Malgré une baisse de plus de 9% en une semaine et de 30% en moins de 12 mois, le marché actions n’offre toujours pas de rendements supérieurs aux rendements anticipés sur les bons du Trésor. Les investisseurs craignent un effet d’éviction qui maintiendrait les actions à un niveau bas pendant un bon moment.
Par A. Hlimi
“Cette crise est plus difficile que la crise Covid», nous dit l’un des nombreux gérants ou traders taux qui ont bien voulu nous éclairer sur la situation durant cette semaine mouvementée. Il faut dire qu’un consensus marché se met en place en faveur d’une crise durable, alors que celle du Covid, bien que spectaculaire, s’est caractérisée par un plongeon vif de la Bourse suivi d’un rebond en «V». Un scénario écarté aujourd’hui.
«En 2020, Bank Al-Maghrib a assoupli les conditions d’accès aux financements dès le mois de mars. Elle a triplé la possibilité de recours des banques tout en élargissant le collatéral. Le taux directeur avait été ramené à ses plus bas historiques quelques semaines après le début de la crise», nous rappelle-t-on. Les flux financiers ont ainsi alimenté un rebond durable de la Bourse pendant plus de 20 mois. Cette année, les conditions financières sont restrictives et le resteront tant que Bank Al-Maghrib cherche à mater l’inflation.
Le marché obligataire, que le Trésor a longtemps cherché à maintenir à des niveaux qui lui conviennent et qui ne reflètent pas les vraies anticipations du marché, connait désormais un ajustement qualifié de violent et même d’historique par certains traders. En l’espace d’une semaine, les taux à 10 ans ont gagné 100 points de base sur le marché secondaire et près de 200 points de base sur le 30 ans, et cela pourrait se poursuivre en fonction des anticipations sur la politique monétaire.
Effet d’éviction
Le marché primaire, où le Trésor émet directement des titres de première main pour se financer, devrait connaitre la même tendance la semaine prochaine. Mais d’une ampleur qui reste à définir. «Si l’on prend en benchmark le secondaire, le 10 ans devrait dépasser 4% sur le primaire la semaine prochaine», indique un gérant. Dans la tête d'un investisseur institutionnel, ce rendement est bien plus intéressant que les rendements actuels de la Bourse, même après une baisse de 10% des indices cette semaine. Car aux niveaux actuels, avec un MASI à 9.700 points, le marché affiche un rendement dividende de 4% sur la base des projections de bénéfices de CFG Bank pour l’année 2022 publiées auparavant et que l'on retrouve dans la récap hebdomadaire du courtier. Autant dire qu’une prise de risque sur les actions n’est pas correctement rémunérée, même après cette baisse.
A regarder les grandes capitalisations de manière individuelle, des actions comme Maroc Telecom, Cosumar ou LafargeHolcim affichent des rendements sur la base des projections de bénéfices 2022 de respectivement 3,3%, 4,3% et 5,6%. Là aussi, le risque n’est pas rémunéré malgré les fortes baisses de ces titres. Selon un sondage réalisé par Attijari Global Research auprès des investisseurs professionnels en octobre 2022, l’exigence de rentabilité annuelle des investisseurs dans les conditions du marché à l’époque était de 11% pour un horizon de placement supérieur à 5 ans. Une prime de risque qui s’est sans doute appréciée depuis. Cette situation fait dire aux opérateurs que nous risquons de vivre une année sous le signe de l’effet d’éviction, où les investisseurs préféreront financer l’Etat à de meilleurs taux plutôt que le privé, qu’il soit coté ou pas d’ailleurs. «Private Equity, foncier, OPCI, immobilier non côté ou titrisation et financements innovants…, tout perdrait de son attractivité si les rendements obligataires se stabilisent à des niveaux élevés», résume un gérant obligataire.
Reprise en «W» ou «WW»
Dans cette configuration, les actions pourraient garder un niveau durablement bas et ne retrouver un trend haussier qu’après un renversement de tendance sur les taux ou une nette amélioration de la situation économique. C’est donc une reprise en «W», voire en «WW», sur plusieurs mois, qui semble faire consensus plutôt qu’un rebond vif après le point bas comme en 2020. Le FMI avait alerté sur ce risque d’effet d’éviction dès 2021, justement en observant le niveau de taux extrêmement bas qu’avait atteint le marché obligataire, alors qu’en face l’Etat augmentait sensiblement ses dépenses pour amorcer la relance post-Covid. Outre le niveau des rendements obligataires, la stabilisation de la Bourse dépendra aussi de la campagne agricole, des futures décisions de la Banque centrale et de la capacité des entreprises à enjamber l’impact de la hausse des coûts et des charges financières.