A l’aune des défis qui guettent l’économie mondiale, le partage de la croissance suscite le débat. L’un des plus grands défis est le chômage endémique des jeunes diplômés. Comment sortir de l’ornière ? En marge du 5ème Forum Euromed-Capial, Jaloul Ayed, ancien ministre des Finances en Tunisie, nous livre quelques pistes de réflexion.
Finances News Hebdo : Comment le par-tage de croissance serait-il possible, si l’on prend en considération que les pays du Nord souffrent des mêmes maux que les pays en développement, et ce depuis le déclenche-ment de la crise financière de 2008 ?
Jaloul Ayed : Aujourd’hui, tous les pays du monde souffrent du même problème qu’est le chômage. Dans un continent comme l’Afrique, il est plus accentué. C’est pour cela que nous insistons sur la formation brute du capital fixe (FBCF) publique et privée. En ce qui concerne l’investissement privé, nous avons besoin d’une politique en faveur des petites et moyennes entreprises. Parce qu’aussi bien en Tunisie qu’au Maroc, ce type d’entreprises souffre de l’absence de fonds propres. Bien qu’au Maroc, on remarque une certaine amélioration dans ce sens. Pourquoi venir en aide à cette typologie d’entre-prises? Tout simplement parce qu’elle représente 90% du tissu économique, d’où l’intérêt, pour cette frange d’unités de production, d’une politique de financement, de rationalisation et d’intégration dans la sphère économique et dans le marché financier. Aussi, pour partager la croissance économique, encore faut-il qu’il y ait croissance. Partager la crois-sance équivaut au partage des valeurs économiques qui sont créées. La croissance veut dire la production notable de biens et services dans un pays. Donc, plus un pays produit, plus sa croissance est importante, plus il a de chance de régler des problèmes qui se posent, tels que le chômage, en l’occurrence celui des jeunes diplômés. D’où le lien direct entre les conditions de création de la croissance, le modèle économique choisi et l’impact que peut avoir cette croissance sur la société. En l’absence de politique d’accompagnement, même les pays qui ont des taux de PIB élevés ne peuvent régler tous les problèmes.
F.N.H. : Justement, le problème du chômage des jeunes se pose avec acuité pour les pays en développement, mais aussi les pays riches, et ce en dépit de toutes les politiques d’emploi mises en oeuvre. Comment le résoudre, ou quel modèle de croissance faut-il adopter ?
J. A. : Au risque de simplifier à outrance, je dirai qu’il y a deux modèles de croissance : celui basé sur la demande intérieure et celui basé sur l’offre, c’est-à-dire sur la production. Evidemment, les deux modèles coexistent parce qu’il y a une demande intérieure. La question qui se pose : Concernant nos pays, quel modèle devons-nous favoriser ? Est-il important de favoriser un modèle basé sur l’investissement ? Lorsque nous parlons d’investissement, il y a trois sources : l’investissement public, privé national et celui étranger. Il est favorable de mettre en place une politique qui encourage les trois sources de l’inves-tissement. L’investissement public est souvent handicapé par le Budget, par l’espace fiscal du gouvernement. Ce dernier n’a pas toujours la possibilité d’investir autant qu’il l’aurait souhaité, c’est pour cela qu’il faut promouvoir l’investissement privé et celui étranger. Ce sont les deux principales sources de création de croissance et d’emplois dans une économie. Pour y arriver, il faut évaluer un certain nombre de critères tels que l’environnement des affaires, la politique de l’emploi, les incitations accordées par le gouverne-ment… Tous ces facteurs entrent en jeu lorsqu’on jauge la capacité d’un pays ou d’un gouvernement à promouvoir l’investissement.
F.N.H. : D’après vous, le problème de la PME est plus un problème de fonds propres que d’accès au crédit bancaire. Toutefois, d’après d’autres intervenants, les fonds d’investisse-ment existent, sont disponibles, mais ne sont pas utilisés à bon escient ou ne sont guère utilisés…
J. A. : La problématique de la PME est très souvent posée comme étant une difficulté d’accès au finance-ment bancaire. Ce qui est vrai. Mais avant d’arriver au financement bancaire, il y a un autre point beaucoup plus important et qui peut faciliter le financement bancaire : c’est l’accès au marché de fonds propres. Lorsqu’une entreprise va en Bourse, elle peut lever des capitaux. Or, la plupart de nos entreprises sont très petites ou de taille moyenne et n’ont donc pas la capacité de lever des fonds. Par conséquent, elles doivent avoir accès au marché du capital investisse-ment. D’où la nécessité de créer ces fonds d’inves-tissement pour permettre aux PME de renforcer leurs fonds propres. Parce qu’avec des fonds propres solides, il n’y a aucune raison pour que les banques refusent le dossier et donc l’octroi de crédits.
Propos recueillis par Soubha Es-Siari