Zleca : Au-delà de l’effet d’annonce

Zleca : Au-delà de l’effet d’annonce

 

L’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) est entré en vigueur le jeudi 30 mai.

Il suscite enthousiasme, mais également beaucoup de réserves.

 

Par David William

 

1,2 milliard de consommateurs, une valeur ajoutée prévisionnelle de 2.500 milliards de dollars, une baisse des importations d’origine extérieure au continent de 10 milliards d’USD et une hausse des échanges intracontinentaux de 60% d’ici 2022… : ce sont les chiffres actuellement mis en avant pour justifier la raison d’être de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA). Officiellement entrée en vigueur le jeudi 30 mai 2019, elle suscite beaucoup d’enthousiasme.

Il faut rappeler que le Maroc est l’un des premiers pays (sur les 24 pays membres de l’Union africaine ayant ratifié l’accord) à avoir ratifié l’accord, mis en branle sous l’impulsion du président rwandais Paul Kagamé en mars 2018. Le Roi Mohammed VI en est d’ailleurs un fervent défenseur. Dans son discours adressé en juillet 2018 à la 31ème  session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine qui se tenait à Nouakchott, il a ainsi fait remarquer que «la mise en place d’une zone de libre-échange continentale africaine, la ZLECA, nous offre un cadre exceptionnel de dynamisation des échanges; elle prépare l’ancrage de notre développement économique dans un espace intégré et, elle permettra, grâce à plus d’un milliard de consommateurs, de renforcer la compétitivité africaine».

C’est donc tout naturellement que le gouvernement marocain s’est réjoui de son entrée en vigueur. Par la voix de son porte-parole, Mustapha El Khalfi, il l’a qualifiée de «grand événement» qui concorde avec la politique africaine ambitieuse du Maroc, engagée sous la conduite du Souverain.

 

Beaucoup de réserves

Autant la ZLECA suscite de l’enthousiasme, autant elle fait l’objet de plusieurs réserves.  L’Union africaine a-t-elle les capacités de mettre en œuvre ce qu’on qualifie déjà de plus large accord de libre-échange au monde, qui rassemblera pas moins de 55 pays ? Ce manque d’expérience en la matière est pointé du doigt par les détracteurs de l’accord, qui déplorent également le manque d’études d’impacts préalables, l’hétérogénéité et la fragmentation des économies, mais également l’efficience et l’efficacité des accords de libre-échange au sein des blocs régionaux. Cela explique certainement pourquoi le Nigeria, la première économie du continent, n’a toujours pas ratifié l’accord.

En outre, au-delà de booster éventuellement les échanges commerciaux, certains observateurs doutent de la capacité de la ZLECA à changer fondamentalement la donne en Afrique. Un continent miné par le chômage des jeunes, l’analphabétisme, le déficit d’infrastructures, l’enclavement du monde rural…

D’où le pessimisme affiché par l’économiste Najib Akesbi, pour qui «l’Afrique est en retard d’une guerre». Selon lui, en effet, «le monde des accords de libre-échange n’est plus dans le contexte porteur qui prévalait dans les années 90, 2000 et une partie des années 2010. Le vent est en train de tourner depuis 4 ou 5 ans, voire même s’accélère avec Donald Trump, les eurosceptiques, les néo-protectionnistes…».

Aujourd’hui, poursuit-il, «idéologiquement, le libre-échange est même remis en cause par ses propres défenseurs». «L’expérience de 30 ans a montré que le libre-échange ne produit pas la croissance. Et à supposer qu’il y en ait, encore faut-il que le fruit de cette croissance soit affecté aux besoins de base de la population», note Akesbi. Tout en soulignant que, dans les pays en développement, «le libre-échange a au contraire produit des déficits commerciaux abyssaux qui ont constitué un frein à la croissance».

«Le meilleur exemple est le Maroc, qui est pourtant loin d’être le moins loti en Afrique», indique-t-il. «Les chiffres du HCP depuis deux décennies le prouvent : dans les facteurs qui interviennent dans la détermination du taux de croissance, il y a en gros la consommation, l’investissement et le solde du commerce extérieur. Systématiquement, c’est le solde négatif du commerce extérieur qui nous prive grosso modo de 1 à 2 points de croissance», explique Akesbi. Et de se demander si l’Afrique a réellement besoin d’un accord de libre-échange continental, eu égard notamment aux communautés régionales déjà existantes, pour ne citer que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté de développement de l’Afrique du Sud-est (SADC), la Communauté économique de l’Afrique Centrale (CEEAC), la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) ou encore le Marché commun de l’Afrique du Sud-est (COMESA).

Ces blocs régionaux ont-ils répondu à tous leurs objectifs? Difficile de répondre par l’affirmative. Raison pour laquelle Akesbi estime qu’on «a pris les choses par le mauvais bout». «Si on s’était attelé à sérieusement développer les unions régionales qui existent en Afrique afin de leur donner réellement un sens, cela aurait été plus utile et plus pertinent», fait-il remarquer.

L’étape suivante aurait été alors de «trouver des liens entre ces régions pour faire une union à l’échelle du continent». La ZLECA devait donc, selon lui, être «le couronnement d’un processus, et non un début de processus».

La ZLECA pourra-t-elle alors valablement huiler les échanges commerciaux du continent là où les communautés régionales ont montré leurs limites ? Se réduira-t-elle en une simple clause de style ?

L’avenir nous le dira. Sauf qu’il ne faudrait pas s’attendre à ce que le marché commun africain change radicalement la face économique du continent et soit une réponse appropriée aux défis auxquels il est confronté. ◆

 

 

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