Souveraineté alimentaire : Il est temps de changer de paradigme

Souveraineté alimentaire : Il est temps de changer de paradigme

La problématique de la souveraineté alimentaire n’a jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui. Entre une sècheresse à laquelle nous avons relativement échappé grâce à une pluie tardive mais salvatrice, et la plus grave crise géopolitique mondiale depuis celle des missiles de Cuba, le Maroc se retrouve confronté, au même titre que le reste du monde, au spectre d’une inflation sans précédent des cours des matières premières et alimentaires.

Ayant fondé depuis le plan «Maroc Vert» notre stratégie de sécurité alimentaire sur les marchés internationaux, les différents gouvernements qui se sont depuis succédé, n’ont semble-t-il pas acté que la crise de 2008 était le début de la fin d’une mondialisation qu’on nous promettait «heureuse». Si sur le court-terme nos stocks stratégiques nous permettront de tenir au moins 5 mois, qu’en sera-til si la crise venait à perdurer, voire à s’aggraver ?

D’autant plus que la situation en Ukraine laisse présager que la campagne militaire russe risque de durer encore plusieurs mois. Mais, au fond, la question fondamentale n’est pas celle des stocks ou de la crise actuelle, mais de notre capacité à couvrir nos besoins alimentaires les plus fondamentaux. Une problématique qui ne date pas d’hier, à en croire le professeur Najib Akesbi qui, lors du premier épisode de la nouvelle émission «Urgences Economiques», a pointé du doigt des choix politiques en matière agricole qu’il juge inadéquats.

Pire, avec le plan «Maroc Vert», nous aurions fait le choix de les prolonger avec des moyens infiniment plus importants. A cet effet, Najib Akesbi rappelle que toute crise ne fait que révéler des défaillances qui jusquelà étaient latentes. Expert en la matière, il a entamé une critique méthodique dudit plan dès 2008, en articulant son argumentaire autour de différents axes. Le premier est l’inadéquation entre les objectifs du plan et les besoins concrets des Marocains. Car, comme le souligne le Pr. Akesbi, l’alimentation ne saurait être pensée comme un simple marché concurrentiel et libre. Elle fait partie des besoins fondamentaux, des droits de l’Homme les plus élémentaires, insiste le Pr. Akesbi. Il se réfère en cela à la définition que donne le mouvement international «Via Campesina» de la souveraineté alimentaire : «La souveraineté alimentaire est le droit des peuples, des communautés et des pays de définir, dans les domaines de l'agriculture, du travail, de la pêche, de l'alimentation et de la gestion forestière, des politiques écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées à leur situation unique».

La souveraineté étant au fondement de ce principe, le taux de profit, la rentabilité et la liberté du marché ne sauraient donc nous dicter les politiques à suivre. Car, comme le soutient Najib Akesbi, «la sécurité alimentaire a un coût mais n’a pas de prix !». De même, cette liberté n’est au fait l’apanage que des grands producteurs agricoles. Quant aux petits, leur liberté se résume à ne pas mourir de faim. Deuxièmement, l’orientation fortement appuyée en faveur de l’export n’a pu, malgré les immenses sommes dépensées depuis des décennies, en plus des avantages fiscaux, atteindre ses objectifs, comme le rappelle Najib Akesbi. En effet, la balance commerciale des produits agricoles frais est jusqu’à aujourd’hui déficitaire à hauteur d’environ 10 milliards de dirhams, soit l’équivalent d’1% de notre PIB.

De même, ces cultures orientées vers l’export sont pour bon nombre d’entre elles inadéquates aux conditions climatiques du Maroc. La pastèque, la banane, l’avocat ainsi que les fruits rouges ne sauraient s’inscrire dans une logique durable dans le contexte d’un stress hydrique de plus en plus important et d’une pluviométrie de plus en plus imprévisible. Enfin, les alertes concernant les risques qui planent sur notre sécurité alimentaire n’ont pas manqué durant ces dernières décennies. Des déséquilibres entre l’offre et la demande ont été à maintes reprises constatées, de même qu’une flambée des prix de certains produits agricoles en interne, en raison d’une préférence des producteurs pour l’export jugé plus rentable.

L’erreur est humaine autant dans la vie de tous les jours qu’en politique. Mais persévérer dans l’erreur pendant des décennies ne peut procéder que d’une incompétence chronique. Ce que Najib Akesbi exclut fermement, soit d’intérêts particuliers qu’il s’agit de préserver des fois au détriment de l’intérêt général. Il en résulte qu’il est peut-être temps désormais d’œuvrer activement en vue d’un changement de paradigme, en repensant la question de la souveraineté alimentaire à une échelle nationale et régionale comme le propose le Pr. Akesbi, en partant du bas vers le haut.

Soit du besoin concret de la population marocaine, afin d’en déduire une politique agricole adéquate et durable, capable de nous émanciper à terme de la dépendance vis-à-vis de la volatilité des marchés et des aléas de la géopolitique. Mais, dans l’immédiat, la diversification des sources d’approvisionnement en céréales et la constitution d’importants stocks stratégiques demeurent la priorité. Espérons qu’à l’image de la récente crise sanitaire qui exhuma le principe de «souveraineté sanitaire», cette crise autant géopolitique qu’économique sera l’occasion pour nous d’opérer un saut qualitatif vers une plus grande souveraineté alimentaire, au profit de tous les Marocains. 

 

Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d'Arkhé Consulting

 

 

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