L’agence américaine de notation Standard & Poor’s Global Ratings a rehaussé la perspective de croissance du Maroc, de «stable» à «positive». Selon les experts, cette notation sera d’un avantage considérable pour le Royaume tant au niveau national qu’international. Entretien avec Hassan Edman, professeur universitaire d’économie et gestion à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agadir.
Propos recueillis par D. M.
Finances News Hebdo : Quels sont les facteurs et indicateurs économiques qui ont conduit au changement de la perspective de notation du Maroc de «stable» à «positive» par l’agence américaine Standard&Poor’s ?
Hassan Edman : Par référence à son modèle quantitatif de notation souveraine, S&P se base sur des données et indicateurs économiques relevant de cinq (5) piliers : environnement politique et institutionnel, performance macroéconomique, état des finances publiques, système financier et monétaire et finances extérieures. La notation prend une forme alphabétique et va de AAA la note la plus haute, à D la note la plus basse. Ensuite, on attribue à chaque note obtenue une perspective (Outlook), négative, stable ou positive. L’Outlook S&P renseigne sur les changements probables dans la notation dans une période prochaine allant de 6 mois à trois ans. Pour le Maroc, la récente notation du 29 mars 2024 a maintenu inchangée la note de la dette souveraine du Maroc (BB+/B), tout en relevant la perspective (Outlook) de stable à positive.
Il s’agit ainsi d’une confirmation de la notation, malgré le contexte économique délicat et incertain que vit l’économie nationale et mondiale, en même temps qu’une révision, à la hausse, de la perspective sur la poursuite des réformes sociaux économiques et budgétaires. Les facteurs qui ont conduit à ce changement sont multiples et de différentes natures. La nouvelle appréciation de S&P est soutenue principalement par les réformes et les avancées du pays, au niveau économique, social, institutionnel et également en matière des nouveaux choix stratégiques de la politique publique. S&P estime que le changement en cours dans la structure économique profitera d’abord aux perspectives de croissance, à la stabilité économique et à l’assainissement budgétaire. Les réformes économiques structurelles dont parle S&P résident dans l’élimination progressive des subventions restantes sur le gaz butane, le blé et le sucre, la réforme de la TVA et la simplification du système fiscal. De plus, l’économie marocaine a fait preuve d’une grande capacité de résilience face à plusieurs chocs mondiaux, régionaux et locaux, ces dernières années, notamment la flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires liée à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la pandémie du Covid-19, plusieurs années de sécheresse, et dernièrement le tremblement de terre d’Al Haouz.
Dans le même registre, le Maroc bénéficie, de la part du FMI, d’un niveau très rassurant d’assurance et de sécurité financière contre les chocs externes, notamment ceux liés aux aléas climatiques. En outre, la confirmation de la note et l’amélioration de la perspective sont dues aussi au chantier grandiose d’extension de la protection sociale, et à la large démarche de numérisation qui devrait permettre au Maroc de formaliser davantage l’économie et de la rendre plus inclusive, et à terme d’élargir l’assiette fiscale. En plus, S&P mentionne aussi l’excellente réputation du Royaume à l’échelle internationale, en témoignent la solidarité unanime suite au séisme dévastateur d’Al Haouz et le fort engouement des investisseurs internationaux pour la dette marocaine lors de la dernière levée obligataire en mars dernier. Finalement, S&P a mis également en valeur l’engagement du Maroc dans des projets d’envergure, dont les répercussions ne seront que bénéfiques pour l’économie marocaine. Plus particulièrement, l’organisation de la Coupe d'Afrique des nations en 2025 et de la Coupe du monde de football en 2030, et de l'expansion de la capacité d'exportation du Maroc.
F.N.H. : Quel peut être l’avantage immédiat de cette notation sur la perception de l’économie marocaine à l’international auprès des bailleurs de fonds ? Et par rapport à la soutenabilité de la dette publique, sachant que le Maroc a besoin de financements internationaux ?
