Après son grand oral face aux parlementaires, le ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Boussaïd avait rendez-vous avec la presse nationale, venue assister à la présentation du projet de Loi de Finances 2016 (PLF 2016). En réalité, plus qu’une présentation du Budget 2016, dont les grandes lignes ont déjà été abondamment relayées par les médias, le ministre s’est livré à une série de clarifications à propos de certaines mesures introduites. Dans cette optique, Boussaïd n’a éludé (presque) aucune interrogation des journalistes. Les détails.
En prélude au jeu des questions réponses, Mohamed Boussaïd a présenté les grandes lignes du Budget 2016 (www.financenews.press.ma). Ce budget s’est donné pour ligne directrice de trouver le juste équilibre entre une politique ambitieuse de l’offre et un encouragement de la demande. Le gouvernement réitère ainsi sa volonté d’assurer une croissance plus inclusive pour que les citoyens ressentent concrètement les effets de la création de richesse. Il réitère également la volonté de l’Etat de continuer à réduire les déficits, tout en poursuivant son effort d’investissement, qui s’élève à 189 milliards de DH.
FDR : Benkirane aurait tout validé
Mais la grande polémique de ce projet de Loi de Finances est la gestion du Fonds de développement rural (FDR), dont l’enveloppe culmine à 55 milliards de DH à répartir sur 7 ans, qui a été confiée au ministère de l’Agriculture, alors qu’auparavant, c’était le Chef de gouvernement qui en était l’ordonnateur. Des voix se sont élevées parmi le parti au pouvoir pour dénoncer une manoeuvre «politique» de la direction du Budget et du ministère des Finances pour déposséder en catimini le Chef de gouvernement du contrôle de cette manne financière. Boussaid, qui s’attendait à cette question, précise que «le Chef de gouvernement est au courant de toutes les étapes d’élaboration du PLF. C’est lui qui décide. Prétendre qu’on lui a enlevé quelque chose, c’est faire preuve de naïveté». En d’autres termes, rien ne se fait sans l’aval de Benkirane. Ces précisions suffiront-elles à désamorcer la crise qui couve au sein du gouvernement ? Rien n’est moins sûr. Les députés PJD ont déjà fait part de leur intention d’amender l’article 30 du PLF. A suivre donc. Toujours est-il que le FDR démarrera en 2016, avec une dotation de 7 milliards de DH. Et le plus important, selon Boussaid, est qu’il soit efficace et qu’il puisse remplir sa mission de réduction des disparités sociales et spatiales.
TVA : En finir avec le butoir
Parmi les mesures-phares contenues dans le Budget 2016, figure le passage de la TVA sur les tickets vendus par l’ONCF, de 14% à 20%. Une mesure qui, selon Boussaïd, «est nécessaire et indispensable». En effet, l’ONCF investit chaque année près de 7 milliards de DH à un taux de TVA de 20% alors qu’il vend ses tickets avec une TVA de 14% seulement. Ce qui crée un butoir (crédit de TVA à rembourser par l’Etat) qui avoisine les 2 milliards de DH. Pour le ministre des Finances, en harmonisant les deux taux, on met fin à l’accumulation du butoir. Un crédit TVA qui sera d’ailleurs entièrement remboursé prochainement, à en croire le ministre, selon un échéancier qui reste à définir. Dans cette nouvelle configuration, une répercussion à la hausse sur le prix des tickets de train semble inévitable, à compter du 1er janvier 2016.
Concernant la première phase du butoir (relative aux entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 20 millions de DH), le ministre des Finances assure qu’elle a été achevée et que toutes les sommes dues ont été remboursées. Le gouvernement passe à présent à la deuxième phase, qui s’étalera sur 3 ans, et qui concerne les entreprises ayant un chiffre d’affaires compris entre 20 et 500 millions de DH.
Enfin, le gouvernement a mis en place des mesures de soutien à l’investissement privé, à travers la nouvelle charte de l’investissement qui inclut de nouvelles incitations financières.
