteints à l’horizon 2020. Cela, d’autant que les banques semblent de moins en moins enclines à investir ce secteur. Rappelons, à ce titre, que pour marquer son engagement à accompagner la mise en oeuvre de la stratégie Vision 2020, le secteur bancaire comptait mobiliser une enve­loppe globale de 24 milliards de DH. Sauf que, jusqu'à pré­sent, comme l’a relevé Fitch Ratings dans une récente note, sur la somme promise, seuls 10% ont été débloqués pour l’appui au secteur. Cela tient, entre autres, à la montée de la sinistralité dans ce secteur. «Le tourisme concentre près de 20% du total des créances en souffrance du système bancaire», précise Fitch. De quoi s’inquiéter ? En réalité, c’est un chiffre à relativiser. En effet, estime Farid Mezouar, expert des marchés financiers et directeur du site flm.ma, «il faut différencier entre l'hôtelle­rie et l'aménagement de zones touristiques. Pour l'hôtellerie, le risque est maîtrisé car les banques disposent souvent de garanties réelles et peuvent donc récupérer une bonne partie de leur mise en reven­dant les murs. Par contre, au niveau de l'aménagement (exemple du Plan Azur), les craintes sont justifiées, même si, comme pour Saïdia, l'Etat finira par intervenir et limiter la casse». «In fine, le niveau global n'est pas effrayant au contraire d'autres secteurs où les pertes sont sèches en l'ab­sence d'actifs à revendre ou à restructurer», conclut-il.

Sauf que, dans une conjoncture où le portefeuille global des créances en souffrance détenu par les banques s’accroît de plus en plus, il est plus que justifié que ces dernières tirent sur le frein à main. A fin 2014, l’encours des créances en souffrance atteignait, en effet, 52,8 milliards de dirhams, en hausse de 20%, pour un taux des créances en souffrance de 6,9%. «Cette évolution a concerné tant les particuliers que les entreprises, notam­ment celles opérant dans les secteurs du tourisme, de la promotion immobilière et des matériaux de construction», note Bank Al-Maghrib. Dans la foulée, leur taux de crois­sance annuel est passé de 10,7% à 11,2% du troisième au quatrième trimestre 2015, et leur ratio par rapport au crédit bancaire est resté quasi­ment stable à 7,5%.

Et si les prêts alloués au sec­teur du tourisme ont connu une légère hausse de 0,5% pour totaliser un encours de 18,2 milliards de dirhams en 2014, leur part dans le total des cré­dits s’est maintenue au même niveau qu’en 2013 à 2,4%, contre 2,9% en 2012.

Ralentissement attendu en pour 2016

D’après les évaluations préli­minaires effectuées, ce sont 177 Mds de DH d’investis­sements publics et privés qui doivent être mobilisés pour la mise en oeuvre de la Vision 2020. Des investissements qui comprennent le budget de promotion et distribution, les primes à l’investissement, le budget d’investissement et de fonctionnement du dispo­sitif de formation, les fonds propres publics et privés et le financement bancaire national et international. Dès lors, le rythme des investissements touristiques devait passer de 8 à 15 Mds de DH/an entre 2014 et 2020 pour atteindre les objectifs fixés.

Or, pour cet exercice 2016, selon plusieurs observateurs, les engagements des établis­sements bancaires envers le secteur touristique devraient diminuer. «Je crains malheu­reusement un rationnement des crédits, car les banques agissent souvent par théma­tique. Ainsi, comme pour la promotion immobilière, le tou­risme risque d'être démodé comme thématique d'investis­sement, surtout qu'en plus la conjoncture en 2015 a été mauvaise, avec une baisse à deux chiffres des nuitées des touristes étrangers», fait remarquer Mezouar.

Au niveau de CIH Bank, dont l’engagement sur le tourisme est très faible, la question est déjà tranchée : l’exposition de la banque à ce secteur res­tera minime tant qu’un certain nombre d’outils ne seront pas mis en place. «Nous considé­rons que le tourisme, étant un secteur à cyclicité évidente, avec des cycles parfois très marqués, nécessite un méca­nisme d’amortissement de crise susceptible d’y faire face. Cela peut prendre la forme d’une caisse de soutien aux entreprises du secteur, le temps que la conjoncture devienne favorable», relève le président de la banque, Ahmed Rahhou. «Aujourd’hui, le pro­blème est que quand la crise perdure, les unités hôtelières souffrent et certaines finissent même par fermer, provisoi­rement ou totalement. Dès lors, la réouverture devient complexe, puisqu’il faut pra­tiquement tout recommencer. Il faut donc des mécanismes qui permettent d’affronter les micro et macro-crises, qui vont respectivement de quelques semaines à quelques mois.

Ces caisses de soutien peuvent être créées par les profession­nels, avec une subvention de l’Etat en cas de besoin. Mais la première réponse face à ces phénomènes conjonctu­rels doit venir des profession­nels, surtout que les cycles deviennent plus courts, mais plus fréquents», poursuit-il. «Aussi, tant que ces méca­nismes ne seront pas mis en place, nous ne reviendrons pas sur ce secteur, ou alors de façon très timide, parce que les conditions permettant sa bonne gestion ne sont pas réunies», conclut Rahhou.

Les banques devraient donc adopter une position attentiste, en espérant un inversement de cycle. Ce qui va compromettre sérieusement les ambitions de la Vision 2020, surtout dans un contexte où le secteur souffre déjà de maux structurels (défi­cit d’animation, qui reste le maillon faible de l'offre tou­ristique marocaine, de lignes aériennes…) et de la conjonc­ture internationale peu propice, marquée par la multiplication des attentats dans certains des principaux pays émetteurs.

L’ONMT change de fusil d’épaule

L'Office national marocain du tourisme (ONMT) propose pour l'exercice 2016 un plan alternatif de rupture visant à gagner 1,5 million de touristes sur les deux prochaines années. Ce plan, dont le coût additionnel est évalué à 400 MDH, est articulé autour de l'aérien et du digital, selon son DG, Abderrafie Zouitene, qui intervenait lors du Conseil d'administration de l'Office. Il s’agit ainsi d'injecter 57 nouvelles routes aériennes entre le Maroc et ses marchés émetteurs et de mettre en place un dispositif digital axé autour du lancement d'un nouveau portail d'information et de distribution de la destination Maroc, d'une stratégie agressive de gestion de la e-reputation de la destination Maroc et d'actions structurées sur les réseaux sociaux. L'Office a, par ailleurs, mis en place un comité spécialisé en «stratégie et investissement» qui aura pour rôle d'assurer le suivi, l'évaluation et la validation des actions stratégiques de l'Office. Cette stratégie vient en complément de celle initiée par le département du Tourisme pour développer le tourisme interne, et dévoilée en juillet 2014 par le ministre de tutelle. S'inscrivant dans le cadre de la Vision 2020, elle vise à atteindre 5,7 millions de nuitées dans les établissements touristiques classés à cet hori­zon. Elle a aussi pour objectif de porter de 25 à 40% le nombre de nuitées au niveau national et de tripler le nombre de vols internes. Il s’agit aussi de démocratiser le voyage en ciblant les principales franges de la population à travers un produit et un réseau de distribution adéquats. Le ministère avait, par ailleurs, prévu une campagne pour promouvoir le tourisme interne via l'opération kounouz Biladi.

David William

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