Maroc-UE : Quelles relations après la crise ?

Maroc-UE : Quelles relations après la crise ?

Une nouvelle vision stratégique devrait permettre au Maroc et à l’UE de concevoir ensemble un espace commun de co-production.

Plus l’économie marocaine approfondit et accélère la diversification de ses partenariats internationaux, plus elle pourra consolider son rôle central dans l’axe Europe-Méditerranée-Afrique.

Fathallah Sijilmassi, président-fondateur de Positive Agenda Advisory, ancien ambassadeur et ancien secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, analyse dans cet entretien* la redéfinition du partenariat Maroc-UE, à l’aune des changements structurels en cours dans les relations économiques mondiales.

 

Propos recueillis par B. Chaou

 

Finances News Hebdo : Les pays du monde entier sont en train de revoir leurs modèles économiques afin de s’adapter aux nouvelles contraintes imposées par la Covid-19. Pensez-vous que cela passera par une reconsidération des relations économiques internationales ?

Fathallah Sijilmassi : Le premier grand enseignement de cette crise est l’humilité. Personne n’aurait pensé au début de l’année 2020 que quelques semaines après, nous aurions près de 4 milliards de personnes confinées, un pétrole à moins de 35$ le baril et une perspective de récession mondiale ! Il faut donc se projeter sur l’avenir avec prudence et surtout avec le souci de s’appuyer sur les sources fiables et officielles.

Mais, nous assisterons probablement dans les années à venir à des changements structurels dans les relations économiques mondiales et l’on peut raisonnablement penser que ces changements seront marqués par les caractéristiques suivantes : La mondialisation sera «corrigée» et ajustée» et non arrêtée.

Elle recentrera ses dynamiques vers une trajectoire plus humaine, plus sociale, plus technologique et plus écologique. On assistera ainsi à un double mouvement : celui de la centralité retrouvée des secteurs essentiels à la vie comme l’éducation, la santé, l’alimentation et l’écologie, mais également, en combinaison avec la montée en puissance de la digitalisation, de l’intelligence artificielle et de la recherche et l’innovation.

Les changements seront réels mais s’inscriront dans le temps. Les grandes plaques tectoniques de l’économie mondiale bougeront mais elles le feront sur un temps long. Peut-être pas à l’échelle des manuels d’histoire mais certaines à celle de la vie d’une entreprise. L’anticipation, la veille stratégique, le suivi des données et des marchés seront donc autant de facteurs essentiels pour permettre de gérer la complexité et l’incertitude et se préparer, autant que faire se peut, aux conjonctures de crises et de chocs exogènes dont les cycles se rapprocheront certainement.

F.N.H. : Quel impact cela aura-t-il sur les relations du Maroc avec l'Union européenne, son partenaire historique ?

F. S. : Selon moi, le Maroc sort renforcé de cette crise. Je sais que la phrase peut sembler étonnante compte tenu des impacts socioéconomiques importants de cette crise sur notre économie nationale. Mais je relève deux points essentiels pour soutenir mon propos.

Tout d’abord, l’exemplarité de la gestion de la crise sanitaire par le Maroc dans le cadre des Hautes Orientations Royales ainsi que la solidarité collective qui a été observée au niveau de la société civile, constituent aujourd’hui, en termes économiques, autant de véritables facteurs de compétitivité et consolident la position du Maroc en tant que partenaire international fiable.

Ensuite, contrairement à de précédentes conjonctures économiques difficiles pour le Maroc lors des dernières décennies, les difficultés rencontrées par l’économie marocaine à la faveur de la crise de la Covid-19 s’inscrivent dans le contexte d’une crise mondiale. Un grand nombre de pays, parmi les plus développés, feront face en 2020 et peut-être en 2021 à des récessions, des déficits budgétaires et des pressions énormes sur les finances publiques.

