Les MRE, dans leurs diversités, sont une partie de la société marocaine ayant une valeur ajoutée indéniablement reconnue dans la sphère économique du Royaume. Les flux de leurs transferts permettent d’alimenter les avoirs en devises, sécurisant et améliorant la capacité du Royaume à financer ses importations. Entretien avec Sofiane Gadrim, directeur des nouvelles technologies (CTO) et co-fondateur d’Atela.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Comment le Maroc peut-il inciter les Marocains résidant à l’étranger (MRE) à orienter une plus grande part de leurs transferts vers des investissements productifs plutôt que l’immobilier ?
Sofiane Gadrim : Les MRE, qu’ils soient partis hier ou issus d’une quatrième génération née à l’étranger, ont chacun une relation particulière avec le Maroc. C’est une mosaïque de parcours, d’histoires familiales, de contextes socioéconomiques. Ce qui les relie, c’est un passeport, mais au-delà, ils vivent des réalités et des attentes très différentes. On ne peut pas les approcher avec une stratégie unique, car chaque MRE porte en lui un lien unique, tissé de souvenirs, d’expériences et d’espoirs avec le Maroc. Prenons l'exemple de Brahim Diaz et Lamine Yamal, deux jeunes prodiges du football nés en Espagne. Tous deux partagent des origines marocaines, pourtant leurs choix diffèrent : Diaz a choisi de jouer pour le Maroc, Yamal pour l’Espagne. Ces choix sont personnels, influencés par des histoires familiales et des sentiments d’appartenance. Cette capacité à toucher les bonnes cordes, à comprendre les aspirations de chacun, a permis au Maroc de construire une équipe nationale solide, faite de joueurs divers mais tous unis sous un même drapeau. C’est cette approche personnalisée, cette écoute fine, que l’on pourrait transposer aux MRE. Regardons ce qui fonctionne déjà : l’immobilier. Ce secteur attire parce qu’il est tangible, bien organisé, et surtout parce qu’il est visible. Les nombreux salons et campagnes dédiés ciblent directement les MRE en leur offrant des opportunités concrètes. Ne pourrions-nous pas nous inspirer de cette dynamique pour d’autres secteurs prometteurs comme la technologie, l’industrie, ou l’agriculture durable ?
Le Maroc regorge d’opportunités, et il suffirait de les mettre en lumière de manière attractive pour capter l’attention des MRE. De la même manière, la Bourse de Casablanca est un acteur dynamique. Elle a su capter l’attention des jeunes en organisant des compétitions pour les étudiants, créant ainsi une nouvelle génération de Marocains intéressés par les marchés financiers. Ce modèle pourrait être étendu pour inclure les MRE. Imaginons des événements virtuels où la diaspora pourrait découvrir les entreprises marocaines cotées, comprendre les mécanismes d’investissement et interagir avec des experts. Il ne s’agit pas de simplement proposer des actions, mais de créer une véritable connexion entre les MRE et l’économie marocaine. Quand on pense aux MRE qui envisagent de passer leur retraite au Maroc, c’est une opportunité incroyable. Ce ne sont pas seulement des retraités, mais des contributeurs économiques qui apportent leurs ressources, leur expérience et leur engagement. Développer des systèmes de retraite complémentaires pour ces MRE serait une manière de solidifier leur lien avec le Maroc tout en apportant des devises et des capitaux au pays. Peut-être que des dispositifs de ce type existent déjà, ou sont en cours de réflexion, mais leur mise en lumière et leur développement pourraient offrir une belle opportunité pour renforcer encore plus ces liens économiques et sociaux. Enfin, pour vraiment comprendre et engager les MRE, nous pourrions pleinement exploiter la puissance des nouvelles technologies. Recueillir des données via des sondages et des enquêtes permettrait de connaître leurs attentes, leurs envies d’investissement, et même leurs besoins spécifiques. Ce serait une manière d’ajuster nos politiques et nos offres économiques de manière plus ciblée et efficace. En fin de compte, le Maroc a les ressources et les opportunités pour faire de ses MRE de véritables acteurs du développement. Il suffit de comprendre leurs attentes, et de leur offrir des solutions sur-mesure, adaptées à leurs parcours uniques. Avec une approche personnalisée et proactive, le Maroc peut pleinement bénéficier de la richesse de sa diaspora, tout en lui offrant des voies claires et attrayantes pour s’engager dans le futur de leur pays d’origine.
