Abdellatif Nasserdine, administrateur-Directeur général du Fonds Infra Invest
- Le Maroc jouit d’une expertise confirmée et reconnue en matière de financement des grands projets d’infrastructures.
- Abdellatif Nasserdine, administrateur-Directeur général du Fonds Infra Invest, filiale de RMA Capital et gestionnaire du Fonds ARIF, nous explique les subtilités de l’investissement en equity dans les projets d’infrastructures.
Finances News Hebdo : En tant que gestionnaire du Fonds Arif, qu'estce qui a été à l'origine de votre engagement dans la réalisation de la centrale éolienne Khalladi inaugurée récemment ?
Abdellatif Nasserdine : Infra Invest a lancé, en juillet 2010, son premier fonds d’investissement panafricain ARIF spécialisé dans le financement en equity des projets et des actifs dans les secteurs de l’infrastructure et de l’énergie.
ARIF est sponsorisé par la Royale Marocaine d’Assurance et par les institutions de financement de développement (BAD, BEI, BIO, Proparco et SFI). La stratégie d’investissement du Fonds ARIF vise la prise de participation minoritaire dans le capital des projets greenfield (à développer et à construire) et brownfield (en exploitation), en particulier dans le secteur des énergies renouvelables et, de manière générale, dans les projets d’infrastructures viables et à fort impact de développement.
Outre l’impact des investissements dans les infrastructures sur le développement socioéconomique, l’objectif du fonds est d’offrir à ses actionnaires des investissements dans une classe d’actifs caractérisée par des fortes barrières à l’entrée et une certaine stabilité des cash-flow sur le long terme. C’est dans ce cadre qu’Infra Invest a étudié de manière sélective, un nombre très important de projets au Maroc et dans d’autres pays du continent dans différents secteurs éligibles. En ce qui concerne le parc éolien Khalladi,
Infra Invest a participé à son développement depuis 2011, ce qui a permis au Fonds ARIF d’entrer dans le capital du projet dès l’année 2014. L’implication d’Infra Invest aux premiers stades de développement du projet a été dictée par la rareté des projets d’infrastructures bancables, par le cycle long de développement des projets et par la compétition et l’engouement suscité par les projets renouvelables à l’échelle planétaire.
F.N.H. : Comment jugez-vous la rentabilité et l'opportunité du projet Khalladi qui a nécessité un investissement de 1,7 Md de DH ?
A. N. : La rentabilité financière du projet est satisfaisante pour les actionnaires. Mais d’autres facteurs font que le projet éolien Khalladi est une success-story. En effet, il est l’un des rares projets à atteindre le closing financier et à être mis en exploitation avec succès dans le cadre de la loi 13-09. Le projet a été financé sur une base purement commerciale sans aucune subvention tarifaire. Le projet commercialise l’énergie produite (plus de 380 GWh par an) à des clients industriels, sur la base de PPA à long terme (Power Purchase agreement ndlr), à des tarifs compétitifs. Les clients du parc améliorent de manière significative leur empreinte carbone et réalisent des économies substantielles sur le facteur de production le plus important qui est la consommation d’électricité. Enfin, le projet contribue de manière significative à la réalisation des objectifs fixés par le Royaume du Maroc en matière d’énergies renouvelables et d’amélioration de l’indépendance énergétique.
F.N.H. : Quelle est votre appréciation sur la bancabilité et l'expertise du montage des projets d'infrastructures au Maroc et en Afrique, notamment dans les pays où vous avez un retour d'expérience ?
A. N. : Le Maroc jouit d’une expertise confirmée et reconnue en matière de financement des grands projets d’infrastructures en particulier les IPPs (Producteurs indépendants d’électricité ndlr) dans le secteur de la production d’électricité.
Cette expertise couvre les financements structurés et les financements de projets en dette locale et en devises. En plus de l’expertise financière qui n’est plus à démontrer, le Maroc dispose des compétences techniques nécessaires au développement et la structuration de projets bancables répondant aux standards internationaux en la matière dans les différents secteurs des infrastructures.
En ce qui concerne spécifiquement le projet Khalladi, sa bancabilité a été assurée par un cadre juridique et réglementaire favorable, un gisement éolien de grande qualité sécurisé suite à un long processus de développement, et par l’engagement long terme de trois cimentiers à acheter l’électricité du projet dans la limite d’un volume réservé, ainsi que par un apport important en fonds propres des actionnaires.