H. E. : L’avantage le plus immédiat, notamment de la perspective «positive», est celui de la forte probabilité d’amélioration de la notation souveraine du Maroc dans les 12 à 18 mois prochains. S&P confirme cela et déclare dans son rapport d’évaluation qu’elle pourra relever nos notes si le gouvernement continue de mettre en œuvre des réformes structurelles, entraînant une croissance économique plus forte et un élargissement de l'assiette fiscale, parallèlement à une diminution des déficits budgétaires. En tenant compte de cela, nous voyons clair que le Maroc pourrait retrouver sa position en «investment grade», s’il réussit à passer à BBB- (la notation la plus basse de cette catégorie), aux côtés de pays à niveau de risque d’insolvabilité faible. Ce qui conduira, certes, à améliorer l’image du Maroc, en tant qu’emprunteur souverain, vis-àvis les bailleurs de fonds internationaux. Ensuite, la récente appréciation positive de S&P générera une bouffée d’optimisme dans l’économie marocaine et renforcera la confiance des bailleurs et investisseurs internationaux dans la solvabilité du Royaume. Ce qui va se répercuter positivement sur la soutenabilité de la dette publique, tant extérieure qu’intérieure.
Cette dernière s’avère nécessaire pour le financement de l’économie nationale, surtout face à l’insuffisance de l’épargne au Maroc. De surcroît, une bonne notation souveraine est un facteur essentiel pour booster l’attractivité aux investissements internationaux. Ce genre d’évaluation a un poids significatif dans la détermination du coût d’emprunt d’un pays, du fait qu’il signale aux investisseurs le niveau de risque auquel ils peuvent être confrontés. En même temps, et il faut le signaler, il y a encore du pain sur la planche et du travail à faire, pour plus d’attraction des fonds internationaux, surtout face aux concurrents classiques, notamment du bassin méditerranéen. Avec la notation BB+, nous sommes encore dans la zone des élèves moins bons, la «speculative grade», où le niveau de risque et le coût des crédits sont plus élevés. Alors que nos voisins de la rive nord sont classés dans la «investment grade». À titre d’exemple, Malte A, Portugal BBB, Espagne A, Italie BBB et France AA.
F.N.H. : L’élargissement fiscal passe-t-il par l’inclusion de l’informel dans le circuit formel ? Si oui, par quelle mesure cela peut être fait aujourd’hui, sachant que l’économie marocaine subit l’informel qui est évalué à 77% ?
H. E. : Exactement, la fiscalisation de l’informel est une mesure incontournable pour l’élargissement de l’assiette fiscale et l’augmentation des ressources budgétaires de manière générale. Selon une étude du Conseil économique, social et environnemental (CESE), le manque à gagner fiscal est évalué à 40 milliards de dirhams. A mon sens, l’intégration du secteur informel dans le système fiscal ne peut être réussie que par des mesures incitatives et graduelles, sur trois voies parallèles : réglementaire, d’incitation fiscale et communicationnelle. Conjointement avec des mesures d’accompagnement et d’aide à la transition douce et correcte vers le formel. Dans ce cadre, il importe de rappeler que la dernière Loi de Finances 2024 a institué un nouveau régime optionnel d’autoliquidation de la TVA, afin d’intégrer le secteur informel dans l’économie nationale et lutter contre la fraude fiscale.
Ce régime était conçu pour permettre aux personnes exerçant une activité soumise à la TVA de calculer elles-mêmes le montant de la TVA sur leurs achats effectués auprès de fournisseurs non assujettis à la TVA ou exonérés sans droit de déduction. Étant donné que «trop d’impôt tue l’impôt» ou encore «le taux mange l’assiette», l'allègement de la pression fiscale parait nécessaire. Cela doit concerner l’imposition du travail et aussi des outils de production. Autrement, il faut limiter les facteurs motivant le choix de produire dans l'informel, uniquement pour des raisons de lourdeur fiscale. Selon la courbe de Lafer (Arthur Laffer, économiste américain), augmenter les prélèvements provoque une diminution des recettes budgétaires plutôt qu'une hausse, car cela décourage l'activité économique formelle et comptabilisée. En outre, il faut agir pareillement sur la fiscalité locale, qui est souvent omise. Je parle très particulièrement des communes, où les arrêtés fiscaux communaux n’incitent pas véritablement à opérer dans des activités formelles. Je pense qu’il est temps de simplifier et réduire la fiscalité locale à seulement deux impôts locaux couvrant, d’une part, les taxes en lien avec l’habitation et, d’autre part, celles relevant de l’activité professionnelle. Au niveau communicationnel, il faut sensibiliser les consommateurs aux risques et méfaits de l’informel, quelles que soient ses formes et ses facettes, des activités en dehors du système fiscal, aux pratiques souterraines et illicites des entreprises formelles.