En 2023, le montant des prestations servies avoisine les 29 milliards de dirhams. Pour accentuer sa transformation digitale, la Caisse a mis en place un plan de déploiement d’un budget global de 1,2 milliard de DH. Aujourd’hui, 70% des dossiers de remboursement passent par les réseaux de proximité. Hassan Boubrik, Directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), aborde avec nous la montée en puissance de l'organisme, les défis technologiques rencontrés ainsi que les efforts déployés dans la lutte contre la fraude sociale...
Propos recueillis par Y. Seddik
Finances News Hebdo : Tout d’abord, pouvezvous nous fournir un bilan général de l'activité de la CNSS en 2023, en mettant en évidence les réalisations clés et les défis surmontés ?
Hassan Boubrik : L’année 2023 s’est clôturée sur une note positive avec des chiffres en évolution, notamment le passage du nombre de salariés déclarés de 3,7 millions salariés en 2022 à 4 millions en 2023, l’augmentation de la masse salariale déclarée de 185 milliards de DH en 2022 à 204,4 milliards de DH en 2023 ainsi que l’évolution des cotisations mises en recouvrement pour atteindre 30,8 milliards de DH en 2023 contre 28 milliards en 2022. 93% de ces cotisations ont été encaissées. Outre les actions à l’amiable, la CNSS a mené 8.364 missions d’inspection et de contrôle en 2023. Ces missions ont permis de redresser la situation de 115.000 salariés et de régulariser une masse salariale s’élevant à 3,5 milliards de DH. De même, les cotisations encaissées suite au recouvrement forcé ont enregistré 4,25 milliards de DH en 2023 contre 3 milliards de en 2022. Par ailleurs, le montant des prestations servies est passé de 26 milliards de dirhams en 2022 à 28,6 milliards en 2023. S’agissant du Régime de l’assurance maladie obligatoire de base des travailleurs salariés, le nombre de bénéficiaires a atteint 9,8 millions de personnes. De même, le montant des cotisations mises en recouvrement s’est élevé à 10,8 milliards de DH en 2023 contre 9,2 milliards en 2022, et le montant des prestations servies a atteint 7,6 milliards de DH en 2023 contre 6,5 milliards en 2022. Pour accomplir ces réalisations, la CNSS a dû relever plusieurs défis, notamment le basculement automatique de plus de 10 millions de personnes bénéficiaires du Ramed dont 3,7 millions de chef de familles, vers AMO TADAMON le 1er décembre 2023.
F.N.H. : Avec AMOTADAMON, le nombre de bénéficiaires des services de la CNSS a significativement augmenté en 2023. Quels sont les principaux avantages et défis liés à cette expansion du programme, et comment la CNSS prévoit-elle de garantir la qualité des services pour l’ensemble de bénéficiaires ?
H. B. : L’effectif de nos assurés est passé de 7,8 millions de personnes immatriculées à la CNSS (assurés principaux et leurs ayants droit) à 23,2 millions de personnes au bout de deux années. Cette variation importante au niveau de la population couverte commence déjà à entraîner une croissance exponentielle de notre activité. Le nombre de dossiers de remboursement déposés quotidiennement à la CNSS ne cesse de s’accroître; il est passé par exemple de 22.000 en décembre 2020 à plus de 60.600 dossiers en 2023. Tout cela constitue un avantage pour les clients et un défi pour la CNSS. Nous étions donc dans l’obligation de renforcer nos efforts pour contenir cet afflux, en optimisant notre capacité de traitement et de liquidation des dossiers AMO. L’objectif étant de maintenir une qualité de service irréprochable et un délai de remboursement raisonnable. Pour ce faire, des mesures importantes ont dû être déployées sur deux niveaux : la collecte et le traitement des dossiers. Sur le plan de la collecte, nous avons notablement étendu notre réseau.
