Petit ou grand, subsistant ou organisé, le secteur informel suscite le débat et attire de plus en plus l’attention des décideurs africains. Pour réduire l’ampleur de ce phénomène, le levier fiscal demeure incontournable, mais il n’est pas le seul.
Un secteur hétérogène, composé d’entités ne disposant pas de comptabilité, et qui souvent transgressent les réglementations. Voilà ce à quoi ressemble la définition donnée à l’informel, tient à rappeler Rajaa Mejjati Alami, économiste sociologue, spécialiste de l’économie informelle. Lors de son intervention au panel consacré à la «Pression fiscale et développement du secteur de l’informel» à l’occasion de la Conférence de Africa 2025, elle a tenu à nuancer le concept de l’informel et, surtout, à ne pas mettre toutes les entités de l’informel dans le même paquet. Selon elle, il faut distinguer entre les micro-entreprises, les structures exerçant des activités illégales ou frauduleuses et celles relevant de l’économie domestique.
Pas moins de 40% des emplois du privé proviennent de l’économie informelle (l’auto-emploi en majorité), selon les chiffres du HCP. S’agissant de leur contribution fiscale, une large frange des unités informelles paie la patente mais rares sont celles inscrites sur le registre de commerce. Se pose ainsi la question de savoir s’il s’agit d’une volonté délibérée de transgresser la réglementation. Rajaa Mejjati explique ce constat par une concomitance de plusieurs facteurs : ces unités sont connues des pouvoirs publics et peuvent parfois répondre à des logiques organisationnelles anciennes (artisanat), méconnaissance de la réglementation, tolérance de la part des pouvoirs publics, etc.
Réfléchir à l’informel n’est pas un exercice aisé, reconnaît de son côté Zouhair Chorfi, Directeur général de l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII). L’informel, poursuit-il, n’est plus traité comme un problème, mais plutôt comme une réalité économique, qui soulève de nombreux défis pour les pouvoirs publics. La part de l’informel dépasse les 30% dans 120 pays parmi 168 pays membres de l’Organisation mondiale des douanes. C’est dire qu’il serait illusoire d’imaginer une économie sans une activité informelle.
Ajustement
L’enjeu consiste donc à agir pour au moins réduire l’ampleur du phénomène dans l’économie. L’ADII dispose de quatre leviers pour juguler les problèmes liés à l’informel : les procédures, les prérogatives, les moyens et les systèmes d’information. La dimension fiscale est à inscrire dans une vision économique d’ensemble, soutient le DG de l’ADII, qui illustre ses propos par l’exemple du marché des produits électroménagers issus de la contrebande, autrefois fleurissant dans la région du Nord. Il aura fallu juste baisser la fiscalité à l’import pour réduire à néant l’ampleur de ce phénomène. C’est le cas également de certains produits alimentaires, notamment le riz, qui a bénéficié d’une baisse des droits de douane pour justement protéger certains producteurs dans la région du Gharb. Remédier au problème de l’informel passe également par le renforcement de la sanction, qui aux yeux de Zouhair Chorfi, doit être dissuasive mais différenciée (distinction doit être faite entre l’activité informelle vivrière et celle organisée).
Mais avant d’en arriver à la sanction, les pouvoirs publics doivent faire preuve d’imagination et aider les populations concernées à migrer vers l’entrepreneuriat. Là encore, apprend-on du DG de la douane marocaine, le phénomène du commerce animé à bord des fourgons il y a quelques années par les MRE touchés par la crise, a été encadré en incitant ces derniers à se transformer en entreprises individuelles, en s’inscrivant dans un registre de commerce, et en déclarant les biens importés aux services de la douane.
L’action de l’ADII doit également tenir compte de certaines réalités régionales (exemple, une cigarette sur dix serait issue de la contrebande à Casablanca contre sept sur dix à Oujda). In fine, conclut Zouhair Chorfi, autant il faut rester souple avec les petits acteurs de l’informel, qui sont dans une logique de survie, autant il faut être intransigeants avec les structures informelles organisées.
Equilibre
En Côte d’Ivoire, l’activité transfrontalière reste dominée par le secteur informel, essentiellement des jeunes et des femmes, qui se battent pour assurer leur survie. Le recours à l’informel se fait plus par ignorance des procédures et des lois que par une volonté délibérée de fuir la fiscalité, témoigne le Directeur général de la Douane, Colonel major Issa Coulibaly. Ce dernier insiste, de son côté, sur la nécessité de former ces gens et les inciter à s’unir dans le cadre de groupements d’intérêt économique (GIE). Cela dit, nuance-t-il, l’enjeu de l’informel ne se limite pas à la seule dimension fiscale, soulevant parfois des problèmes d’ordre sécuritaire, allusion faite aux attaques jihadistes perpétrées dans le Nord de la Côte d’Ivoire.
Petit ou grand, subsistant ou organisé, l’informel est une réalité diffuse. «Il ne faut pas se voiler la face. Dans nos pays, l’informel est la règle, le formel est l’exception», affirme Mor Talla Kane, économiste et expert, spécialiste du secteur de l’informel. Ce dernier soulève une question de fond et d’avenir : comment peut-on concevoir une politique d’émergence en s’appuyant sur un secteur informel aussi méconnu que puissant, au point de saper la concurrence du secteur formel ? Une chose est sûre en tout cas, seule une volonté politique pourra dégraisser le mammouth de l’informel en terre africaine.
Wadie El Mouden