Villes nouvelles : «Les opérateurs privés ont contribué à l’échec de ces projets»

Villes nouvelles : «Les opérateurs privés ont contribué à l’échec de ces projets»

Annoncées comme des pôles urbains modernes, les villes nouvelles du Maroc devaient répondre aux défis de l’urbanisation galopante. Mais deux décennies après leur lancement, ces projets peinent à tenir leurs promesses. Entretien avec Driss Effina, professeur universitaire d’économie et président du Directoire du Centre indépendant des analyses stratégiques.

 

Propos recueillis par C. Jaidani

Finances News Hebdo : Pourquoi les villes nouvelles n’ont pas atteint les objectifs escomptés ?

Driss Effina : Le Maroc a choisi de lancer les villes nouvelles avec l’arrivée du nouveau règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, symbole de la modernité. L’objectif était de créer des agglomérations de dernière génération, c’est-à-dire spacieuses, bien aménagées et dotées de la fibre écologique. Mais les projets de Tamesna, près de Rabat, Tamansourt, près de Marrakech, ou la ville de Chrafate aux environs de Tanger, ont rencontré de nombreuses contraintes. A leur lancement, ces projets s’étaient basés sur des données qui étaient dépassées, sans tenir compte que le Maroc a connu une évolution démographique, économique et sociale importante. Résultat : les programmes n’ont pas donné la qualité urbanistique escomptée.

 

F. N. H. : Contrairement aux villes périphériques, les villes nouvelles sont considérées comme des cités-dortoirs sans avoir une véritable vocation. Quel est votre avis ?

D. E. : La ville de Chrafate était censée devenir une cité industrielle, Tamesna avait pour vocation d’être une ville verte autonome, et Tamansourt servirait de relais pour Marrakech en matière de tourisme. Il faut reconnaître qu’il y a un déphasage entre ce que les plans d’aménagement avaient fixé et ce qui a été réalisé. Conçus grâce à un partenariat public-privé, les documents d’urbanisme ont insisté sur le volet écologique pour Tamesna, industriel pour Chrafate et touristique pour Tamansourt. Pour Tamesna qui devrait être une ville verte autonome, le programme prévoyait la construction d’un barrage avec une retenue d’eau qui permettrait une belle vue pour la ville. Mais les promoteurs et les aménageurs n’ont pas respecté le cahier des charges. Ils ont bénéficié du foncier public sans pour autant respecter leurs engagements. Pour optimiser au maximum l’occupation du sol, iIs ont fait ce qui les arrangeait. Certains ont même changé la vocation initiale des lotissements. Par exemple, au lieu de construire des villas, ils ont lancé des projets de logement social. Les opérateurs privés ont contribué à l’échec de ces villes.

 

F. N. H. : Le déficit en matière de services publics explique-t-il l’échec des villes nouvelles ?

D. E. : La réglementation de l’urbanisme comporte uniquement la notion de lotissement, pas celle de villes nouvelles. Aucune cité de ce genre n’a été lancée avec un cadre juridique qui lui est dédié. Le volet législatif est très important à ce stade, car il définit celui qui a le droit de pendre la décision de lancer une ville nouvelle. Est-ce le chef du gouvernement ou le ministre de tutelle  ? Il faut aussi connaître la procédure et définir les attributions de tous les intervenants. En fait, c’est le ministère de l’Habitat qui a lancé les villes nouvelles. Ce département a dû assumer toutes les responsabilités qui, pour la plupart, relèvent d’autres ministères ou administrations. C’est le cas par exemple de la construction des écoles, des centres hospitaliers, des mosquées, des locaux des forces de l’ordre et autres.

 

F. N. H. : On évoque aussi l’absence d’une coordination intergouvernementale pour mieux réaliser ces projets…

D. E. : Effectivement, le département de l’Habitat n’a pas le savoir-faire nécessaire et l’expérience pour exécuter ce genre de projet qui implique différents intervenants. La construction de ces agglomérations est devenue tellement chère qu’elle a dissuadé de nombreux acquéreurs. Outre la construction des services publics, il fallait déployer aussi les ressources humaines nécessaires pour les faire fonctionner. A ce stade, les engagements des autres départements n’ont pas été respectés. C’est par la suite que des conventions de partenariat ont été signées entre les parties concernées; et même avec cela, des engagements n’ont pas été respectés. Il faut relever aussi que les agences urbaines donnaient des autorisations de lotissements juste à proximité des villes nouvelles. Ceci a créé une concurrence, alors que normalement elles devraient être préservées au moins pendant un certain temps. 

 

 

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