Le cadre incitatif est complété par le remboursement de la TVA sur investissement au-delà des trois ans exonérés. De quoi inciter les opérateurs privés à investir et éviter un nouveau butoir.
Nouvelle grille de l’IS : «une avancée extraordinaire»
Le PLF 2016 instaure une nouvelle grille de l’impôt sur les sociétés (IS), qui compte désormais 4 tranches : 10% pour les résultats fiscaux inférieurs à 300.000 DH, 20% pour les résultats compris entre 300.000 et 1 million de DH, 30% pour les résultats compris entre 1 million et 5 millions de DH, et enfin 31% pour les résultats supérieurs à 5 millions de DH. Pour le ministre, cette nouvelle grille constitue une «avancée extraordinaire qui répond à la doctrine qui veut que l’on contribue à hauteur de son résultat». L’introduction du taux intermédiaire de 20% va permettre de neutraliser l’effet de seuil qui existait auparavant (taxation à 30% dès que l’on dépassait 300.000 DH). «Certes, ce n’est pas encore l’IS progressif mais c’est un début. Au moins, on neutralise l’effet de seuil», justifie-t-il. Reste maintenant à faire converger l’IS avec le taux libératoire de l’IR pour que cette nouvelle grille soit véritablement efficace (voir page 11).
Caisse de compensation : un débat s’impose
La poursuite de la réforme de la Caisse de compensation ne figure pas au programme du Budget 2016. Alors que les hydrocarbures ont déjà été totalement décompensés avec succès, le gaz butane et le sucre attendent leur tour. En 2016, la charge de compensation sera de 15,5 milliards de DH, et rien dans le Budget 2016 ne présage une poursuite de la réforme. Boussaïd plaide pour un débat au sein du Parlement, notamment sur le sucre dont la subvention profite plus aux industriels qu’aux consommateurs. Par ailleurs, précise-t-il, la décision de décompenser se fait par voie réglementaire et non par une mesure de la Loi de Finances. L’objectif du débat est de réfléchir au moyen de redéployer l’argent vers les secteurs prioritaires, comme le secteur médical, pour renforcer la qualité de service des soins afin que les bénéficiaires du Ramed n’arrivent pas dans des dispensaires sous-équipés. Il y a fort à parier néanmoins que la décompensation du gaz et du sucre, décision a priori impopulaire, ne se fera pas en 2016, élections législatives obligent.
Réforme des retraites : l’urgence
Tout porte à croire que l’année 2016 sera celle de la réforme des retraites. Enfin ! Serait-on tenté de dire, tant cette réforme cruciale pour l’avenir de nos retraités se fait attendre. «Ce sujet a pris trop de temps», reconnaît Boussaïd. «Si on continue comme cela, même la réforme paramétrique ne suffira plus, et plus on repousse la réforme, plus elle deviendra coûteuse», ajoute le ministre. Il faut entamer la réforme le plus tôt possible, selon le ministre des Finances, sinon «la descente aux enfers va continuer». Preuve de l’imminence de la réforme, le gouvernement a déjà introduit dans le Budget 2016 l’augmentation des cotisations patronales dans les charges communes.
En outre, 4 lois sur les retraites sont en préparation, en concertation avec les partenaires sociaux. Reste à déterminer le timing du lancement du processus de réforme. En tout cas, le temps presse : «il faut que le régime de la CMR soit résolu d’urgence pour garantir la retraite de nos fonctionnaires», conclut Boussaïd.
Contrôle fiscal : «une révolution»
C’est l’une des grandes nouveautés de ce PLF 2016, qui a fait l’objet d’interprétations erronées. Boussaïd réaffirme que la prescription de 4 ans est maintenue. La responsabilité sur 10 ans sera engagée uniquement pour les entreprises qui ne sont pas dans l’informel mais qui ne déposent pas leurs bilans et leurs déclarations chaque année, comme l’impose la loi. «A partir de 2017, entrera en vigueur la généralisation de la télédéclaration et du télépaiement. Le contrôle machine permettra de vérifier toutes les déclarations. En cas d’écart important avec la norme, le contribuable aura la possibilité, dans un délai d’un mois, de procéder à un redressement. C’est une véritable révolution dans notre pays», déclare Boussaïd. «Pour ceux qui ne déclarent pas, nous allons chercher la responsabilité sur 10 ans», précise-t-il.
