Le séisme de la... rentrée

Le séisme de la... rentrée

Le deuil national. Une tragédie que ce séisme dans la province d'Al Haouz (Marrakech) avec son cortège (provisoire) de près de 3.000 victimes, de quelque 5.500 blessés et de plus de 300.000 sinistrés, dont le tiers constitué d’enfants. L'on compte aussi 6.200 douars détruits. Un spectacle qui a été un choc... Que faire ? Réagir, faire face – cela s’appelle la résilience. S.M le Roi a réuni, dès le lendemain, le samedi 9 septembre à Rabat, les responsables civils et militaires les plus concernés. Il faut y revenir. Pour l'heure, ce premier constat : la rentrée politique que l'on escomptait, voici quelques jours à peine, ne sera plus ce qu'elle devait être : relance du dialogue social, finalisation du projet de Loi de Finances 2024, d'autres textes encore.

Autant de dossiers qui resteront bien entendu à l'ordre du jour; il faut continuer à gérer l'État et à gouverner. Mais comment ne pas relever qu'ils seront déclassés par rapport à ce séisme et à son impact durable sur la vie sociale et économique. Quatre priorités ont été définies par le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, devant décliner les orientations du prochain exercice budgétaire : mesures de soutien face à la conjoncture actuelle, consolidation des piliers de l'État social, poursuite des réformes et des chantiers, et enfin, la soutenabilité des finances publiques. Des prévisions de croissance avaient ainsi été retenues. Telles celles d'un taux de croissance de 3,7 % en 2024 contre 3,4% en 2023, ou une réduction du déficit budgétaire à 4% contre 4,5% pour l'exercice annuel. Tout cela, sans parler d'autres indicateurs macroéconomiques. Est-il encore tenable ?

Contraction de la croissance

Il faut en effet ne pas relever la complexité et l'immensité des tâches à entreprendre ? Celles-ci se découplent à deux niveaux. Le premier est celui des mesures d'urgence globalement déclinées dans le communiqué de la réunion tenue par SM Mohammed VI. Elles portent sur plusieurs domaines intéressant les opérations de sauvetage, d'alimentation et d'hébergement des centaines de milliers de sinistrés. Quant au second niveau, il a trait, lui, à la définition et à la mise en œuvre de politiques publiques devant être axées sur la reconstruction des zones dévastées. L'impact de ce séisme est majeur sur l'économie nationale. Cette région de Marrakech-Safi est l'une des collectivités territoriales qui génère quelque 8% avec -la province d'Al- Haouz -, du PIB. La pêche et l'agriculture y sont notables (15%); la production de viande rouge aussi avec 60.000 tonnes (12%); de même pour la production laitière (20%).

Certaines unités dans ces secteurs ne pourront pas reprendre leurs activités; d'autres peineront sans doute durant des mois pour retrouver une production normale. Et puis cette grande crainte : celle d'un repli du tourisme. Un amalgame médiatique surligne l'association entre le séisme et... Marrakech ! Il est abusif; certains TO y cèdent en recommandant déjà à leurs clients de prendre des précautions particulières pour se rendre dans la capitale impériale du Sud. Des prévisionnistes ont déjà retenu une baisse du PIB tant pour 2023 que pour 2024 et même les années suivantes : 2% pour certains, plus encore pour d'autres. Une évaluation sans doute précipitée alors que tant de paramètres et d'indicateurs ne sont pas encore bien cernés ni identifiés. La dimension financière de la reconstruction fait l'objet de contacts du Maroc à l'étranger, en particulier avec la Banque mondiale, l'Union européenne ainsi qu'avec des pays amis ou frères (Qatar, Émirats Arabes Unis, Arabie Saoudite). Mais ce n'est là qu'un aspect de la mobilisation de nouvelles ressources à entreprendre.

L'option budgétaire est sur la table, bien entendu, mais elle supporte des limites : quelles sont les marges de manœuvre possibles ? Une question d'autant plus pesante que déjà en l’état, sur la base du projet de Loi de Finances 2024, de fortes contraintes étaient sur la table. Le recours à la fiscalité est-il envisageable et faisable ? Sur le papier, oui, mais cela risque de grever la relance économique par suite d'une éventuelle nouvelle charge d'imposition sur les entreprises déjà confrontées à une conjoncture locale et internationale difficile. L'idée d'une taxation exceptionnelle de solidarité est mise en avant aussi, mais limitée aux grandes entreprises. Et pourquoi ne pas la flécher plus spécifiquement vers les surprofits de certains secteurs (hydrocarbures, banques, assurances,...). Il restera à ce gouvernement à décider et à arbitrer par-delà les intérêts des uns et leur proximité avec des centres de décision de l'État... Enfin, la solidarité exceptionnelle. Elle s'amplifie dans tous les domaines et doit se vérifier dans la contribution au compte «126» ouvert au Trésor et à Bank Al-Maghrib par décision du Souverain. L'élan est général; il doit se poursuivre; et il faut espérer qu'il atteindra à terme un seuil significatif à la mesure de l'esprit de solidarité nationale.

Un «autre» Maroc, sur le bas côté

Au titre des ressources financières encore mobilisables, il faut mentionner le concours du Fonds d'indemnisation institué en janvier 2020 par la loi 110-14. Il s'articule autour de deux volets : l'un relatif à un régime d'assurance au profit des victimes dûment couvertes, et l'autre à celles qui ne le sont pas. Compte tenu des procédures requises pour y être éligible, l'encadrement et l’accompagnement des sinistrés est nécessaire. A noter que dans ce système assuranciel, le plafond global est au maximum de 3 milliards de DH. Il s’étire sur plusieurs mois... Ce sinistre dans la province d'Al Haouz emporte une forte charge d'interpellation.

Il a mis en relief un «autre» Maroc, sur le bas côté des grands chantiers structurants dans un certain discours du gouvernement : 6.200 douars détruits, pratiquement hors développement. Qui s'en est soucié ? Pouvaient-ils faire entendre leurs besoins et leurs aspirations? Pas vraiment, parce qu'ils ne disposent pas de réseaux ni de relais proches des centres de décision régionaux et nationaux. C'est le développement des territoires qui est problématique, les inégalités demeurant encore structurelles. L'«État social» ? C'est aussi une stratégie englobant la nécessaire approche de l'équité dans le partage des fruits de la croissance et du développement. 

 

 

Par Mustapha Sehimi Professeur de droit (UMVR) & Politologue

 

 

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