Face à l’explosion des besoins en financement pour les grands projets marocains, banques et institutionnels doivent innover pour structurer des solutions adaptées. Entre transition énergétique, infrastructures et compétitions sportives mondiales, le Maroc doit lever des milliards. Comment la BMCI s'organise-t-elle pour répondre au défi ? Entretien avec Zakaria Soukri, directeur Corporate Banking BMCI Groupe BNP Paribas, et Abdelmajid Fassi Fihri, Responsable Banque de Financement et d’Investissement pour l’Afrique chez BNP Paribas et Représentant de BNP Paribas CIB au Conseil de surveillance de BMCI.
Propos recueillis par Y. Seddik
Finances News Hebdo : Comment la BMCI accompagne-t-elle aujourd’hui les grands projets d’infrastructure et d’investissement au Maroc (notamment la Coupe du monde 2030, CAN 2025, infrastructures hydrauliques et routières, etc.) ? Quels sont les axes prioritaires de votre engagement ?
Zakaria Soukri & Abdelmajid Fassi Fihri : Avant de vous parler de BMCI, il est important de garder à l’esprit certains points de conjoncture économique et financière sur les grands projets. Nous sommes, nous banques, désormais passés d’une obligation de moyens à une obligation de résultats sur l’accompagnement des grands projets. En effet, toutes les banques au Maroc doivent absolument s’inscrire dans le financement de ces grands chantiers, à la fois stratégiques et transformants pour le Royaume, avec en priorité les sujets de transition énergétique, stress hydrique et infrastructures pour supporter le calendrier sportif et, au-delà, le développement fulgurant que connaît le pays dans plusieurs secteurs clés. C’est sur ces axes que la BMCI, accompagnée par son actionnaire BNP Paribas, souhaite se positionner. Nos priorités sont parfaitement alignées avec celles du Royaume. Toutes les cases sont cochées. Nous voulons faire bénéficier la place et l’économie marocaine de nos expertises BNP Paribas sur les financements de grands projets, notamment sur les industries bas carbone. Je tiens à souligner que notre Groupe souhaite, d’ici 2030, atteindre au moins 40 milliards d’euros d’exposition de crédit sur la production d’énergies bas carbone, avec forcément une partie de cette ambition sur nos activités au Maroc.
Toutefois, pas à n’importe quel prix… Les établissements bancaires ont de plus de plus de pression règlementaire pour garder des ratios de solvabilité et prudentiels cohérents avec les exigences de nos régulateurs. C’est la raison pour laquelle l’ensemble de la place aura beaucoup de mal à délivrer 100% des besoins seulement par des financements bancaires classiques. Cela passera forcément par la mobilisation de financements alternatifs et de la participation d’institutionnels, à la fois privés et multilatéraux. Je pense que le partenariat entre les banques marocaines, les banques internationales et les Development Finance Institution (DFI) sera essentiel compte tenu du montant important de capital à déployer pour le financement des projets. Et pour le financement bancaire, il faudra faire preuve également d’innovation pour structurer différemment les projets. Une autoroute ou un projet de ferme solaire ne se finance pas comme un actif immobilier ou du capex classique. Ça sera le challenge principal des banques en 2025 et 2026. BMCI a clairement la volonté et les capacités pour être présente sur ces différentes opérations, et nous avons déjà commencé…
F.N.H. : Avec 34 milliards de dollars d’investissements prévus en 2025 pour ces projets d’envergure, comment la BMCI adapte-t-elle son offre pour répondre aux besoins croissants en financement, notamment pour les entreprises impliquées dans ces chantiers ?
Z.S. & A.F.F.: Sur ces grands chantiers, le bilan des banques sera utilisé sous différents axes : il faut mobiliser des engagements par signature, accompagner les entreprises dans les financements moyen long terme, et travailler sur la structuration du working capital pour être certain de ne pas être en déficit de liquidité. Du coup, chaque projet devra bénéficier d’une structuration ad-hoc, très précise, tenant compte de beaucoup de paramètres, notamment du facteur temps et taux (d’intérêts et de change). Qui dit financement d’envergure, dit analyse de la charge du financement également. Sur le capex et les infrastructures, généralement, nous aurons à mobiliser des financements sur des durées relativement longues. C’est donc le moment d’innover sur les structurations de taux et sur les profils de remboursement de la dette. Mais cela peut également avoir un impact sur le temps nécessaire, hors financement bancaire, pour obtenir les accords de financement lorsqu’il y a des DFI ou des institutionnels dans le tour de table. Pour cibler la discussion sur la BMCI, il existe plusieurs leviers et j’en cite quelques-uns ici :
• Nous accompagnons nos clients pour les soutenir lors des soumissions au marché, mais également dans la phase post adjudication, via des engagements par signature. Pour les entreprises internationales dont les filiales au Maroc sont trop petites pour porter des financements importants, nous capitalisons également sur notre groupe BNP Paribas pour travailler sur des réémissions de cautions au niveau local
. • Sur le Working Capital, nous travaillons sur des offres d’affacturage et de supply chain permettant d’équilibrer le BFR de nos clients, surtout pendant les premiers mois qui restent intensifs en besoin de liquidité. • Sur les besoins en capex et financement de projet en MAD, nous pouvons compter sur nos équipes de financements structurés pouvant offrir des structurations complexes sur des durées flexibles et adaptées au cash-flow de chaque projet.
