Les pensions reçues entre les sociétés de gestion et leur banque-mère ont atteint 24 milliards de DH en 2015. Ces opérations d’aller-retour et de window dressing, qui interviennent principalement en fin d’année, n’ont rien d’illégal, mais elles faussent l’analyse de l’évolution des crédits réels alloués aux entreprises.
Le crédit bancaire a joué au yoyo entre fin 2015 et début 2016. Après un sursaut au mois de décembre dernier où le crédit bancaire s’est accru de 2,5% en comparaison avec le mois de novembre, son rythme de progression est retombé en ce début d’année 2016.
Ainsi, en janvier 2016, selon les statistiques monétaires de Bank Al-Maghrib, les crédits bancaires ont régressé de 2,6% par rapport au mois précédent. D’un mois à l’autre, l’encours des crédits bancaires s’est délesté de 20 milliards de dirhams. Des chiffres qui montrent que la progression des crédits démarre sur des bases toujours faibles en ce début d’année.
La Banque centrale attribue cette baisse du crédit bancaire au repli de 16,2%, en glissement mensuel, des crédits à caractère financier alloués principalement aux OPCVM (Organismes de placements collectifs en valeurs mobilières) autres que monétaires (c’est-à-dire les OPCVM actions et obligations). Il faut rappeler qu’en décembre dernier, c’est précisément cette catégorie de crédits qui avait flambé. Leur encours s’était apprécié de 15% sur le mois de décembre par rapport à novembre, représentant un montant additionnel de près de 14 milliards de dirhams.
Opérations d’aller-retour
Ces fortes variations d’un mois à l’autre sont le fait des opérations «d’aller-retour» qui ont lieu en fin d’année entre les banques et les sociétés de gestion d’actif. Comme nous l’explique un trader de la place casablancaise, «la fin d’année voit se multiplier les opérations d’aller-retour entre la banque et sa société de gestion d’actif pour permettre à celle-ci de valoriser son portefeuille et de soigner sa présentation au moment de déclaration de ses performances au 31 décembre. Dans le cas d’un portefeuille actions, cela permet le plus souvent de constater des plus-values». En jargon financier, on appelle cela des opérations de windows dressing. Les opérations de window dressing permettent à une société, en l’occurrence aux gestionnaires de fonds, de se présenter aux investisseurs sous leur meilleur profil. Cette pratique n’a rien d’illégal. Cette opération de ravalement de façade est même très courante, et consiste à présenter des performances améliorées ou des perspectives attirantes pour l’année à venir.
Lors de la conférence de présentation des résultats de Attijariwafa bank, Mohamed El Kettani, PDG du groupe, est longuement revenu sur ces opérations de windows dressing et sur les pensions reçues entre les sociétés de gestion et leur maison-mère, les banques commerciales. A ses yeux, il s’agit d’un phénomène important qui fausse l’analyse de l’évolution des crédits bancaires. «Il faut analyser l’évolution des crédits à l’économie en dehors des opérations de windows dressing, qui ne reflètent en aucune manière les crédits à l’économie», affirme-t-il. «Ce sont des opérations purement financières pour gonfler parfois un chapitre du bilan», argumente-t-il, avant d’ajouter que la banque qu’il dirige n’est pas concernée par ce phénomène.
«En 2015, les pensions reçues ont été de 24 milliards de dirhams, avec deux banques qui en représentent 84% de parts de marché. Ces 24 milliards de DH ne concernent en aucune manière les crédits distribués aux clients
et aux entreprises», précise M. El Kettani.
En d’autres termes, pour une analyse plus fine de l’évolution des crédits alloués à l’économie, il est préférable de ne prendre en compte que les crédits aux entreprises et ceux aux particuliers, et d’exclure les prêts financiers volatils finançant des opérateurs des marchés financiers de manière ponctuelle, qui gonflent les bilans en novembre et décembre. «D’ailleurs, juste après, en janvier, il y a une forte décrue de ces chiffres dûe à ces opérations accordéon». Partant de ce principe, et en excluant également le poste «autres crédits» qui compte pour 20 milliards de DH en 2015, on atteint en 2015 un montant des crédits aux entreprises de 475 milliards de DH au lieu de 520 milliards de DH, selon le PDG d’Attijariwafa bank. Avec ce retraitement, la baisse des crédits aux entreprises en 2015 n’est plus de 0,2%, mais plutôt de 3%, selon les données du GPBM (Groupement professionnel des banques du Maroc) publiées par Attijariwafa bank.
Amine El Kadiri