Quels prérequis pour un régime flottant et sont-ils remplis par le Maroc ? (4ème partie)

Quels prérequis pour un régime flottant et sont-ils remplis par le Maroc ? (4ème partie)

Cet article est le quatrième et dernier de la série sur les prérequis du régime flottant.

 

Par Amine El Bied, MBA, PhD Économiste, expert en Finance et Stratégie

 

Partie 4 : Améliorer les fondamentaux économiques

 

Après avoir passé en revue dans le premier article de la série les conditions générales à remplir par une économie avant de passer à un régime flottant, et abordé dans le second article le cas du Maroc, en examinant sa situation économique, et dressé dans un troisième article le constat que les conditions pour un flottement du Dirham ne sont que partiellement réunies, nous clôturons cette série d’articles par l’amélioration et le renforcement des fondamentaux économiques, en vue de satisfaire l’ensemble des prérequis du régime flottant. La crise sanitaire et économique actuelle est un évènement conjoncturel auquel le Maroc fait face. Mais il ne faut pas se contenter uniquement de parer à l'immédiat, il faut aussi préparer l'avenir. Les réponses qui doivent être apportées à l’économie ne doivent pas être uniquement conjoncturelles, mais aussi structurelles. Il faut travailler sur les fondamentaux. Si on choisit d’aller plus loin dans la flexibilisation du Dirham, il faut déjà que tous les prérequis précédemment cités soient satisfaits. Or, on a vu que ce n’est pas le cas aujourd’hui; il y a des prérequis qui ne le sont pas. Pour flexibiliser davantage la monnaie nationale, il faut non seulement que tous les prérequis soient satisfaits, mais qu’ils le soient au mieux. Toutes les conditions préalables à l’instauration d’un régime flottant doivent être non seulement réunies, mais aussi largement remplies. Il faut donc corriger les déséquilibres macroéconomiques et renforcer autant que possible les fondamentaux pour que l’économie soit plus à même de faire face à des chocs externes. Des réformes d’envergure doivent être engagées pour augmenter le niveau de croissance de l’économie. Idéalement, la croissance moyenne hors

agriculture devrait avoisiner ou dépasser les 5%, sur une période assez longue de plusieurs années. Les réformes serviraient aussi à augmenter la capacité de résilience de l’économie marocaine, surtout si le Dirham est soumis à un régime de change flottant. Il s’agit donc de corriger les déséquilibres et renforcer les fondamentaux. Comme chacun le sait, les campagnes agricoles ne sont pas toujours satisfaisantes au Maroc, mais dans le cas d’un flottement du Dirham, on ne peut plus se permettre d’avoir un taux de croissance de l’économie qui dépend de la pluie. Il faut réduire la trop grande dépendance de la croissance au secteur agricole par une plus grande diversification de l’économie. Le développement d’autres secteurs et de l’industrie va réduire mécaniquement le poids de l’agriculture dans l’économie marocaine. Et dans le secteur agricole, il faut réduire la dépendance aux aléas climatiques et pluviométriques par la construction de barrages supplémentaires

et d’usines de dessalement d’eau de mer. Il faut résorber le déficit de la balance commerciale, notamment par une plus grande compétitivité à l’export. Mais on doit améliorer la compétitivité réelle de l’économie; elle doit être structurelle et non pas dépendante d’une dépréciation de la monnaie induite par une flexibilisation du régime de change. La flexibilisation peut en effet provoquer une dépréciation de la monnaie qui va améliorer la compétitivité nationale, rendre plus compétitifs les produits marocains à l’export, aider les exportations à faire face plus facilement à la concurrence étrangère, mais il ne faudra pas uniquement compter sur la dévaluation pour augmenter la compétitivité. Il faut développer une vraie politique commerciale, industrielle, avec un tissu productif solide, compétitif à la fois sur le prix et la qualité. Il faut augmenter les exportations en produisant plus, mieux, et moins cher. Il faut favoriser l’investissement tourné vers l’export, et aider les PME à développer cette activité. Pour alléger le déficit de la balance commerciale, il faut aussi réduire les importations en encourageant le citoyen marocain à consommer davantage les produits nationaux, et en réduisant le poids des produits énergétiques, notamment le pétrole, en élaborant notamment une stratégie énergétique nationale. Pour réduire le déficit de la balance courante, il faudra également trouver des moyens d’incitations pour attirer davantage les investisseurs étrangers, ouvrir son économie aux capitaux étrangers. Il faudra peut-être élaborer une nouvelle stratégie d’attraction et de promotion des IDE. On veillera aussi à faciliter les séjours et les transferts des MRE, et on cherchera à augmenter les recettes touristiques en développant l’offre touristique et en visant un tourisme plus haut de gamme. Il faut améliorer les finances publiques et revoir la politique budgétaire dans l’objectif de réduire le déficit. Par ailleurs, la dette

