Youssef El Alaoui, vice-président général de la Fédération des technologies de l'information, des télécommunications et de l'offshoring (APEBI), confodateur de Mobiblanc.
Il y a beaucoup d’initiatives dans le domaine du digital au Maroc, mais de nombreux obstacles persistent pour conférer au Royaume le statut de start-up nation.
Tour d’horizon de l’actualité du secteur avec Youssef El Alaoui, à la veille de l'Africa it Expo 2019.
Propos recueillis par Momar Diao
Finances News Hebdo : Quel bilan pouvez-vous tirer des différentes éditions de l’Africa it Expo (Aitex) ?
Youssef El Alaoui : Tout d’abord, il est utile de rappeler que l’Africa it Expo 2019, événement qui, pour cette année, est placé sous le signe du numérique en tant que moteur de croissance de l’Afrique, sera à sa 4ème édition. La manifestation sera plus grande, notamment en termes d’espace, d’invités et d’intervenants.
Tout cela pour vous dire que les efforts déployés au cours des dernières années pour l’organisation portent aujourd’hui leurs fruits. Pour 2018, une rupture a été opérée, puisque jusque-là, l’Aitex était organisée à Casablanca. Pour la première fois, l’année dernière, cet événement, qui met à l’honneur des pays, a été organisé à Rabat. Ce changement répond au besoin d’être plus proche des grands donneurs d’ordres que sont les administrations publiques.
A noter également que cette manifestation est devenue plus un business salon (salon d’affaires) qu’un événement d’exposition. Soulignons également qu’elle accorde une grande importance aux B to B et reste est un lieu d’échanges sur bon nombre de thématiques cruciales au développement de l’Afrique sur lesquelles le digital apporte une réelle valeur ajoutée ou fait la différence.
Pour 2019, les débats porteront sur quatre thématiques, à savoir le Citizen Centric, le futur du travail, l’innovation inversée et le Deeptech. Des ateliers relatifs à la blockchain, la cybersécurité et le digital banking seront aussi au programme.
F.N.H. : Aujourd’hui, comment la Fédération des technologies de l'information, des télécommunications et de l'offshoring (Apebi) joue-t-elle pleinement son rôle de promoteur du digital à l’échelle nationale ?
Y. E. A. : L’Apebi fêtera le 30ème anniversaire de son existence à l’occasion de l’Aitex 2019, qui met à l’honneur la Chine et le Congo. Cette association, qui est au cœur de l’écosystème du digital, joue un rôle d’intermédiaire entre l’Etat (la réglementation) et les grands donneurs d’ordres (banques, opérateurs télécoms, etc.) et les entreprises (GE, PME, start-up, etc.).
Elle œuvre pour doter le pays de compétences nécessaires à même de soutenir l’essor du digital. En d’autres termes, l’Apebi est un point d’équilibre de l’écosystème à stimuler. L’association fait en sorte que tous les acteurs travaillent ensemble pour aller de l’avant.
L’inclusion financière, la formation, la transformation digitale des e-services et l’offshoring, qui représente une grande partie de l’activité numérique au Maroc, sont autant de sujets de prédilection de l’Apebi.
F.N.H. : Qu’est-ce qui a poussé l’Apebi à mettre en place un Livre Blanc et quelles sont les lignes saillantes de cette initiative ?
Y. E. A. : Le Livre Blanc a été évoqué lors d’une rencontre avec le ministre de tutelle, qui a exprimé le souhait de voir l’Apebi consigner les chantiers digitaux jugés prioritaires dans ce recueil sous forme de recommandations.
Maintenant, il est question d’un cahier de recommandations qui sera confectionné dans une logique participative. Une trentaine de personnalités évoluant dans divers domaines et dont certaines font l’économie du Maroc ont été rencontrées. Celles-ci ont fait part de leur diagnostic de la situation actuelle, tout en émettant une série de propositions pour accélérer la transformation numérique de notre pays.