F.N.H. : Quelles sont les principales barrières qui freinent l'investissement des MRE dans des secteurs productifs comme l'industrie ou les nouvelles technologies, et quelles solutions envisagez-vous ?
S. G. : Les transferts des MRE ont dépassé les 68 milliards de dirhams en seulement sept mois en 2024, témoignant de la force économique de cette diaspora. Mais au-delà de ces chiffres impressionnants, l’enjeu est de canaliser une partie de ces fonds vers des secteurs productifs qui participeraient encore plus activement à la transformation du Maroc. Le Maroc se positionne aujourd’hui comme un pays en pleine effervescence, capable d’attirer l’attention mondiale grâce à des événements d’envergure comme Gitex Africa, la CAN 2025 et la co-organisation de la Coupe du monde 2030. Ces rendez-vous internationaux sont bien plus que des vitrines sportives ou technologiques : ils dessinent une nouvelle image du Maroc, dynamique, innovant et résolument tourné vers l’avenir. Chaque compétition, chaque forum, chaque salon est une porte ouverte vers des investissements et des collaborations, et c’est dans ce sillage que le Royaume peut puiser pour capter l’intérêt des MRE et les encourager à participer à cette dynamique. Il est essentiel de continuer à valoriser ce qui fonctionne déjà et de mettre en avant les secteurs porteurs de manière plus visible et accessible. Le crowdfunding, par exemple, pourrait devenir un levier puissant pour permettre aux MRE de s’engager directement dans des projets concrets au Maroc. Qu’il s’agisse de startups technologiques, de projets agricoles innovants ou d’initiatives culturelles, ces plateformes pourraient offrir aux MRE des possibilités d’investissement simples, sécurisées, et connectées à des secteurs productifs. C’est une manière de les rendre acteurs du développement, tout en diversifiant les sources de financement pour l’économie marocaine. Mais au-delà de l’envie d’investir, il y a aussi des questions pratiques qui se posent.
Prenons l’exemple de l’Office des changes, qui régule les flux financiers pour protéger les réserves de devises du pays. Lorsqu’un MRE souhaite transférer une somme importante, comme 100.000 euros, la flexibilité de pouvoir rapatrier ces fonds ou les réorienter en cas de besoin devient cruciale. Pour les entreprises, des dispositifs existent pour assurer la sécurité de ces flux, mais pour les particuliers, la question reste parfois complexe et entourée de règles qui peuvent sembler opaques. C’est tout à fait compréhensible compte tenu des enjeux de stabilité financière pour le Maroc, mais c’est aussi là où la technologie peut jouer un rôle clé. Imaginons une solution basée sur la blockchain, où chaque transfert important serait tracé de manière transparente et sécurisé, offrant aux MRE une sorte de crédit ou bon virtuel qui leur garantirait la possibilité de récupérer leurs fonds sans complications excessives, tout en maintenant les équilibres nécessaires pour l’économie marocaine. Cela permettrait de créer un climat de confiance et de fluidité, rendant les investissements plus attrayants tout en respectant les impératifs de contrôle des devises. Bien entendu, il est possible que des solutions de ce type soient déjà en réflexion, mais c’est en multipliant ce genre d’innovations que le Maroc pourra encore mieux accompagner sa diaspora dans ses démarches économiques. Le Maroc est sur la bonne voie. Avec l’effervescence actuelle autour des grands événements, le dynamisme entrepreneurial et des initiatives pour attirer toujours plus d’investissements, il est certain que des résultats probants vont continuer à émerger. Chaque pas compte, et en renforçant l’accès, la sécurité et la visibilité des opportunités, le Maroc ne fera que consolider sa place comme destination privilégiée pour ses MRE, transformant leur potentiel en véritable moteur de croissance pour le pays.
