Pour les compagnies, le virage du digital n’est ni un choix stratégique ni un luxe,
mais bien une nécessité. Au Maroc où les opérateurs du marché ne se «digitalisent» pas tous à la même vitesse, le mouvement risque de s’accélérer dans les deux années à venir, pour peu que le contexte réglementaire évolue. Cette transformation bouscule la relation client/assureur, les process internes, etc. Le point avec Bachir Baddou, Directeur général de la Fédération marocaine des sociétés d'assurances et de réassurance.
Finances News Hebdo: Quelle place occupe la transformation digitale dans la stratégie de développement des compagnies ?
Bachir Baddou: La transformation digitale est au cœur des stratégies des sociétés d'assurances. Ce n'est plus un choix stratégique, mais bien une nécessité que d'y aller. Les entreprises d'assurances marocaines l'ont bien compris et ont initié des projets pour transformer certains de leur process métier tout comme leur logique de vente. Toutefois, les opérateurs du marché n’y vont pas tous à la même vitesse. Certains ont constitué des équipes dédiées et commencent à déployer des solutions totalement numériques, alors que d'autres sont encore au stade de la réflexion. Je pense toutefois que le mouvement va s'accélérer dans les deux années à venir.
F.N.H.: Pouvons-nous avoir des exemples d’applications digitales déjà mises en service par les compagnies d’assurances ?
B. B.: Les premières expériences sur notre marché concernent les boîtiers télématiques embarqués sur certains véhicules. Ils permettent de remonter des informations pertinentes sur le comportement au volant et demain de mieux tarifer l’assurance automobile. D'autres expériences concernent le processus d'évaluation des sinistres et d’indemnisation en mettant en relation les services de la compagnie, l'expert et l'agent d'assurances par le biais du Smartphone. Je peux aussi citer l’accès en ligne aux offres de produits ainsi qu'à d'autres services connexes à l'assurance qui sont mis à disposition via des applications simples d’accès.
Si le virage numérique n'est pas suffisamment bien préparé, certains assureurs au niveau mondial pourront disparaître. L'exemple de Kodak est emblématique. En laissant dans les placards sa propre invention, la «photographie numérique», pour rester sur son modèle basé sur la pellicule, l'entreprise s'est effondrée.
F.N.H.: Quels impacts la digitalisation et le Big Data auront-ils sur la relation client/ assureur ? Sur l’organisation interne des compagnies ?
B. B.: Dans les marchés les plus développés, nous assistons à l'émergence d'assureurs 100% digitaux qui bouleversent les habitudes et les normes classiques de notre métier, offrant des parcours client bien plus en phase avec les habitudes et le comportement des générations montantes. Le constat est que, de plus en plus, le client nous imposera une relation totalement digitale. Bien entendu, le rôle de conseil et de pédagogie qu'apportent l'agent et le courtier d'assurances demeurera important, surtout pour les risques techniques et pour les risques de pointe. Mais pour une multirisque habitation ou automobile, le client cherchera dans la plupart des cas à souscrire en ligne. Le cadre réglementaire au Maroc est encore trop contraignant pour libérer l'achat en ligne. L'obligation faite de remettre un contrat physique et de le faire signer par le client crée une rupture dans le processus. Un projet d’amendement du code des assurances permettant, entre autres, de libérer la vente sur Internet, est actuellement dans le circuit législatif. La contrainte majeure pour les assureurs consistera à créer des produits et les adapter aux différents profils de clients, tout en leur permettant de faire le bon choix de la bonne garantie sachant que le client n'est pas expert. Il faut donc bien le connaître sans pour autant avoir un contact direct avec lui. Pour cela, il faut disposer de systèmes d'information très puissants qui permettent de proposer des offres profilées avec une très bonne connaissance des clients, de leurs habitudes de consommation, de leurs comportements en fonction de leurs CSP, leurs âges, leur formation.... Nous sommes donc au cœur du Big Data. L'analyse de la donnée à grande échelle, son analyse et sa compilation deviendront «le nerf de la guerre».
Propos recueillis par A. Elkadiri