Le ministre se félicite, par ailleurs, des efforts importants de synergie entre l’administration fiscale et la douane contre la fraude. Ces synergies ont déjà permis d’identifier une centaine d’entreprises frauduleuses, grâce à de simples croisements de fichiers.
Quelle coopération avec le FMI ?
La deuxième Ligne de précaution et de liquidités (LPL) arrive à échéance le 30 juin 2016, et la question se pose de savoir si cette ligne de crédit sera reconduite. A priori, il semblerait que non, ou du moins, pas dans les mêmes conditions. En effet, le Royaume a considérablement amélioré ses agrégats macroéconomiques en 4 ans (voir encadré), et les conditions qui ont amené les deux premières LPL se justifient de moins en moins. «Les équipes du FMI sont présentes actuellement au Maroc, et nous sommes en discussion avec elles pour réfléchir à de nouvelles formes de coopération», indique le ministre des Finances. «Ce produit (la LPL) nous a été très utile, même si nous ne l’avons jamais tiré. Aujourd’hui, notre situation économique et financière n’a plus le même visage qu’il y a 4 ans», explique Boussaïd.
Déficit budgétaire : réduit de moitié en 4 ans
Mohamed Boussaïd l’a rappelé : le Budget 2016 intervient dans un contexte particulier dès lors qu’il sera le dernier de la législature Benkirane. C’est donc déjà l’heure des bilans, et le ministre des Finances n’a pas manqué de mettre en exergue les progrès réalisés en 4 ans sur le plan des indicateurs macro-économiques. Il a ainsi souligné qu’en l’espace de 4 ans, le déficit budgétaire a été divisé par deux. Il sera de 4,3% en 2015 et devrait afficher 3,5% en 2016. Le déficit commercial recule pour sa part de 22% sur la période, grâce à la baisse des importations de 8% et la hausse des exportations de 8%. « En 2015, les exportations de l’industrie automobile auront atteint 46 milliards de DH, alors qu’il y a 8 ans, elles n’étaient que de 10 milliards de DH. Cela a eu un impact énorme sur notre balance commerciale », se félicite Boussaïd. Les réserves de change devraient s’établir à 6 mois et 13 jours d’importations de biens et services à fin 2015, et 7 mois en 2016. Ce succès sera consolidé avec l’accélération des stratégies sectorielles, comme le Plan d’accélération industrielle ou encore le Plan énergie 2020. «A cet horizon, 42% de notre consommation électrique proviendront des énergies renouvelables. Ce qui augmentera notre indépendance énergétique et réduira les sorties de devises», conclut Boussaïd.
Samir : l’Etat intransigeant
Le dossier de la Samir a inévitablement fait son apparition pendant les débats avec la presse. Appelé à commenter la décision du raffineur d’augmenter son capital de 10 milliards de DH, Boussaïd a rappelé que la Samir est une entreprise privée et qu’à ce titre, il n’a pas à commenter cette décision. Il a néanmoins réaffirmé la position inchangée du gouvernement sur ce dossier : «l’Etat garde tous ses droits pour recouvrer son dû. La Samir, qui a bénéficié de facilités, doit honorer ses engagements».
Dans un autre registre, il a aussi tenu à clarifier le rôle de l’Etat dans cette crise. Selon le ministre, l’Etat n’a pas vocation à sauver directement les entreprises privées. Il doit certes écouter les doléances des uns et des autres, mais il ne doit en aucun cas intervenir, que ce soit pour renflouer une entreprise ou sauver des emplois. Voilà qui va déplaire aux syndicats des salariés de la Samir, qui appellent, depuis le début de la crise, à une entrée de l’Etat dans le capital du raffineur, et à préserver ainsi les quelque 1.200 emplois directs menacés.
Amine Elkadiri