Si les indicateurs globaux du secteur bancaire demeurent solides, Bank Al-Maghrib renforce ses exigences prudentielles en matière de risque de crédit. En 2024, elle engage la révision de la circulaire 19/G sur la classification des créances en souffrance, dans une démarche d’alignement avec les standards internationaux et d’amélioration de la résilience du système.
Par Y. Seddik
La solidité du secteur bancaire, confortée par des indicateurs de solvabilité stables, n’exonère pas les autorités prudentielles d’une vigilance constante face aux risques. Dans son rapport annuel 2024 sur la supervision bancaire, Bank Al-Maghrib (BAM) met en avant une série d’initiatives destinées à renforcer l’identification, le suivi et le traitement des risques bancaires. Parmi elles, la refonte de la circulaire 19/G relative à la classification des créances en souffrance marque une étape décisive, tant sur le plan réglementaire que méthodologique.
Les chiffres affichés en 2024 traduisent une stabilité globale du risque de crédit. Le taux des créances en souffrance est resté à 8,4% sur base sociale (9% consolidée), et le taux de couverture par les provisions a légèrement progressé à 69%. Les ratios de solvabilité (16,2%) et de fonds propres de catégorie 1 (13,5%) dépassent confortablement les exigences minimales.
Mais derrière ces données rassurantes, BAM souligne la persistance d’éléments de fragilité. La concentration sectorielle des expositions, les effets différés des chocs post-Covid, la vulnérabilité de certaines entreprises publiques et l’exposition croissante au risque climatique constituent autant de menaces systémiques. Le ralentissement de certains segments du crédit, notamment immobilier et consommation, appelle à une lecture différenciée des indicateurs globaux.
La circulaire 19/G, un outil à moderniser
Dans ce contexte, BAM a initié une révision substantielle de la circulaire 19/G, qui régit depuis 2002 les modalités de classification des créances en souffrance. Le projet vise à moderniser un texte devenu partiellement obsolète face à l’évolution des standards internationaux (notamment IFRS 9), à l’essor des financements complexes, et aux exigences croissantes en matière de transparence. Plusieurs axes de réforme sont détaillés dans le rapport.
D’abord, une redéfinition des catégories de risque, avec une distinction plus affinée entre situations d’impayé technique, restructuration et défaut avéré. Ensuite, l’introduction d’une logique de provisionnement basée sur la probabilité de défaut, dans une approche plus dynamique et prospective. Aussi, une exigence élevée de documentation, notamment sur les décisions de reclassement, les conditions de restructuration et les politiques internes d’alerte précoce. Enfin, l’intégration explicite des dimensions ESG, avec une attention nouvelle portée aux risques climatiques dans la détérioration du profil de crédit.
Le chantier s’est accompagné d’un processus de concertation avec les banques, afin de garantir une appropriation progressive des nouvelles règles. La version révisée de la circulaire devrait entrer en vigueur en 2025, avec une phase transitoire permettant d’adapter les systèmes d’information et les dispositifs internes.
Vers une supervision plus prospective
Au-delà de cette réforme spécifique, Bank Al-Maghrib continue de faire évoluer son dispositif de supervision vers une logique plus prospective. L’approche fondée sur le SREP (Supervisory Review and Evaluation Process), déjà amorcée, permet une évaluation globale et qualitative de la résilience des établissements. Elle prend en compte non seulement les ratios réglementaires, mais aussi la gouvernance, les stratégies commerciales, la gestion des risques émergents et la capacité à absorber des chocs. En 2024, la Banque centrale a mené des exercices d’auto-évaluation avec les établissements, en particulier sur les dispositifs internes de mesure et de gestion du risque de crédit.
Des simulations de stress tests ciblés ont été réalisées, notamment sur les expositions aux PME fragiles et sur les prêts restructurés. La volonté de contenir les créances non performantes s’est également traduite par l’élaboration d’un projet de loi instituant un marché secondaire des NPLs (Non Performing Loans) d’une taille de 100 milliards de dirhams. Ce mécanisme, en discussion avancée, vise à permettre la cession ordonnée de portefeuilles de créances problématiques à des structures spécialisées. Une telle démarche libérerait des ressources dans les bilans bancaires et améliorerait la capacité d’octroi de crédit à l’économie réelle.