Sans intégration des PME locales dans les chaines de valeur, l’industrialisation du tissu économique marocain restera incomplète.
A.E
Le verdict des économistes est unanime : les chantiers de réformes et les stratégies sectorielles initiés par le Royaume ces 20 dernières années ont permis de réaliser de réels progrès économiques et sociaux, mais ils ne lui ont pas encore permis de converger vers les meilleures économies à revenu intermédiaire, en termes de niveaux de vie.
Alors que le Maroc est engagé dans une large et profonde réflexion sur son futur modèle de développement, le groupe Caisse de dépôt et de gestion apporte sa contribution, en organisant, récemment à Rabat, un séminaire réunissant économistes, chercheurs et consultants sur le thème de la transformation structurelle de l'économie.
L’idée directrice qui est ressortie des débats est que le Maroc doit inévitablement passer par une phase de forte industrialisation de son tissu productif, afin d’accélérer le processus de «rattrapage économique».
Or, constate Abdellatif Zaghnoun, Directeur général de la CDG, depuis le début de la décennie, le secteur tertiaire a connu une croissance supérieure à celle du secteur industriel. Sa contribution au PIB est en moyenne près de deux fois et demi supérieure à celle du secteur industriel.
«La transformation structurelle de l’économie marocaine nous donne l’impression de contourner le secteur secondaire en passant d’une économie à prédominance agricole vers une économie de services», soutient-il.
Les nouveaux métiers mondiaux du Maroc ont certes ouvert de grandes opportunités en matière d’insertion dans les chaînes de valeur mondiales. Mais là où le bât blesse, c’est au niveau de l’insertion des PME locales, à capitaux marocains, dans ces chaînes de valeur.
Comme le souligne Elie Cohen, économiste et invité de marque de cette conférence : «la PME marocaine n’exporte pas, n’innove pas, n’embauche pas» ! «Il faut, préconise-t-il, partir de ce qui est acquis, puis corriger, redresser, réformer».
Pour Youssef Saadani, directeur des études économiques au sein de la CDG, il y a des problèmes culturels à surmonter : «L’économie marocaine a un problème de dynamisme entrepreneurial. Les entreprises ne contribuent pas à la transformation structurelle. Elle se détournent des industries et des activités exportatrices». ◆
2 questions à Elie Cohen, économiste, directeur de recherche au CNRS
«Innovation : Le rattrapage est possible !»
Finances News Hebdo : Le Maroc a-t-il raté, selon vous, le train de l’innovation ?
Elie Cohen : Non, parce que l’innovation est un processus absolument continu, toujours disruptif. Dans mon intervention, j’ai donné l’exemple de l’intelligence artificielle où la Chine a été capable de parier sur des expatriés aux Etats-Unis pour les faire revenir, en leur faisant des ponts d’or, afin qu’ils développent une compétence spécifique en Chine. On constate qu’en quelques années, le rattrapage a pu se faire.
Je pense que le Maroc devrait s’en inspirer. Il faut regarder les domaines dans lesquels le Maroc a des pôles d’excellence, comme dans l’informatique, le numérique, ou encore les mathématiques où les étudiants marocains en France manifestent de grandes capacités. Il faut s’appuyer sur ces talents pour bâtir quelque chose de solide.
F.N.H. : Le Maroc a mis en place une stratégie industrielle très ambitieuse, qui a donné des résultats. Nous avons des champions, mais il n’y a pas de «ruissellement» vers les TPME locales. Que faut-il changer pour que cela soit le cas ?
E. C. : C’est effectivement un vrai problème. Comment se fait-il que les PME sous-traitantes marocaines, notamment dans le secteur automobile, n’arrivent pas à monter en gamme et à apporter une contribution à cette industrie ?
Je pense qu’il y a d’abord un problème de structure d’incitations.
C’est difficile d’investir dans l’industrie et de réussir dans ce domaine, surtout si l’on fait face à des incitations et une fiscalité qui ne sont pas adaptées. Il faut corriger cela.
Ensuite, il faut un accompagnement spécifique de ces PME. J’ai donné l’exemple du Royaume-Uni et de la France dans l’aéronautique, où l’on voit que même quand les donneurs d’ordre sont étrangers, il peut y avoir un bénéfice à organiser et structurer la sous-traitance locale avec des capitaux marocains pour qu’elle monte en gamme. ◆