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Bourses africaines : pour l’émergence de champions familiaux cotés

Bourses africaines : pour l’émergence de champions familiaux cotés

Les entreprises familiales pèsent lourd dans les économies africaines et restent pourtant sous-représentées en Bourse. À l’AFIS 2025, un panel d’experts a défendu l'idée d'une accélération de la croissance de ces entreprises, en ouvrant leur capital et en professionnalisant la gouvernance.

 

Par A. Hlimi

Pour retenir davantage de valeur sur le continent, il faut ouvrir plus largement le marché coté aux «family-owned businesses» (FOBs). Le message est d’autant plus d’actualité que plusieurs introductions récentes (Boxer en Afrique du Sud - 471 M$ levés -, WeBuyCars - 441 M$ -, Shri Krishana Overseas à Nairobi, ou encore TGCC, Akdital et Vicenne à Casablanca) ont montré la voie.

Les organismes internationaux anticipent une croissance africaine autour de 4%, insuffisante au regard du potentiel démographique et des besoins d’investissement. Dans ce contexte, les Bourses locales restent en construction, mais elles ont déjà démontré leur capacité à financer l’outil productif et à offrir des solutions de long terme que la dette bancaire, par nature plus courte et plus contraignante, ne peut pas toujours fournir.

«L’entrée en Bourse impose certes une transformation du ‘modèle familial’ : passer d’une logique de contrôle omniprésent à une logique d’accompagnement, faire primer la compétence sur le statut, structurer la décision et formaliser les processus. C’est un changement culturel autant qu’un choix financier», explique Sidy Diakhoumpa, associé - responsable du Conseil services financiers chez Forvis Mazars. 

«La dette fait tourner les entreprises; les fonds propres les construisent», indique-t-il. À un stade de croissance donné, la limite prudentielle du levier bancaire est atteinte. Seul le capital - qu’il s’agisse d’IPO ou d’augmentations de capital - permet de financer des cycles d’investissement longs, l’expansion régionale et la résilience aux chocs. Le marché coté devient alors un accélérateur naturel, complémentaire du crédit.

Les chiffres présentés rappellent l’ampleur de l’enjeu. Les entreprises familiales représenteraient plus de la moitié du PIB mondial et 60% de l’emploi, et jusqu’à 70% du secteur privé en Afrique. Pourtant, parmi les 100 premières capitalisations africaines en 2022, seulement 7% sont classées familiales, loin des ratios observés ailleurs. Or, les performances boursières plaident pour l’ouverture : sur dix ans, plusieurs études montrent une surperformance moyenne d’environ 400 points de base par an pour les valeurs familiales, portée par une prudence sur l’endettement, une vision de long terme et une forte discipline capitalistique. Pourquoi si peu de passages à l’acte ?

Quatre freins reviennent partout, explique l'expert : la complexité du processus de cotation, la crainte de perdre le contrôle, l’exigence de transparence financière et le coût d’adaptation des systèmes de gouvernance. Mais en réalité, ces craintes sont à relativiser. Sur la dilution d’abord : la plupart des marchés africains demandent un flottant de 10 à 20%. Difficile, dans ces conditions, de «perdre» l’entreprise.

Des outils existent en outre pour sécuriser la trajectoire stratégique (classes d’actions différenciées, droits de vote aménagés, pactes, voire dispositifs défensifs encadrés). Beaucoup de familles créent par ailleurs des Family offices pour dissocier clairement patrimoine, contrôle et gestion opérationnelle, ce qui fluidifie la relation avec le marché. L’exemple éthiopien présenté par Hana Tehelku, Directrice générale de l'Autorité éthiopienne des marchés de capitaux, illustre le rôle décisif de l’architecture financière. Longtemps sans place organisée, le pays a d’abord bâti l’Autorité des marchés, la Bourse, puis l’écosystème d’intermédiaires.

Au-delà des textes boursiers, il a fallu aligner le droit des sociétés (classes d’actions, droits de vote, règles de gouvernance) pour donner aux familles la confiance nécessaire. En somme, pas de marché coté performant sans cohérence réglementaire «autour» du marché. Vient ensuite la pédagogie. Les Bourses et régulateurs ont multiplié les codes de gouvernance et compartiments adaptés aux PME, mais l’information demeure souvent parcellaire côté émetteurs.

Or, selon le DG de la Bourse régionale des valeurs mobilières de l'UEMOA, Felix Amenounve, la confiance des investisseurs se gagne sur des fondamentaux lisibles : dispositifs de contrôle interne, calendriers de reporting, comités indépendants, rémunération alignée sur la création de valeur. Former les dirigeants familiaux à ces standards réduit la «peur du marché» et accélère la bascule. Les incitations publiques peuvent compléter l’effort, via des avantages fiscaux ciblés et temporaires pour les premières émissions ou des mécanismes de cofinancement de la mise à niveau extra-financière.

L’intégration régionale constitue un autre pivot. La plateforme d’interconnexion entre Bourses africaines existe déjà, mais l'opérationnalisation tarde. Le règlement-livraison et la circulation des fonds entre juridictions en sont les principaux freins. Sans interopérabilité des systèmes de paiement, assouplissement des contrôles de change et reconnaissance mutuelle des visas des autorités de marché, l’investisseur panafricain restera bridé.

La souveraineté financière évoquée par les panélistes suppose donc, au-delà des discours, une «plomberie» commune : normes harmonisées, passerelles bancaires, et des fintechs capables de fluidifier l’expérience d’investissement transfrontière. Reste un sujet sensible, souvent décisif dans les familles : la succession. Ici encore, la Bourse peut être un allié. La transparence, l’institutionnalisation de la gouvernance et la liquidité partielle offertes par le marché facilitent la transmission du capital sans confondre propriété et management. Les compétences ne s’opposent pas au caractère familial; elles s’y adossent.

La question à se poser n’est pas «qui dirige demain par filiation ?», mais «qu’estce qui reste en famille : le capital, la vision, les valeurs»  ? Une fois cette dissociation actée, les décisions d’ouverture deviennent plus rationnelles. Au total, la voie est balisée. Les exemples de cotations réussies démontrent qu’il existe une prime aux champions familiaux bien préparés. Les freins identifiés sont traitables par le droit, la technique et l’accompagnement.

La priorité est double : d’un côté, construire des parcours de cotation plus lisibles, flexibles et proportionnés; de l’autre, pousser l’intégration des marchés pour offrir aux émetteurs une profondeur régionale et aux investisseurs un véritable univers africain. L’équation est exigeante, mais l’enjeu est majeur : africaniser le capital, retenir les dividendes sur le continent et doter nos économies d’investisseurs naturels de long terme. Les familles ont tout à y gagner. Les marchés aussi. 

 

 

 

 

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