Considéré par ses initiateurs comme étant un projet volontariste, à forte vocation sociale et priorisant l’investissement privé et l’emploi, le PLF 2018 est fondé sur les hypothèses suivantes : un taux de croissance de 3,2%, basé essentiellement sur un cours moyen de gaz butane à 380 $/tonne, un cours de pétrole à 60 $ le baril et une production céréalière de 70 Mqx.
Des hypothèses qui paraissent irréalistes a priori, à cause du manque de pluviométrie augurant d’une campagne agricole au-dessous de la moyenne et, surtout, du prix du pétrole qui commence à grimper (actuellement à 64 $ le baril), avec toutes les conséquences qui en découlent sur le plan commercial et budgétaire.
Dans ce cas de figure, l’Exécutif sera-t-il amené à activer la Loi de Finances rectificative (LFR) ? Cette dernière servirait ainsi à corriger les dépenses et les recettes prévues dans la Loi de Finances initiale, compte tenu de l’évolution de la conjoncture économique et financière.
Interrogé par nos soins sur un éventuel recours à la LFR, un haut cadre du ministère de l’Economie et des Finances nuance : «En ce qui concerne la campagne agricole, même si l’on parle d’un mauvais départ, la production ne serait pas très inférieure à 70 Mqx. Nous sommes donc à quelques différences près. L’autre hypothèse importante est le gaz butane, qui compte beaucoup dans les dépenses liées à la compensation, mais qui n’augure pas de changement. Le cours du pétrole, qui intervient dans la facture énergétique, ne connaît pas un changement notable pour l’instant». Et d’ajouter : «Il y a de très fortes chances pour que le gouvernement ne recoure pas à la Loi de Finances rectificative».
Des propos peu convaincants sachant qu'au moment où nous mettions sous presse le cours moyen du gaz butane a atteint 511 $/tonne. Mais cela n’empêche pas notre source de reconnaître que voter une LFR en 15 jours, comme cela est stipulé dans la nouvelle Loi organique des Finances, est un grand pas en avant. «Désormais, en cas d’extrême urgence, le recours à une LRF se fera de manière systématique», tient-il à rappeler.
Ce qui a changé
Aujourd’hui, avec la Loi organique des Finances entrée en vigueur en juin 2015, la donne a complètement changé. Ce nouveau texte a introduit certaines améliorations à celui qui l’avait précédé (programmation budgétaire pluriannuelle, refonte de la nomenclature budgétaire, rapports de performance, information du Parlement plus tôt qu’auparavant, Loi de Finances rectificative…).
Dans la nouvelle LOF, le projet de Loi de Finances rectificative est voté par le Parlement dans un délai n’excédant pas 15 jours après son dépôt par le gouvernement sur le bureau de la Chambre des représentants. Dans le détail, la Chambre des représentants se prononce sur le projet de Loi de Finances rectificative dans un délai de huit jours suivant la date de dépôt. Dès le vote dudit projet ou à l’expiration du délai prévu, le gouvernement saisit la Chambre des conseillers du texte adopté ou du texte qu’il a initialement présenté, modifié le cas échéant par des amendements votés par la Chambre des représentants, et acceptés par lui.
Tout cela ne semble pas trop enthousiasmer l’économiste Najib Akesbi qui, dans une interview accordée récemment à notre hebdomadaire sur le rôle de la Loi de Finances, précise qu’«en ce qui concerne la Loi de Finance rectificative, les textes existent et ont été réaffirmés dans la Loi organique des Finances, mais le problème n’est pas là. Il est dans le fait que depuis très longtemps, les gouvernements qui se sont succédé au Maroc répugnent à activer une telle disposition quand bien même toutes les raisons qui la justifient existent. A commencer par des faits nouveaux non prévus dans le Projet de Loi de Finances initial et qui en modifient sensiblement l’équilibre. La raison est toute simple : l’Exécutif n’a aucune envie de se représenter devant les élus pour expliquer les «écarts» et défendre ses nouvelles propositions, et le Parlement n’est pas assez fort pour imposer au gouvernement le respect d’une telle disposition légale. La raison fondamentale est donc plutôt à chercher du côté de l’énorme déficit démocratique qui plombe le pays»…
A rappeler, à juste titre d’ailleurs, que les dernières Lois de Finances rectificatives datent de 1984 (prélude au programme d’ajustement structurel) et de 1990 (institution du système d’acompte prévisionnel).
En 2011, malgré une forte modification des hypothèses retenues lors du vote du Budget, le gouvernement n’avait pas jugé utile de recourir à une Loi de Finances rectificative. A l’époque, les conjoncturistes sont montés au créneau pour dénoncer cette approche. D’après eux, cela va à l’encontre des règles les plus élémentaires de la pratique budgétaire.
A en croire les propos de notre source au sein du ministère de l’Economie et des Finances, la situation n’est pas aussi alarmante. Mais en cas de fortes variations des hypothèses, l’Exécutif aurait-il le courage de recourir à la LFR ou, comme appréhendé par N. Akesbi, hésiterait-il à le faire ? Wait and see ! ■
S. Es-siari