Le groupe va distribuer un dividende de plus de 8,1 Mds de dirhams à l’Etat après une année de performances historiques.
Les dessous de la stratégie du leader mondial des phosphates.
Par A. H
La crise en Ukraine a fait décoller les cours des matières premières, et avec eux les besoins financiers de l’Etat pour combler le déficit budgétaire additionnel. Un montant compris entre 12 et 15 Mds de dirhams sera nécessaire. Pour combler ce trou, les autorités ont décidé d’augmenter les opérations de leaseback sur biens publics de 8 Mds de dirhams pour atteindre 20 Mds de dirhams, contre 12 Mds budgétisés dans la Loi de Finances. Aussi, les recettes des monopoles et participations de l’Etat ont été revues à la hausse, étant donné que le Trésor anticipait une bonne année pour l’OCP, qui profite d’un contexte international favorable.
Selon Abdellatif Jouahri, des revenus additionnels de 4 Mds de dirhams étaient attendus sur cette ligne de recette. Et voilà que 48 h après les annonces de Jouahri, le géant des phosphates publie sa copie : 16 Mds de bénéfices, des marges en nette amélioration et un dividende de 8,1 Mds de dirhams qui devrait soulager le déficit, démontrant au passage, pour qui l’aurait oublié, l’importante taille de l’OCP et son impact systémique sur nos indicateurs macroéconomiques.
Une performance historique
84 Mds de dirhams de chiffre d'affaires, 16 Mds de dirhams de bénéfices et des marges d'EBITDA de plus de 40%. L'année 2021 est une année à graver dans la roche pour l’OCP. Le groupe a en effet réalisé une croissance significative à deux chiffres du chiffre d'affaires dans tous les segments en 2021, portée par une hausse de 57% des engrais, qui comptaient pour 61% du chiffre d'affaires total. Les produits de spécialité ont représenté une part plus importante dans les exportations d'engrais en 2021, soit 34%. Une tendance qui devrait se poursuivre en 2022 et qui génère des marges plus importantes. Mais, en plus des volumes, le groupe a profité d'un effet prix important qui, combiné à l'excellence opérationnelle, a propulsé la marge d'EBITDA à plus de 43%, contre 34% une année auparavant.
La stratégie des 3 fois 40
Karim Lotfi Senhaji, directeur financier (CFO) du groupe, nous précise que pour comprendre cette année record, il faut remonter quelques années en arrière. «C'est le fruit d'une décennie de labeur, si ce n'est un peu plus. C'est la résultante d'une stratégie mise en place en 2010-2011, pour augmenter d'une part nos capacités de production (ndlr : de 3,5 millions à 12 millions sur les engrais, par exemple) et, d'autre part, devenir un cost leader sur le plan mondial. De plus, nous avons travaillé sur ce que nous avons appelé la stratégie des 3x40, à savoir 40% de parts de marché sur les engrais, 40% dans l'acide et 40% dans la roche». Le groupe a su dérouler correctement cette stratégie, et cela lui a permis de capter toute la croissance possible quand les conditions de marché sont devenues extrêmement favorables en 2021, où le marché était «en haut de cycle». «Cette stratégie nous a permis de capter de nouveaux marchés. Nous avons rapidement pu produire plus et à moindre coût et nous avons eu de bons prix de vente», résume in fine Senhaji pour expliquer la surperformance de 2021.
Les fondamentaux du marché
L'augmentation des prix de vente en 2021 est d'abord le résultat d'un équilibre favorable entre l'offre et la demande. «Le marché était un peu tendu en 2021. Et aujourd'hui, deux facteurs peuvent le faire évoluer dans un sens ou dans l'autre cette année. Le premier est la crise en Ukraine et ses résultantes, notamment si les Russes restent sur le marché ou pas. Pour le moment, ils le sont, car les sanctions ne touchent pas le phosphate (ndlr : la Russie est l'un des plus grands producteurs mondiaux). Le deuxième facteur est le comportement de la Chine. Pour le moment, Pékin a suspendu l'export pour orienter sa production vers le marché local et cette mesure est bien appliquée. Il est prévu que cette restriction reste en vigueur jusqu'à juin au minimum. En face, la demande mondiale reste forte», nous explique Karim Lotfi Senhaji. Les fermiers ont la capacité d'acheter, car les prix des grains sont faibles. Et si la demande continue de croître, il faudra de nouvelles capacités mondiales de production. Or, elles ne sont pas prévues en 2022, ce qui laisse présager de nouvelles tensions sur les prix.
Les partenariats pour financer la croissance
Le groupe a annoncé un dividende de plus de 8,1 milliards de dirhams à distribuer à l'Etat cette année. Un pactole qui représente 50% des bénéfices réalisés. Financièrement, ce dividende ne créera pas de tensions sur la liquidité du groupe, qui continue de jouir de conditions de financement optimales de l'avis de son directeur financier, qui rappelle que le groupe a réduit son endettement net de près de 6 Mds de dirhams grâce au cash flow opérationnel et la sortie réalisée à l'international à des conditions avantageuses. Des indicateurs qui montrent que le groupe dispose de marges confortables pour se financer. Mais pour les projets à venir, le groupe compte également s'appuyer sur une formule de «partenariats» pour faire du levier différemment. C'est déjà le cas avec la joint-venture JESA entre le groupe marocain et l'australien Worley ou encore, plus récemment, le partenariat avec l'américain Koch à Jorf Lasfar. Avec ces partenariats, «tous les projets futurs ne seront pas financés sur le bilan de l'OCP», conclut notre interlocuteur. Quant à une éventuelle ouverture du capital sur le marché boursier, Karim Lotfi Senhaji nous dira que cette éventualité est toujours à l'étude...On n’en saura vraisemblablement pas plus maintenant (Sic !).
Programme eau
En réponse à la sécheresse que traverse le pays, le Groupe OCP accélère son programme «Eau», et déploie des mesures exceptionnelles pour l’année 2022. Le groupe a recours à de nouvelles unités mobiles de dessalement permettant d’augmenter ses capacités et ainsi de couvrir la totalité des besoins en eau des sites de production d’engrais à Jorf Lasfar et à Safi. Ainsi, OCP cessera dès cette année d’avoir recours aux ressources naturelles en eau douce dans ses sites de production d’engrais. Dans ce sens, les dotations en eau libérées pourront être réorientées au renforcement de l’usage local en eau potable du bassin Oum Rabii. Au-delà des besoins des sites de production, les nouvelles solutions déployées par le Groupe permettront également d’alimenter en eau potable les villes d’El Jadida et de Safi.