Le SaaS offre des avantages importants en termes de flexibilité et de réduction des coûts, mais la question de la souveraineté des données et de la compétitivité des infrastructures locales reste cruciale.
Par Y. Seddik
Longtemps frileux face à l’externalisation de ses infrastructures financières, le Maroc n’a désormais plus le luxe d’ignorer la vague SaaS qui transforme les écosystèmes bancaires et technologiques à l’échelle mondiale. Si ailleurs, le cloud, les API et la flexibilité des services à la demande sont devenus les nouveaux piliers de l’innovation financière, le Royaume avance encore à tâtons. C’est en tout cas l’idée qui s’est imposée à l’issue de l’Infra Finances Forum, tenu à Casablanca sous l’égide d’Interworld Africa en partenariat avec l’APSF, l’AUSIM et l’APEP, avec le soutien de HPS.
«Le shift est en train de se faire d’une manière très forte à l’international, mais encore timide au Maroc», concède Mohamed Chaibi, directeur des services paiement chez HPS. Si, ailleurs, l’externalisation des infrastructures informatiques au profit de solutions cloud et API est devenue un standard, le marché marocain reste réticent. En cause ? La sensibilité des données financières et une culture d’entreprise encore attachée à la possession des infrastructures plutôt qu’à leur exploitation optimisée. Cette prudence, bien que compréhensible, entrave la mutation numérique du secteur.
«Nous avons connu la même résistance avec l’hébergement des data centers hors des sièges sociaux, et aujourd’hui, c’est une évidence. Le paiement suivra la même trajectoire», prédit Chaibi. Un avis partagé par plusieurs intervenants qui pointent du doigt un frein plus psychologique que technologique. Le SaaS promet flexibilité, évolutivité et réduction des coûts. Mais à quel prix ? La question de la souveraineté des données reste cruciale. «L’externalisation ne signifie pas perte de contrôle», tempère Adil Gourari, Country Leader de Babybridge Digital.
«Il s’agit plutôt de recentrer les entreprises sur leur cœur de métier, tout en garantissant des niveaux de sécurité et de conformité optimaux grâce aux API et aux architectures hybrides», explique-t-il. Les banques marocaines, classées organismes d’importance vitale, doivent répondre à des obligations réglementaires strictes. Ce statut renforce la nécessité d’un encadrement précis des données hébergées sur le cloud. Pour éviter un blocage total, les solutions hybrides – combinant cloud privé et infrastructures traditionnelles – pourraient représenter une voie médiane. «Il faut avancer de manière mesurée, mais résolument vers ces nouvelles technologies», insiste Gourari.
Le déficit de compétitivité freine l’essor du SaaS
Si la modernisation par le SaaS s’impose comme une évidence, un défi majeur subsiste : la compétitivité des infrastructures locales. Youssef Koun, Chief Operating Officer et représentant de DabaDoc, ne mâche pas ses mots : «Nous sommes contraints de recourir à des solutions cloud étrangères faute d’offres compétitives au Maroc». L’absence de data centers de classe mondiale et de fournisseurs SaaS locaux capables de rivaliser avec les géants internationaux complique l’essor d’un écosystème technologique performant. La dépendance aux infrastructures étrangères pose également un enjeu de souveraineté numérique.
«Le Maroc doit investir massivement pour offrir des solutions compétitives et adaptées aux spécificités locales, notamment en matière de fiscalité et de réglementation», ajoute Gourari. Ainsi, l’ère du numérique bouleverse les modèles économiques, et le secteur financier marocain ne pourra y échapper. L’adoption du SaaS représente une opportunité unique d’améliorer la compétitivité du marché, tout en ouvrant la voie à une finance plus agile et connectée. Mais cette transition ne pourra réussir sans un changement profond des mentalités. «Nous devons passer d’une logique de possession à une logique de consommation de services», plaide Thomas Nokin, de Basikon. Une révolution culturelle pour un secteur ancré dans des pratiques traditionnelles. Pourtant, l’alternative est simple: évoluer ou risquer l’obsolescence. L’Infra Finances Forum aura eu le mérite d’initier un débat structurant. La balle est désormais dans le camp des décideurs et des régulateurs. Sauront-ils transformer l’essai et placer le Maroc sur la carte des nations financièrement digitalisées ?