◆ Les prévisions de la Banque centrale sont confrontées à «un niveau exceptionnellement élevé d'incertitudes».
◆ Abdellatif Jouahri prêt à intervenir à tout moment si nécessaire.
Par A. Hlimi
Pris d'euphorie avec les multiples annonces relatives au déconfinement, les opérateurs économiques ont été rappelés à la réalité par le wali de la Banque centrale mardi. Car, si le terme Covid-19 faisait sa grande rentrée dans le communiqué de la Banque centrale en mars dernier, cette fois-ci, c'est le mot incertitude que l'on retrouve dans plusieurs paragraphes.
Un sentiment confirmé en conférence de presse, lors de laquelle Abdellatif Jouahri a martelé que les prévisions de la Banque centrale sont confrontées à «un niveau exceptionnellement élevé d'incertitudes» et que «la balance des risques était à la baisse». Une manière pour lui d'inviter les acteurs économiques à redoubler d'efforts pour que l'économie marocaine quitte la zone de turbulence le plus vite possible.
Des prévisions de croissance fortement revues à la baisse
L'économie accuserait, selon les projections de Bank Al-Maghrib, une contraction de 5,2% en 2020, la plus forte depuis 1996.
Cette prévision a été fortement revue à la baisse, car elle était de 2,3% en mars dernier. Dans le détail, la valeur ajoutée agricole connaîtrait un recul de 4,6%, avec une récolte céréalière estimée par le département de l'Agriculture à 30 millions de quintaux, et celle des activités non agricoles diminuerait de 5,3%.
En 2021, la croissance marquerait un rebond à 4,2%, avec une augmentation de la valeur ajoutée agricole de 12,4%, sous l'hypothèse d'une production céréalière de 75 millions de quintaux, et d'une amélioration du rythme des activités non agricoles à 3,1%.
Mais selon les scénarios d’une reprise plus lente de l'activité ou de la persistance de la faiblesse de la demande étrangère et des perturbations des chaînes d'approvisionnement, la récession serait beaucoup plus profonde.
La Banque centrale, qui a donc choisi comme scénario central pour ses prévisions l'hypothèse d'une reprise en «V», s'attend à un déficit budgétaire, hors privatisation, de 7,6% en 2020 (contre une estimation de 4% en mars), avant de s'atténuer à 5% en 2021.
Dans ces conditions, l'endettement du Trésor devrait augmenter, passant de 65,0% du PIB en 2019 à 75,3% en 2020 et à 75,4% en 2021.
Une crise de liquidité qu'on aurait pu éviter ?
La circulation de cash a explosé de 38,5 Mds de dirhams depuis le début de l'année contre moins de 19 Mds de dirhams sur toute l'année 2019.
Cet indicateur clignote en rouge dans le tableau de bord du secteur bancaire. Car, à titre de comparaison, c'est l'équivalent de la Ligne de précaution et de liquidité (LPL) tirée auprès du FMI qui a été transformée en cash. Interpellé sur ce point, le wali de la Banque centrale a expliqué ce phénomène par les aides gouvernementales à l'informel, nécessaires, mais qui créent des tensions sur les liquidités bancaires. Selon lui, le Maroc paie les retards dans le déploiement du paiement mobile à grande échelle qui aurait pu éviter ces tensions.
Car, si les agréments ont été donnés à une multitude d'acteurs bancaires et non bancaires, le switch déployé et l'interopérabilité opérationnalisée (malgré beaucoup de retard); la non-adhésion des commerçants a bloqué l'essor de ce mécanisme qui aurait pu faciliter le transfert des aides de manière dématérialisée.
Pour rectifier le tir, le wali insiste sur l'instauration d'avantages fiscaux pour les commerçants qui accepteraient de s'équiper, lors des prochaines Lois de Finances, dont celle rectificative de juin.
Rappelons que la Loi de Finances 2019 avait déjà introduit quelques mesures dans ce sens sous l'impulsion de la Banque centrale.
Une politique monétaire accommodante et réactive
C'est la promesse de Abdellatif Jouahri. En supprimant la réserve obligatoire des banques, qui aura pour effet immédiat l'injection de 10 Mds de dirhams supplémentaires dans le circuit bancaire, et en ramenant le taux directeur à 1,5%, avec effet immédiat sur les produits CCG mis en place par le Comité de veille économique (CVE) et indexés sur le taux directeur, le Conseil de BAM poursuit sa politique accommodante, avec même un rythme plus soutenu qu'anticipé par les opérateurs.
Mais, encore une fois, les incertitudes pousseront BAM à intervenir à tout moment, hors période du Conseil, si les données économiques le nécessitent.
Jouahri ferme la porte à tout assouplissement quantitatif
Pas de Quantitative Easing ni de planche à billets sous toutes ses formes au Maroc. Le wali de Bank Al-Maghrib a profité de la conférence de presse pour clore ce débat d'une manière directe, franche et sans ambiguïté.
Selon lui, les politiciens, analystes et autres économistes qui se sont prononcés pour ce type de méthodes (www.fnh.ma) ne considèrent pas les contraintes liées à l'impact négatif sur la rémunération de l'épargne, le taux de change du Dirham, les réserves de change ou encore le compte courant, donnant l'exemple d'un pays voisin (l'Algérie, sans la citer) qui a eu recours à la planche à billets avec des répercussions désastreuses sur les réserves de change.
Le wali de la Banque centrale a dit niet à ce type de méthodes suite à une question d’un journaliste. «Nous avons mis 25 ans pour sortir d'une crise économique et monétaire dont il ne faut pas oublier les leçons», a-t-il conclu à ce sujet.