Toutefois, celui-ci demeure très limité avec 170 agences et ne permet pas de couvrir l’ensemble du territoire national. En effet, depuis sa création, la CNSS servait les salariés du secteur privé généralement installés dans les villes et les zones périurbaines. Mais, avec l’intégration des TNS et des bénéficiaires d’AMO TADAMON, nos clients proviennent désormais de toutes les régions, y compris les zones rurales les plus enclavées. A ce compte-là, il était définitivement intolérable pour nous d’obliger nos assurés à parcourir des centaines de kilomètres pour déposer un dossier de remboursement. Pour faire face à cette situation, nous avons conclu un partenariat avec les réseaux de proximité. Ce partenariat nous a permis de recenser plus de 2.000 points de proximité éparpillés sur tout le territoire national, où nos assurés peuvent déposer en toute sécurité leurs dossiers de remboursement. Là il fallait travailler avec les points de proximité pour mettre à leur disposition une plateforme d’échange électronique permettant d’identifier les clients, de tracer les dossiers en temps réel et de les acheminer dans les entités du traitement où le dossier sera liquidé. Cette mesure a permis de soulager nos agences, exempter les assurés des tracas du déplacement et de maintenir une bonne qualité de service. Aujourd’hui, 70% des dossiers de remboursement passent par ces réseaux de proximité et c’est la meilleure preuve de la satisfaction de notre clientèle ! Au niveau du traitement, nous avons renforcé le pôle AMO avec le recrutement de 300 ressources supplémentaires et nous avons mis en place un centre d’opération back-office externe qui compte près de 180 ressources chargées du traitement des dossiers. De plus, un immense travail a été fait pour dématérialiser la relation avec les prestataires de soins dans le secteur public et privé. Concernant le secteur public, nous avons travaillé avec les CHU et les hôpitaux pour assurer une interopérabilité entre nos systèmes d’information et nos bases de données. Ainsi, l’hôpital public peut accéder à une plateforme qui lui permet de savoir si le patient bénéficie de l’AMO TADAMON et si son droit est ouvert. Dans ce cas, les actes dispensés sont reliés au numéro d’immatriculation de la personne concernée et la facturation de cette prestation se fait par un échange de données entre l’hôpital public et la CNSS.
Cette interconnexion a permis de fluidifier la facturation, étant donné que le nombre de dossiers de la population AMO TADAMON est estimé à 15, voire 20.000 dossiers par jour dans les centres de santé et les hôpitaux publics. S’agissant du secteur privé, un nouveau système d’information de la CNSS a été mis en production au mois d’octobre 2022. Outre la dématérialisation de l’AMO, le service TAAWIDATY dédié initialement à la demande des allocations familiales et la déclaration de la scolarité des enfants des bénéficiaires, a été élargi pour inclure toutes les prestations du régime général. En conséquence, la demande de liquidation de la pension, la demande de l’IPE ou de l’IJM ou de toute autre prestation pourront être effectuées complètement à travers TAAWIDATY. Par ailleurs, nous avons mis en place un centre de la relation client (CRC) externalisé, avec plus de 160 ressources. Ce centre a pour mission de gérer les réclamations, les demandes d’information et d’assister les assurés qui peuvent le joindre sur le 39 39 au prix d’une communication locale. Nous avons également augmenté le nombre d’émissions des paiements AMO de 2 à 3 paiements par semaine pour maintenir un délai moyen très raisonnable, estimé aujourd’hui à 10 jours. Ce délai est l’un des indicateurs que nous surveillons régulièrement dans le cadre du suivi de la satisfaction client. En outre, nous avons mis en place un formulaire de réclamation à travers notre site, et nous recevons à travers notre centre d’appel, nos réseaux sociaux, email, courrier et agences, des réclamations que nous suivons et traitons rigoureusement. Enfin, nous avons créé un dispositif de conciliation pour maintenir et améliorer un climat de confiance avec nos assurés. Ce dispositif vient renforcer l’approche orientée client et met à sa disposition un service accessible, équitable et gratuit, de prévention et de règlement des différends nés ou pouvant naître entre la CNSS et ses assurés.
