La gestion collective a atteint un record absolu en termes d’épargne canalisée cette année. Des défis persistent néanmoins : mobiliser l'épargne informelle et adapter les produits financiers aux réalités des ménages à faibles revenus.
Par A. Hlimi
Grâce à une progression de près de 130 milliards de dirhams sur les 18 derniers mois, l'encours global sous gestion totalise actuellement 660 milliards de dirhams, soit un poids équivalent à près de la moitié des dépôts bancaires et 45% du PIB national. «Cette progression témoigne de la confiance que placent les investisseurs en notre profession», s'est félicité mercredi 13 novembre ,Réda Hilali, le président de l’Association des sociétés de gestion et fonds d’investissement marocains (ASFIM), à l'occasion de la conférence annuelle du secteur.
Dans le détail, durant les 18 derniers mois, les placements des investisseurs institutionnels en OPCVM ont progressé de 76 milliards de dirhams, ceux des entreprises ont évolué de 27 milliards de dirhams et l’épargne placée par les ménages marocains a enregistré une hausse de près de 10 milliards de dirhams. «Notre industrie continue par ailleurs de s'illustrer par la forte liquidité des fonds gérés, avec un cumul de près de 2.000 milliards de dirhams d'opérations de souscription et de rachat traitées en 2024. Un quart de ces opérations a concerné des catégories d’actifs à horizon d’investissement long, représentant un taux de rotation de plus de 100%», a-t-il précisé.
S'agissant de l'horizon d'investissement, 80% des encours collectés se sont orientés vers des supports à long terme. Cette épargne a notamment permis de participer au financement de l'économie de manière significative durant les 18 derniers mois. En effet, les OPCVM ont augmenté leur financement direct du Trésor de 60 milliards de dirhams, et détiennent désormais plus de 310 milliards de dirhams en titres émis ou garantis par l’État.
Le secteur privé a également fait l’objet d'investissements importants, puisque les encours placés par les OPCVM en dette privée ont augmenté de 36 milliards de dirhams, et se situent aujourd'hui à 190 milliards. Au niveau de la Bourse de Casablanca, cette industrie demeure le principal acteur sur le marché des actions, en étant partie prenante dans plus du tiers des volumes échangés et en participant à hauteur de 50% en moyenne aux opérations de levée de fonds.
Epargne : Des leviers à actionner
Dans un contexte marqué par des défis économiques et des évolutions structurelles, l’intervention de Mounya Dinar, directrice du Pôle marché des capitaux, finances et contrôle de gestion à Al Barid Bank, a permis de comprendre les facteurs qui influencent les comportements d’épargne des ménages marocains. Le taux d’épargne mesure la part du revenu disponible brut qui n’est pas utilisée par les ménages en dépense de consommation finale.
Même si les chiffres peuvent varier selon les sources, ils illustrent une tendance générale qui montre un niveau jugé encore faible auprès des ménages marocains. Par exemple, le taux d’épargne sur certaines CSP peut atteindre environ 12%. Globalement, selon la responsable, les besoins d'épargne des Marocains restent polarisés à plus de 50% autour de l'épargne «d'urgence» pour anticiper les dépenses inattendues, pour certains segments de la population. L’épargne marocaine peut être catégorisée en plusieurs segments :
• Épargne financière : Elle représente les dépôts bancaires et les investissements financiers. Composée de trois principaux sous-segments, elle totalise environ 700 milliards de dirhams pour les dépôts bancaires, 210 milliards pour l’épargne à terme (dépôts à durée fixe) et un montant significatif pour les investissements en Bourse et OPCVM (Organismes de placement collectif en valeurs mobilières).
• Épargne informelle : Elle comprend les mécanismes informels comme les prêts entre proches, les tontines (épargne communautaire) et les aides familiales. Ces formes d’épargne ne passent pas par les circuits financiers traditionnels, rendant difficile leur intégration dans les statistiques économiques officielles et leur mobilisation pour des investissements productifs.
• Épargne immobilière : Elle représente plus de 3.000 milliards de dirhams et concerne essentiellement l’achat de biens immobiliers pour des besoins de résidence principale, secondaire ou pour des investissements locatifs. L’épargne immobilière est une composante importante de la richesse des ménages marocains.
• Autres formes d’épargne : Il s’agit ici d’investissements dans des objets de valeur, comme les œuvres d’art, qui sont prisés par une certaine catégorie de la population. Ce type d’épargne reste toutefois marginal et concerne principalement les ménages aisés.
Une croissance de l’épargne entravée par plusieurs facteurs
Sur les dix dernières années, le taux d’épargne au Maroc a progressé en moyenne de 6% par an, soit un doublement en une décennie. Cette hausse est attribuable à l’amélioration du PIB et à une bancarisation accrue, avec des efforts notables pour intégrer de plus en plus de citoyens dans le système financier formel. Cependant, certains facteurs continuent de freiner cette progression, en particulier pour les ménages à revenus modestes et intermédiaires :
• Capacité financière limitée des ménages : Le manque de moyens financiers pour épargner est particulièrement visible chez les ménages du mass market et les travailleurs indépendants, dont les revenus sont souvent instables.
• Précarité de l’emploi : Les revenus irréguliers, notamment dans les zones rurales ou les secteurs informels, limitent la capacité des ménages à s'engager dans des plans d’épargne à long terme.
• Accès limité aux produits d’épargne : Dans certaines zones rurales, l’absence de maillage bancaire adéquat réduit l’accès des ménages aux produits financiers. Les banques, qui sont les principaux canaux de collecte d’épargne, peinent à couvrir efficacement l’ensemble du territoire.
• Circulation accrue du cash : Entre 2019 et 2022, la circulation de l’argent liquide a augmenté de 11% par an, bien au-delà du rythme de croissance de l’épargne. Cette hausse reflète un recours croissant au cash, souvent utilisé pour des transactions hors du système bancaire, ce qui réduit les fonds disponibles pour les produits d’épargne formels.
• Coût de la vie en augmentation : L’inflation croissante pousse les ménages à privilégier la consommation au détriment de l’épargne. Le renchérissement des biens de consommation de première nécessité rend difficile la constitution d’une épargne pour de nombreux foyers. Face à ces constats, Mounya Dinar a souligné l'importance d'identifier des leviers pour renforcer l’épargne nationale et la canaliser vers des investissements productifs.
Elle a notamment évoqué plusieurs pistes de réflexion : • Élargir l’accès aux produits d’épargne : Développer l'infrastructure bancaire dans les zones rurales et proposer des produits financiers accessibles et adaptés aux revenus des ménages modestes pourrait stimuler l’épargne et intégrer davantage de citoyens dans le système financier formel.
• Favoriser l’éducation financière : Sensibiliser les ménages sur les avantages de l’épargne, même modeste, et sur les possibilités d’investissements financiers pourrait encourager une meilleure gestion des ressources.
• Adapter les produits financiers aux besoins des ménages : Proposer des produits d’épargne flexibles tenant compte de l’instabilité des revenus, serait une solution pour attirer les ménages ayant des revenus irréguliers.
• Développer des incitations fiscales : Mettre en place des mesures fiscales pour encourager l’épargne à long terme, notamment en exonérant certains types d’épargne ou en offrant des avantages fiscaux aux ménages qui épargnent régulièrement.