A Doha, dimanche 17 avril, les 18 pays producteurs de pétrole ne sont pas parvenus à trouver un accord sur le gel de la production pour rééquilibrer le marché. Les fortes dissensions entre l’Iran, fraîchement sorti d’un blocus économique, et l’Arabie Saoudite, leader de l’OPEP, rendent tout accord impossible. Certains pays exportateurs sont durement impactés par les niveaux bas des cours de l’or noir, en particulier au niveau des finances publiques. En réalité, l’ère post-pétrole a déjà commencé. Le point avec Omar Fassal, expert en finance internationale, et responsable développement de l’investissement international chez CDG Capital.
Finances News Hebdo : Un accord entre pays producteurs sur un gel de la production n'incluant pas l'Iran est-il envisageable ?
Omar Fassal : Non, le dénouement de la réunion de Doha l’a clairement montré. L’Iran sort d’un blocus économique qui a freiné les investissements dans son secteur pétrolier. La levée des sanctions suite à l’accord trouvé avec les Occidentaux sur le dossier du nucléaire, devait leur permettre de relancer leur outil de production. L’Iran souhaite donc augmenter sa cadence de production, pour revigorer son industrie pétrolière et profiter de la levée des sanctions. Sauf que l’entrée de l’Iran sur le marché tombe mal, à un moment où l’excès de l’offre sur la demande se chiffre à 1,5 million de barils par jour au premier trimestre 2016. L’Arabie Saoudite, leader de l’OPEP, souhaite que l’effort de coupe dans la production soit collectif, ce qui implique que l’Iran, malgré son contexte particulier, accepte au moins de freiner sa production au niveau actuel. L’Arabie Saoudite semblait au début du week-end très encline à trouver un accord, mais le fait que les Iraniens n’aient même pas envoyé une délégation forte à la réunion de Doha a changé la donne. Pas d’accord si l’Iran n’est pas sur la même longueur d’onde.
F.N.H. : La chute des réserves de change et les difficultés budgétaires de certains pays exportateurs ne sont-ils pas des facteurs qui plaident pour un accord sur la production dans un avenir proche ?
O. F. : Les difficultés budgétaires sont apparues en 2015, et vont se renforcer cette année. Plusieurs pays membres de l’OPEP, qui sont très dépendants de l’industrie pétrolière pour financer leur économie, ont vu leur déficit budgétaire se creuser. Les déficits budgétaires les plus forts attendus cette année sont ceux de la Libye, un pays secoué par de multiples enjeux sécuritaires, avec un déficit qui représente -58% du PIB, et le Venezuela, qui traverse une crise énergétique très grave malgré ses premières réserves mondiales prouvées de pétrole, avec un déficit budgétaire atteignant 25% du PIB. Quant à l'Arabie Saoudite, le pays qui donne le «La» historiquement au niveau de l’OPEP, son déficit affiche près de 12% du PIB en 2016 contre 3,5% en 2014, selon les données du FMI. En d’autres termes, les pressions sont fortes.
Malgré cela, un accord semble très volatil, en raison des enjeux diplomatiques qui ont pris le pas sur les enjeux financiers. Entre-temps, les pays à hauts revenus avec de larges réserves de change sont à l’abri, même si des réflexions majeures sont à l’ordre du jour pour commencer à appréhender l’ère post-pétrole. D’un autre côté, les pays à revenus plus modérés traversent des conjonctures difficiles. C’est le cas du Nigéria, de l’Equateur et du Venezuela.
F.N.H. : Comment les prix du pétrole peuvent-ils évoluer durant les mois qui viennent ?
O. F. : Les intervenants attendent encore une hausse du pétrole alors que celle-ci est déjà devenue une réalité. Le baril a grimpé d’un plus bas de 28 dollars fin janvier à 42 dollars aujourd’hui, ce qui représente +50%. Sur l’année 2016, les prix sont en progression de +13%. Même si les pays de l’OPEP ont du mal à trouver un accord, l’excédent de production qui existe sur le marché continue d’être rogné. Nous sommes passés d’un excédent de près de 2 millions de barils par jour au milieu de l’année 2015, à 1,5 million actuellement. La production n’augmente pas rapidement, alors que la demande continue de croitre à un rythme modéré. Elément important à prendre en considération, la baisse notable des investissements dans les capacités de production futures. Cela signifie qu’arrivé à un certain point, la demande augmentera plus rapidement que la production, et le marché sera de nouveau rééquilibré, ce qui représente un soutien pour les prix.
Mais l’Arabie Saoudite s’apprête à annoncer un plan de réforme global pour réorienter son économie vers l’ère post-pétrole. Il ne faut donc pas s’attendre dans l’immédiat à un prix qui retournerait au niveau des 100 dollars qu’on a pu connaître précédemment. Anecdote intéressante, la famille américaine Rockefeller, qui avait bâti sa fortune sur l’industrie pétrolière, a cédé ses dernières participations dans le secteur. Cela montre que le monde post-pétrole n’est pas une utopie, mais un mécanisme de transformation global et réel, qui s’étalera sur plusieurs générations. L’exploitation du pétrole n’a pas fait disparaitre le charbon du jour au lendemain, il est d’ailleurs toujours employé de nos jours. Mais cela a fait baisser significativement sa part dans plusieurs pays, qui ont préféré se reconvertir vers la dernière technologie disponible avec tous ses avantages. C’est en ces termes qu’il faut appréhender la transition énergétique que nous abordons. Voir le Maroc se transformer en pionnier dans cette évolution technologique est une fierté pour nous tous.
L’hypersensibilité des marchés financiers au cours du pétrole
Les marchés financiers mondiaux ne savent plus où donner de la tête. La semaine dernière, alors que la Russie et l’Arabie Saoudite faisaient part de leur intention de trouver un accord sur le gel de la production, le prix du pétrole s’est apprécié de 6% en une journée, dépassant les 45 dollars. Dans le sillage de cette hausse, les principales places boursières ont flambé. Au lendemain de l’échec de la réunion de Doha, le pétrole repartait à la baisse et les Bourses, notamment asiatiques, ont replongé (-3,4% à Tokyo et -1,44% à Shangaï). Dans une récente note de recherche, la banque Natixis explique que «les marchés financiers dans les pays de l’OCDE progressent aujourd’hui quand le prix du pétrole monte, et reculent quand il diminue». Et d’ajouter : «La corrélation entre le prix du pétrole et l’évolution de l’ensemble des marchés financiers est impressionnante. Les marchés financiers réagissent positivement aux hausses du prix du pétrole, car ils sont concentrés sur les gagnants de ces hausses comme le secteur pétrolier et les industries liées comme la métallurgie».
Propos recueillis par Amine Elkadiri