F.N.H. : Le taux d'encaissement des cotisations dues s'est maintenu à 93% en 2023, avec une augmentation des revenus issus du recouvrement forcé. Quelles mesures spécifiques la CNSS a-t-elle prises pour maintenir ce taux élevé, et comment cela contribue-t-il à la stabilité financière du régime de sécurité sociale ?
H. B. : Nous avons revu complètement nos process de recouvrement en industrialisant notre approche et en la rendant systématique. Nous avons également renforcé les équipes de la direction du recouvrement en doublant leur effectif entre début 2021 et aujourd’hui. Cette nouvelle stratégie de recouvrement est axée sur une approche anticipative et graduelle afin d’optimiser l'utilisation des ressources et de réduire le reste à recouvrer en adoptant un traitement exhaustif de chaque créance, depuis sa mise en recouvrement jusqu'à sa clôture. Cette approche a donné ses fruits et nous réalisons nos objectifs annuels en matière de recouvrement sur le régime général et celui de l’AMO des salariés. Mais là encore, je pense qu’il convient de renforcer les moyens juridiques mis à la disposition de la CNSS pour le recouvrement. Au fait, la stabilité financière de tout régime dépend de l’équilibre entre les recettes et les dépenses; et le fait de maintenir un taux de recouvrement élevé assure le financement des prestations servies et impacte directement la stabilité et la pérennité du régime.
F.N.H. : La digitalisation est un axe majeur du plan d'action de la CNSS pour 2024. Comment la Caisse envisage-t-elle d’accélérer ce processus, et quels avantages attendez-vous de cette transformation numérique tant du point de vue de l'efficacité opérationnelle que de la satisfaction des usagers ?
H. B. : Soucieux de l’importance des nouvelles technologies de l’information pour l’avenir de notre institution, nous avons élaboré une stratégie de transformation digitale basée sur trois axes clés, à savoir l’absorption de l’impact opérationnel et financier de la réforme de la couverture médicale, la préparation de l’extension de la réforme et consolidation des opérations, et la génération de la valeur pour l’écosystème, audelà des frontières métiers. Cette stratégie de transformation digitale a des objectifs clairs, notamment la simplification des procédures, la proximité, la lutte contre la fraude et le décongestionnement des agences de la CNSS. Elle a été entamée par le lancement de la nouvelle version du portail DAMANCOM qui a atteint 394.395 employeurs affiliés, de l’application Ma CNSS avec 6.369.738 comptes créés par les assurés, dont 1.156.668 comptes concernant les assurés AMO-TADAMON, et du service TAAWIDATY. Pour accentuer notre transformation digitale, nous a avons mis en place un plan de déploiement sur sept ans avec un budget global de 1,2 milliard de DH. Ce processus comprendra la mise en place de solutions technologiques innovantes permettant une gestion transparente et rapide de la relation client, ainsi que la dématérialisation progressive de toutes les prestations, du processus de gestion et de recouvrement. Un total d'environ cinquante parcours ont été identifiés pour relever ce défi, avec une feuille de route «Silplus» établie pour atteindre les objectifs fixés. Dans un premier temps, la dématérialisation se concentrera sur les parcours liés à l'absorption de l'impact opérationnel et financier de la réforme. Cela inclut l'enrôlement et les prestations de l'Assurance maladie obligatoire (AMO), la détection automatisée de la fraude et la digitalisation des parcours des professionnels de la santé. Cette phase est prévue sur une durée de quatre ans.