F.N.H. : En tant qu’ancien MRE, quels défis administratifs rencontrent les MRE lors de leurs tentatives d'investissement au Maroc, et comment ces obstacles pourraient-ils être surmontés pour encourager plus de MRE à investir ?
S. G. : Parlons des interactions des MRE avec les réalités administratives, et ce que cela représente en termes d’opportunités pour construire une relation de confiance. Comment transformer ces moments d’interaction en véritables leviers d’engagement et de développement ? Le Maroc a déjà mis en place des initiatives positives, comme les CRI qui accompagnent les investisseurs. On peut aller plus loin en enrichissant ces points de contact avec des services encore plus innovants et digitaux. Nous pourrions mettre en place des plateformes interactives, où chaque MRE pourrait suivre son parcours d’investissement en temps réel, poser des questions et obtenir des réponses rapides. Des solutions comme les chatbots intelligents ou l'intelligence artificielle pourraient rendre ce parcours encore plus fluide et intuitif. Il y a une réelle opportunité de créer un écosystème d'accompagnement qui va au-delà des procédures administratives. Par exemple, lors de la CAN 2025 et de la Coupe du monde 2030, le Maroc sera sous les feux des projecteurs mondiaux. Utilisons ces événements pour mettre en avant l'attractivité du pays ? Des sessions de networking, des conférences sur les opportunités d’investissement pour les MRE pourraient être organisées en marge de ces compétitions. De plus, il est essentiel de mettre en avant les réussites qui ont découlé des initiatives marocaines, comme les startups qui ont su percer grâce aux programmes d'accompagnement et aux financements adaptés. Cela envoie un message fort : le Maroc est une terre d’opportunités, et il y a une place pour chaque investisseur, qu’il soit dans la tech, l’agriculture, ou l’industrie. Enfin, la technologie peut jouer un rôle central dans l'accompagnement des MRE avec des applications dédiées où les MRE peuvent simuler leurs investissements, accéder à des études de marché personnalisées, ou même se connecter avec d’autres investisseurs pour partager des expériences. C’est cette dimension communautaire et interactive qui pourrait faire toute la différence, en transformant chaque démarche administrative en une véritable expérience d’accompagnement et de valorisation. Le Maroc est en plein essor, et les infrastructures se modernisent à vue d'œil. Avec des événements mondiaux à l’horizon, des avancées technologiques et une volonté de faire participer sa diaspora, il y a là une formidable occasion de repenser les interactions entre les MRE et l’administration. Plutôt que de les voir comme de simples démarches, faisons-en des moments de connexion et de collaboration, où chaque MRE se sentira véritablement acteur du développement de son pays d’origine.
F.N.H. : Aujourd’hui, comment percevez-vous l'implication des nouvelles générations de MRE par rapport au Maroc, et qu'est-ce qui pourrait encourager leur engagement économique et social ?
S. G. : Pour renforcer l’engagement des nouvelles générations de MRE envers le Maroc, il faut penser différemment, en tenant compte de leurs aspirations et de leur réalité quotidienne. Ces jeunes MRE sont souvent très connectés, ouverts sur le monde, et ils ont soif d’opportunités concrètes, pas seulement de discours. Leur engagement ne passera pas uniquement par des appels au patriotisme ou à l’attachement culturel, mais par des actions tangibles qui leur montrent que le Maroc est un terrain fertile pour leurs idées, leurs compétences et leurs projets. Le défi, c’est de leur parler autrement, de leur montrer que le Maroc bouge, innove, et peut leur offrir des rôles qui vont au-delà de simples visiteurs ou de contributeurs financiers. Des programmes d’échange, des stages, des incubateurs virtuels qui les connectent à des projets réels au Maroc peuvent faire toute la différence. Nous pourrions organiser des hackathons dédiés à la diaspora, des plateformes qui permettent à ces jeunes de collaborer avec des startups marocaines à distance. Ainsi, il ne s’agit pas forcément de les pousser à rentrer définitivement, mais de leur donner envie de s’impliquer et d’apporter leur savoir-faire où qu’ils soient.