• Nous disposons également du support de nos équipes Corporate and Institutional Banking basées à Casablanca Finance City, à Paris, en Europe, en Asie et aux USA, pour offrir un accompagnement sur les structurations complexes en project finance, en export finance, mais également sur les aspect sectoriels avec une dimension bas carbone importante (les énergies renouvelables, l’écosystème des batteries, les infras,…). Nous en reparlerons plus en détail.
F.N.H. : En tant que filiale d’un groupe bancaire international, comment la BMCI mobilise-t-elle ses ressources et son expertise pour structurer des financements adaptés aux exigences de ces projets ?
Z.S. & A.F.F.: Je pense vraiment que la BMCI et le groupe BNP Paribas ont une grande carte à jouer au Maroc. Notre expérience à l’international nous a permis de voir beaucoup de pays qui sont passés par une phase similaire à celle du Maroc actuellement, c’est-à-dire un très fort développement axé sur les infrastructures et les énergies renouvelables. De plus, nous sommes dotés dans le Groupe BNP Paribas d’une équipe appelée Low Carbon Transition Group, qui réunit un écosystème de plus de 200 spécialistes sectoriels, techniques et financiers, mobilisés pour accompagner nos plus grands clients sur des problématiques relatives aux énergies et à la décarbonation, 2 enjeux clés pour le Maroc, y compris dans les infrastructures. Il serait dommage de ne pas faire profiter le Maroc de cette expertise maison, et c’est pour cette raison que nous voulons absolument jouer un rôle de catalyseur, et tirer le marché bancaire marocain vers des structurations plus alignées avec les standards internationaux, aux côtés de nos confrères de la place. Nous disposons de solutions de financement qui permettent justement de bien mixer entre les durées, les devises, les garanties, mais également les spécificités relatives à chaque secteur.
Pour financer de l’infra, l’une des options prendra forme sous du project finance: un financement de projet, porté par une société projet (SPV), généralement sans recours sur les sponsors, basés sur une analyse des offtaker et des cashflows du projet, et qui nécessitent une expertise pointue en termes de structuration. Ce financement reste un levier intéressant pour les banques, car le côté «sans recours» permet de limiter le sujet de concentration des expositions sur un même groupe d’affaires. Il existe également d’autres leviers que BNP Paribas peut apporter, notamment un levier de financement encore sous utilisé au Maroc, mais qui reste très intéressant. Il s’agit des financements adossés à des agences de crédit export («ECA»). Ces financements sont similaires à un crédit acheteur garanti par une agence de crédits exports du pays de l’exportateur (généralement du matériel ou du génie civil), pouvant offrir un avantage commercial considérable pour les EPC qui viennent se positionner sur ces grands marchés, à des taux compétitifs au vue de la structuration. Ce type de financement est souvent utilisé dans d’autres pays pour les sujets d’infrastructures, et se fait en devises. Nous accompagnons aussi certaines très grandes entreprises ou institutions financières dans leur levée de dette en devises sur les marchés financiers internationaux. Profitant ainsi de l’appétit important des investisseurs mondiaux pour le risque Maroc. Enfin, en marge des financements, les projets ont naturellement besoin d’equity. Nous jouons donc au travers de notre présence mondiale un rôle très actif dans la recherche de partenaires stratégiques ou financiers susceptibles de s’associer aux groupes marocains en injectant des fonds propres dans ces grands projets.
F.N.H. : Enfin, les investissements massifs dans les infrastructures nécessitent une gestion rigoureuse des risques. Quelles approches la BMCI met-elle en place pour sécuriser ses engagements financiers et garantir une contribution efficace au développement de ces projets ?
Z.S. & A.F.F.: C’est essentiel. D’ailleurs, nous sommes de ceux qui pensent que la gestion des risques passe avant tout par une orchestration minutieuse de la structuration en amont du financement. En effet, la phase de structuration d’un financement d’infrastructure doit absolument bénéficier d’une analyse fine et multidisciplinaire. Il faut également sécuriser le volet «liquidité» sur toute la durée du projet et aligner les cash flow avec le service de la dette. C’est la raison pour laquelle la mise en place de covenants et de package de garantie doit être systématique sur ce type de financement afin de pouvoir suivre de manière très régulière l’impact financier du projet et de pouvoir anticiper s’il devait y avoir un vent contraire soudain, surtout pendant les phases critiques comme la construction et le début de la phase opérationnelle de chaque projet. Un point essentiel sera également sur l’impact climatique et environnemental de chaque projet. Ce sujet peut clairement faire partie des risques majeurs à identifier et monitorer tout au long d’un projet.