À partir de 2026, une deuxième étape sera lancée pour préparer l'extension de la réforme et consolider les opérations. Elle impliquera la digitalisation des parcours des prestations, des services affiliés, des fonctions internes et du recouvrement. Par la suite, d'autres parcours seront dématérialisés pour répondre aux nouveaux besoins des assurés, la prévention des maladies et le partage de données avec d'autres entités gouvernementales. Cette décision stratégique de transformation nous permettra d’améliorer l'efficacité globale des opérations, la qualité de service, la collecte et la gestion des données qui permettront de lutter contre la fraude, renforcer les analyses épidémiologiques et préventives et d'optimiser les dépenses. Grâce à cette orientation, nous estimons un gain économique potentiel de près de 2 milliards de dirhams par an. Le nouveau système AMO, appelé SIAMO, sera concrétisé par le déploiement de la feuille de soin électronique et permettra une dématérialisation totale du process. Le délai nécessaire pour le déployer auprès des prestataires de soins est estimé de 24 à 36 mois. En effet, grâce à ce système, lorsque le patient se présente chez un médecin traitant ou n’importe quel prestataire de soins, ce dernier aura accès à une plateforme où il peut saisir l’acte, l’ordonnance, l’examen biologique et tout autre document. De même, le pharmacien n’aura qu’à saisir le numéro d’immatriculation du patient pour consulter son ordonnance automatiquement. Vous pouvez alors constater que la dématérialisation du système AMO sera bénéfique pour le patient, le prestataire de soins et l’assureur vu que les liquidateurs n’auront plus besoin de saisir à nouveau les mêmes informations. Du coup, ce nouveau système permettra d’améliorer la qualité de service en diminuant davantage le délai de rebroussement.
F.N.H. : Outre le recouvrement et la maîtrise des dépenses de l'AMO, la lutte contre la fraude sociale est également un objectif clé du programme triennal 2024- 2026. Quelles nouvelles mesures la CNSS envisage-t-elle de mettre en place pour renforcer ces aspects et quel impact prévoyez-vous sur la pérennité du système de protection sociale ?
H. B. : La CNSS déploie une stratégie proactive pour lutter contre la fraude sociale, préserver les ressources du régime de sécurité sociale et garantir la protection des droits des assurés. Afin de relever ce défi, la CNSS a mis en place un dispositif comprenant deux processus complémentaires. D'une part, la CNSS adopte une démarche amiable axée sur la sensibilisation et l'accompagnement des assurés. Les chargés de clientèle des agences CNSS sont mobilisés pour mener des actions sur le terrain, effectuer des relances téléphoniques et par mail, et traiter les réclamations des assurés. Cette approche vise à promouvoir une prise de conscience collective. D'autre part, la CNSS mène une lutte acharnée contre la fraude avérée grâce aux missions assurées par les inspecteurs et contrôleurs. Ces professionnels spécialisés effectuent des enquêtes approfondies, des contrôles sur le terrain et des inspections pour détecter les cas de fraude sociale et prendre les mesures nécessaires. Cette démarche permet d'identifier les fraudeurs et de sanctionner les comportements illégaux, garantissant ainsi l'équité. Par ailleurs, afin de limiter les risques liés aux comportements frauduleux de certains acteurs de l’AMO (assurés et/ou prestataires de soins), un dispositif de contrôle a priori et a posteriori a été mis en place permettant le repérage de cas suspicieux. Le contrôle a priori porte sur le contrôle de la conformité de la liquidation (erreurs de traitement), la cohérence de la consommation (détection des abus) et sur la conformité des dossiers (authenticité des pièces justificatives, …).
Pour ce qui est du contrôle a posteriori au niveau des prestataires de soins (PS), le contrôle est réalisé sur la base de plusieurs indicateurs (la fréquence moyenne de bénéficiaire par PS; la quantité moyenne par séjour par PS ; l’évolution du chiffre d’affaires, ….). Ces indicateurs permettent d’identifier les prestataires ayant une activité hors normes et pourront révéler l’existence de cas de fraudes. Au niveau des assurés non porteurs d’ALD, le contrôle porte sur l’analyse de la consommation de ces assurés, en ciblant la population à risque de consommation des médicaments injectables non justifiée, ou bien la consommation des médicaments liés à l’ALD par des non-porteurs d’ALD. Pour les porteurs d’ALD, le contrôle porte sur l’analyse de leur consommation, en ciblant la population à risque ayant une part élevée en termes de nombre de dossiers déposés et de valeur remboursée. Encore une fois, la pérennité du système repose sur l’équilibre entre les recettes et les dépenses, et toute action de lutte contre la fraude sociale vise à protéger les droits des personnes assujetties au régime en veillant sur leur déclaration et le paiement de leurs cotisations.