Cela dit, et s’agissant d’un projet qui ne bénéficie d’aucune garantie gouvernementale, le soutien du pool bancaire constitué par BMCE Bank of Africa, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et le Fonds CTF a été décisif pour la réussite du projet. Sans oublier le soutien des autorités publiques, tant au niveau local qu’au niveau de l’administration centrale, en matière de demandes d’autorisations instruites par le projet dans le cadre des démarches administratives et réglementaires prévues à cet effet.
Toutefois, selon notre expérience, il faut reconnaître qu’en général, le continent africain, dont le rattrapage du déficit en matière des infrastructures nécessite des investissements annuels de l’ordre de 4% du PIB, souffre de la rareté des projets d’infrastructures bancables et bien structurés, ce qui est une exigence clé à la réussite du processus de développement d’un projet et une condition sine qua non à la levée des capitaux nécessaires à son aboutissement.
F.N.H. : De façon globale, comment se porte le secteur des infrastructures au Maroc et quels sont les défis ?
A. N. : Le secteur des Infrastructures est une locomotive de développement économique du Maroc. La politique des grands chantiers a donné ses fruits en matière d’amélioration de la qualité des infrastructures de base et de l’impact positif sur la compétitivité de l’économie nationale. Cette politique doit se poursuivre avec les ajustements et les ciblages nécessaires pour créer plus d’emplois et pour une économie plus inclusive.
Le principal défi est de mettre au même niveau les autres secteurs des infrastructures (en comparaison avec les progrès réalisés dans les secteurs de l’énergie des ports et des autoroutes par exemple). Je pense en particulier aux secteurs de la santé et de l’éducation, par le recours notamment à la loi portant sur le partenariat public-privé (PPP) et à des montages innovants qui mobilisent les financements concessionnels et les financements du secteur privé à l’instar de ce qui a été réalisé par Masen.
L’autre défi est de développer les compétences (notamment en matière de gouvernance) nécessaires pour accompagner la politique de régionalisation avancée et associer les grandes villes et les régions au choix et à la réalisation des programmes d’infrastructures les plus pertinents. Pour accroître l’intervention du secteur privé dans le financement des infrastructures, il est primordial de donner de la visibilité aux investisseurs et aux opérateurs sur les stratégies et politiques sectorielles à moyen et à long terme, et surtout donner de la visibilité à court et à moyen termes sur le pipeline des projets à construire par secteur.
Pour accompagner les besoins croissants du pays en matière de développement des infrastructures de base (vecteur principal de développement économique), il sera nécessaire de mobiliser d’autres sources de financement, notamment la mobilisation de l’épargne longue en faveur des investissements dans les infrastructures, en permettant aux fonds de pension et aux compagnies d’assurances de participer aux opérations de financement dans des conditions réglementaires adéquates.
F.N.H. : Enfin, quelles sont les ambitions de Infra Invest à court et moyen terme ?
A. N. : En qualité de gestionnaire de fonds, Infra Invest est particulièrement fière du bilan de son activité sur les huit dernières années, qui peut se résumer par la levée d’un fonds panafricain, la constitution d’une équipe professionnelle, l’investissement de plus de 50 millions d’euros dans un portefeuille diversifié dans l’éolien, le solaire, les ports et les industries liées aux infrastructures. Infra Invest a réalisé des désinvestissements avec des retours sur investissement très honorables.
Notre ambition à court terme est de mener à bien les investissements du portefeuille en cours, qui sont soit en phase de clôture financière, soit en démarrage de la construction, de poursuivre la politique de création de valeur pour nos actionnaires. Ceci dans la continuité du respect des standards les plus rigoureux en matière de gouvernance, de transparence et de politique environnementale et sociale respectueuse de l’environnement et inclusive pour les communautés concernées par nos projets d’investissement.
Notre projet à terme est de maintenir notre rôle d’acteur marocain pionnier et actif dans l’investissement en equity dans les infrastructures, ce qui implique, dans l’ordre, le positionnement sur les meilleurs projets, la création de valeur pour nos partenaires et la mobilisation des fonds nécessaires à la concrétisation de nos projets. ■
Propos recueillis par M. Diao