Les résultats de ce travail seront discutés au sein de l’Apebi, avant d’être divulgués de façon sommaire lors de l’Aitex. Une rencontre spécialement dédiée à la présentation de ce cahier de recommandations issues du terrain, sera organisée d’ici la fin de l’année.
F.N.H. : Quel est votre avis sur l’une des dernières grandes nouveautés de l’écosystème du digital, à savoir la création de la plateforme «Start-up Hub», qui va octroyer le label «Jeune entreprise innovante» ?
Y. E. A. : L’initiative est saluée car il s’agit de la mise en place d’une plateforme qui va reconnaître les jeunes entreprises innovantes. Ces dernières sont en réalité les start-up.
La plateforme est gérée par un écosystème composé par les principaux acteurs (ADD, CCG, Apebi, Office des changes, CGEM). Lesquels sont amenés à dire sur la base de critères définis si une entreprise est innovante ou non. Le label précité offre à l’entreprise une multitude de services, dont la carte monétique internationale qui offre l’opportunité à une start-up d’acheter à l’international des services ou des solutions (cloud, publicités de Google, etc.) dans la limite de 500.000 DH.
Cette nouveauté est de nature à accélérer le développement des entreprises innovantes. J’estime que c’est un bon début pour la plateforme, à laquelle seront greffés d’autres services.
Par ailleurs, les critères d’éligibilité des start-up sont un peu élevés à mon sens car, outre l’aspect innovant, il faut un minimum de 5 ans passés entre le premier bon de commande et aujourd’hui. Ces critères, qui, pour l’heure, obéissent à une logique de protection vis-à-vis de nos partenaires (Office des changes, CCG, etc.), sont amenés à évoluer afin de faire bénéficier le plus grand nombre de start-up des services de la plateforme.
F.N.H. : Selon vous, le Maroc est-il sur la bonne voie pour devenir une start-up nation ?
Y. E. A. : Il y a certes beaucoup d’initiatives dans le domaine du digital au Maroc. Toujours est-il que nous sommes encore loin de devenir une start-up nation, qui implique l’existence d’un écosystème composé d’acteurs qui travaillent main dans la main et au même rythme. Il faut davantage de mesures d’accompagnement au profit des start-up (aides à l’export et accès aux bons de commande). Les acteurs ainsi que les secteurs qui ont les reins assez solides pour promouvoir le développement des entreprises innovantes ne jouent pas le jeu. La fintech et le retail sont au point mort au Maroc. Le tissu économique actuel ne favorise pas l’innovation.
Le secteur financier est très réglementé, ce qui inhibe l’innovation. Certaines grandes entités se disent pourquoi innover si c’est pour réaliser le même chiffre d’affaires. En clair, l’économie nationale n’est pas encore disruptée. Les grandes entreprises sont toujours dans une zone de confort. Par conséquent, elles ne voient guère l’opportunité d’aller vers l’innovation ou de changer leur manière de faire. Ce qui est une erreur.
A l’échelle mondiale, les grandes entreprises qui ont pensé pouvoir perdurer sans innovation ont perdu du terrain ou tout simplement disparu (Nokia, Kodak, Blackberry). En Europe, il existe aujourd’hui des banques sans agences. Tout se fait en ligne dans la transparence totale. Je pense qu’à l’avenir, nos jeunes n’éprouveront plus le besoin d’aller à l’agence bancaire. D’ou l’intérêt pour ce secteur de prendre les devants en matière digitale.
Dans le domaine des e-services, beaucoup d’efforts restent encore à déployer, notamment pour le parcours des investisseurs et de la création d’entreprises. Les administrations publiques travaillent en silo et l’opérationnalisation de l’interopérabilité entre celles-ci n’existe pas encore. Le peu d’ingénieurs formés au Maroc (8.000 contre 15.000 en Tunisie) constitue également un handicap de taille. A cela s’ajoute la fuite des talents. Cette donne ouvre la porte à l’importation de services ou de solutions digitales parfois à des prix exorbitants. ◆