publique en période de crise sanitaire a atteint un niveau très élevé par rapport au PIB  : il est primordial de revenir dès que possible à un niveau plus modéré, car il reste toujours l’épée de Damoclès de l’inflation et de la hausse des taux, qui risque de faire exploser les charges d’intérêt et d’entraîner une crise de la dette. La situation des réserves de change est, quant à elle, à un niveau confortable. Mais pour renforcer ce matelas de sécurité et augmenter ces réserves, on peut travailler sur tous les postes susceptibles d’assurer des rentrées de devises, telles que les exportations, les IDE, les transferts MRE, le tourisme. La solidité du secteur bancaire et financier doit être renforcée, notamment en atténuant le déficit de liquidité bancaire. Le creusement de ce déficit est dû à la hausse de la circulation fiduciaire. Cette dernière étant due à l’expansion de l'économie informelle ainsi que du marché de change parallèle, il convient de traiter sérieusement ce problème de l’informel pour réduire structurellement la circulation fiduciaire et le déficit de liquidité bancaire. La Banque centrale devrait également répondre de manière structurelle aux besoins de cash des banques, notamment par des instruments tels que les pensions livrées, les swaps de change, les prêts garantis, pour réduire durablement le déficit de liquidité. Enfin, la réglementation des changes et les réformes engagées de flexibilisation du Dirham doivent être bien assimilées par l’ensemble des opérateurs. Il faut les informer, les sensibiliser aux conséquences de ces réformes, leur donner le temps de se préparer et de se familiariser avec les instruments de couverture, avant d’aller plus loin dans la flexibilisation et instaurer un régime flottant. Il y a aussi un problème structurel, certainement lié au manque de croissance économique, et qui est un enjeu social majeur  : c’est la montée du chômage et la dégradation du marché de l’emploi. On ne peut pas prétendre avoir rempli les prérequis pour un flottement du Dirham avec un chômage galopant. En parallèle de l’emploi, il faudra promouvoir l’éducation, et développer la recherche et l’innovation. On a vu que les prérequis pour un flottement du Dirham ne sont actuellement pas tous remplis. Comme il ne serait pas raisonnable aujourd’hui d’aller plus loin dans le processus de flexibilisation de la monnaie, tant que la crise sanitaire et économique perdure, il faudrait entre-temps se fixer comme double objectif de satisfaire l’ensemble des conditions requises et d’améliorer autant que possible les fondamentaux économiques. Le moment idoine, si la décision de basculer vers un régime flottant est maintenue, l’économie marocaine sera au moins préparée au mieux. Aujourd’hui, il faut le dire, elle n’est pas prête. Avec tous les déséquilibres macroéconomiques constatés, les prérequis qui ne sont que partiellement satisfaits, et le contexte actuel de crise, encore plein d’incertitudes, décider un flottement du Dirham, ou même simplement un assouplissement supplémentaire du régime de change, ne ferait qu’accroître les risques auxquels le Maroc est déjà exposé. Il y a déjà beaucoup trop d’incertitudes et de déséquilibres pour prendre le risque d’en rajouter. 

 

 

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