Augmentation du taux directeur, lutte contre les augmentations abusives des prix, exonération de la TVA pour les intrants agro-alimentaires… : malgré tous les efforts déployés par les autorités, rien n’y fait, l’inflation continue de faire des siennes. Ainsi, ayant épuisé tous les recours conventionnels, notre salut résiderait peut-être ailleurs, là où on l’a le moins soupçonné depuis le début de la crise. Car si cette inflation est bel et bien, du moins à ses débuts, importée comme en témoignent jusqu’à présent la flambée des prix des intrants dans quasiment tous les secteurs, c’est que peut-être la solution réside en amont. Et se limiter dans ce contexte à en traiter les symptômes, ne fait que retarder l'inéluctable, puisque casser le thermomètre ne fait pas disparaître la fièvre.
Cependant, il faut, dès lors qu’on aborde les questions relatives au taux de change, faire preuve de la plus grande précaution. Car résoudre des problèmes économiques structurels par des manipulations de change revient souvent à mettre la poussière sous le tapis. Elle finit toujours par ressortir ! Car le taux de change, c’est un peu comme de la nitroglycérine : il faut le manipuler avec précaution, au risque de se voir confronté à des conséquences qui ne sont pas forcément celles que l’on souhaite au départ. C’est un peu mettre le doigt dans un engrenage, qui pourrait nous amener à opérer d’autres manipulations du taux de change pour corriger le tir et ainsi de suite jusqu’au discrédit des autorités monétaires.
Mais, rien n’empêche d’explorer cette piste, peut-être que quelque chose en ressortira finalement. Premièrement, quand on analyse l’évolution des exportations et importations marocaines des dernières années, plusieurs déductions peuvent être faites. D’un côté, nous sommes confrontés clairement à un déficit commercial structurel, qui semblait cependant en voie de contraction jusqu’en 2015/2016. Mais, d’un autre côté, nos exportations connaissent depuis 2013 une augmentation certes faible, mais tendancielle. Notamment grâce au saut qualitatif opéré par l’industrie marocaine, à travers le «Plan d’accélération industrielle», qui fait que désormais, le secteur automobile pèse environ 40% du total des exportations industrielles.
Cette tendance risque très certainement de se renforcer dans les décennies à venir, en raison principalement des mutations profondes de la supply chain mondiale, qui fait que désormais la proximité géographique avec le marché européen et la présence d’un écosystème industriel adéquat, deviennent de plus en plus un argument majeur, davantage que le coût de la main-d’œuvre stricto sensu. Mais concernant le secteur de l’automobile, si une légère appréciation du Dirham va se traduire nécessairement par une baisse des recettes en Dirham, cela n’impactera en rien celles réalisées en devises, puis rapatriées par les entreprises mères en Europe. Donc aucun risque que cela impacte notre attractivité pour les IDE.
Quant à l’écosystème local, l’impact reste à évaluer, même si la résilience de ce dernier semble laisser croire que l’impact sera résorbé sur la longue durée. Deuxième constat : les importations qui, malheureusement, continuent de croître plus rapidement que nos exportations. Cependant, le rythme d'accélération ou de décélération de nos importations semble étroitement corrélé à l’évolution des produits énergétiques (gasoil, essence, fuel, gaz,...). En effet, la légère réduction de notre déficit commercial entre 2012 et 2015/2016 va de pair avec une baisse du prix de la facture énergétique, due à une baisse des cours des matières énergétiques à l’échelle mondiale.
De même que la hausse à partir de 2016 de la valeur de nos importations, est due à une remontée tendancielle du prix du baril à l’international. Les importations constituent donc, de fait, le canal qui alimente la composante exogène de notre inflation. Dans cette perspective, les politiques de transition énergétique vers le solaire principalement, contribuent et contribueront à terme à réduire notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, et par conséquent à colmater relativement cette brèche dans laquelle s’engouffre une inflation monétaire principalement occidentale, que nous subissons sans y être pour rien.
Mais, en attendant, il est possible d’atténuer cet impact en réduisant cette facture, du moins en Dirhams, à travers une légère appréciation du Dirham. Cependant, il est évident que cette perspective ne fera pas que des heureux. Car toutes les entreprises dans le secteur de l’export devront supporter une baisse de leurs marges en Dirham, si cette mesure venait à être adoptée, du moins temporairement, le temps que les cours se calment à l’international. Mais, d’un autre point de vue, cela pourrait stimuler et amener nos exportateurs à puiser dans d’autres ressources, comme l’innovation (technologique, managériale, organisationnelle,...), pour retrouver des marges profits, au lieu de se retrancher derrière un taux de change qui, peut-être, et je dis bien peut-être, ne reflète pas forcément l’évolution de notre structure des échanges de ces dernières années, ni la vraie valeur du Dirham, si l’on était dans un régime de change flottant.
Tout cela réclame bien entendu une étude et une analyse fouillée et exhaustive des différents impacts d’une telle mesure sur notre tissu productif. Mais ce qui est certain, c’est qu’il s’agit là d’une piste, qu’il serait selon moi erroné d’ignorer en se limitant à des mesures classiques (hausse du taux directeur), dont les résultats ne semblent pour l’instant pas flamboyants. Comme disait quelqu’un : «Celui qui a pour seul outil un marteau, a tendance à voir tous les problèmes sous la forme de clous». N’en faisons pas de même avec le taux directeur, et essayons collectivement d’explorer d’autres pistes, aussi hétérodoxes soient-elles.
Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Archè Consulting