Les établissements bancaires marocains sont de plus en plus enclins à offrir des prestations et des services qui n'entrent pas dans leur métier de base. Cette tendance constitue une nouvelle donne dans la relation clientèle. En multipliant les services, les banques cherchent à faire partie intégrante de la vie quotidienne du client et le rendre plus captif.
Les banques marocaines sont de plus en plus sollicitées par les autorités gouvernementales pour assurer des services citoyens et non bancaires qui incombent, en principe, à l’administration publique. Rien que l’année dernière, les banques ont été associées à trois opérations de ce genre. Il y eut d’abord l’opérationnalisation de la contribution libératoire à laquelle elles ont largement contribué. Les établissements bancaires ont ainsi mis en place un dispositif commercial et technique pour prendre en charge les déclarations des clients, se substituant au rôle dévolu normalement à l’Office des changes. L’externalisation du payement de la vignette automobile est un autre exemple. Pour le paiement de cette taxe annuelle, la Direction générale des impôts met désormais à contribution le savoir-faire des banques. N’oublions pas, enfin, le rôle confié à Al Barid Bank par le gouvernement dans la gestion du statut de l'auto-entrepreneur.
Si aujourd’hui l’Etat a de plus en plus recours aux établissements bancaires pour leur déléguer certaines opérations, c’est que ces derniers disposent d’atouts qui les rendent incontournables. La majorité des banquiers avec lesquels nous avons discuté de cette question, met en avant l’importance du réseau d’agences, qui dépasse les 6.000 points de vente. «Notre force de frappe est considérable pour atteindre le citoyen, il est donc normal que l’on s’adresse à nous», souligne à ce propos le dirigeant d’une banque de la place. Le système bancaire marocain dispose en outre de ce qui se fait de mieux dans le pays en termes de système d’information, à travers des outils efficaces et éprouvés, qui peuvent facilement s’adapter à ce type de services. Par ailleurs, comme nous l’explique un banquier, les citoyens ont aujourd’hui davantage confiance en la banque qu’en l’administration publique. Cela s’est vérifié en particulier lors de la contribution libératoire, qui n’aurait probablement pas connu un tel succès si le contribuable avait à traiter exclusivement avec l’Office des changes. Autrement dit, mieux vaut avoir à faire aux banques qu’à l’Etat.
On peut toutefois se demander ce qui motive les banques à multiplier de la sorte des offres de services qui, a priori, ne font pas partie de leur coeur de métier. La réponse qui revient le plus spontanément dans la bouche des banquiers est, bien entendu, celle des retombées positives en termes d’image : une banque proche des citoyens et qui leur facilite la vie. La communication institutionnelle des banques marocaines insiste, d’ailleurs, de plus en plus, sur la notion de proximité. Elles cherchent par ce moyen à fidéliser leurs clients et à en séduire de nouveaux.
«Nous sommes demandeurs»
Mais ce n’est évidemment pas tout. Les considérations financières ne sont jamais loin. Dans le cas de la contribution libératoire, les rapatriements de devises ont eu un effet bénéfique sur les dépôts bancaires, qui ont considérablement augmenté en 2015. Le statut de l’auto-entrepreneur permet, lui, de toucher des populations jusqu’ici exclues des systèmes bancaires afin de les intégrer dans les circuits de financement. Quant à l’externalisation du paiement de la vignette, qui se déroule actuellement sans trop d’accroc (on parle de plus de 700.000 vignettes payées à l’heure où nous mettions sous presse), elle n’est que le prélude à une longue série de transferts de services de l’Etat vers les banques. D’autant que, comme nous le confie notre banquier, les établissements bancaires sont «demandeurs» de ce genre d’externalisation de services de l’Etat. «On n’attend que cela !», nous confie même notre interlocuteur. Lors d’une récente interview accordée à Finances News Hebdo, Ahmed Rahhou, président de CIH Bank, abondait dans le même sens. Il a en effet exprimé son souhait que tous les services de l’Etat qui nécessitent un paiement soient désormais réglés via le canal bancaire.
Dans leur quête des services non bancaires, les établissements ne comptent pas se contenter de la seule externalisation de certains services de l’Etat. Ils lorgnent sur toute une panoplie de services non bancaires, quitte à entrer en concurrence frontale avec des secteurs dont c’est le coeur de métier. «Nous aimerions bien distribuer toute sorte de produits, comme les produits d’assurances dommages», souligne, par exemple, un banquier.
En Europe, cette pratique est déjà bien ancrée. Sur le Vieux continent, il y a bien longtemps que les agences bancaires offrent à leurs clients un tas de services et de produits destinés à leur simplifier les tâches quotidiennes. Ainsi, il n’est pas rare de voir certains établissements européens commercialiser des portables, des recharges téléphoniques, des contrats de gaz, des voitures et même des tickets de bus. Et il y a fort à parier que les banques marocaines suivront progressivement la même tendance.
Même en Afrique subsaharienne, la capacité d’innovation des banques est réelle. En témoigne le lancement au Sénégal d’agents bancaires itinérants à scooters, ou, plus surprenant encore, le lancement au Nigéria d’une carte d’identité nationale qui fait office de… carte bancaire.
Amine Elkadiri