La présidente de la Commission européenne, puisque vous me posez la question sur cet ensemble, vient d’annoncer un grand emprunt de 750 milliards d’euros sur 30 ans. L’UE, collectivement, sera donc endettée pour la première fois de son histoire ! Le Maroc n’est pas seul à faire face à une conjoncture économique difficile. Et cela change tout dans le paramétrage des négociations économiques internationales. C’est dans ce contexte que les relations entre le Maroc et l’UE ont une opportunité de construire quelque chose de nouveau aujourd’hui, basée sur un réel partenariat gagnant-gagnant, une résilience commune et une solidarité collective.

F.N.H. : Dans une optique de révision du partenariat qui nous lie avec le Vieux continent, quels devront être, selon vous, les nouveaux enjeux de la relation commerciale entre les deux parties ?

F. S. : Le cadre juridique actuel des relations Maroc-UE est celui de l’Accord d’association qui a été signé en 1996, c’est-à-dire il y a 24 ans ! Or, ni le Maroc, ni l’UE, ni la Méditerranée, ni l’Afrique, ni même le monde ne sont les mêmes en 2020 par rapport à ce qu’ils étaient il y a 24 ans, ni même par rapport à 2008, date à laquelle le Maroc obtenait le Statut avancé avec l’UE ! Le besoin d’actualiser le logiciel de la relation est donc bien là et c’est précisément ce qu’a relevé le dernier Conseil d’association MarocUE qui a eu lieu à Bruxelles en juin 2019.

Je rappelle que, pour le Maroc, l’UE est le 1er partenaire économique avec 66% de ses exportations, 54% de ses importations, 71% des IDE, 74% des recettes touristiques et 70% des transferts des MRE. Pour l’UE, le Maroc est le 20ème partenaire commercial avec un peu moins de 1%. Il y a donc certes une montée en puissance des relations économiques Maroc-UE mais également des déséquilibres enregistrés : la balance commerciale est largement déficitaire en défaveur du Maroc (le déficit s’agrandit et le Maroc représente en 2019 le 12ème excédent commercial de l’UE !) ; les flux des IDE restent modestes (0,2% du total des investissements européens dans le monde) au regard du potentiel qui existe aujourd’hui au Maroc.

Et c’est précisément sous l’effet de la triple dynamique (Cadre juridique à actualiser ; potentiel inexploité avec notamment le nouveau profil économique du Royaume, y compris dans sa projection africaine ; nouveau contexte créé par la crise de la Covid 19) qu’il faut envisager les pistes d’évolution des relations Maroc-UE sur des bases innovantes. C’est la raison pour laquelle, je crois, qu’il faut aller aujourd’hui au-delà du terme «commercial» que vous évoquez dans votre question.

Les années 90 étaient celles du libre-échange, bilatéral et multilatéral, sur la base d’une globalisation rapide des marchés. Depuis quelques années déjà, bien avant la crise de la Covid-19, l’on sentait bien que cette logique exclusive du marché avait atteint ses limites. La crise financière de 2008 en était une des alertes les plus fortes.

La crise de la Covid-19 sera, de ce point de vue, un accélérateur d’un mouvement qui avait déjà été entamé mais qui sera accéléré et, bien entendu, ajusté et qui verra les fonctions de «Production» primer. C’est probablement dans ce sens que devra évoluer le partenariat maroco-communautaire. Une nouvelle vision stratégique devrait permettre au Maroc et à l’UE de concevoir ensemble un espace commun de co-production qui serait pionnier et structurant dans l’axe Europe-Méditerranée-Afrique.

F.N.H. : Quel est aujourd'hui le défi du tissu industriel marocain face aux nouvelles donnes imposées par cette crise sanitaire, qui suppose de la part de l'Europe le «rapatriement» et la relocalisation de plusieurs de ses activités ?

F. S. : Je pense effectivement que le phénomène de relocalisation est à suivre sérieusement. Mais analysons la situation de près. Si l’on prend l’exemple spécifique de la Chine, sa part dans les investissements européens dans le monde n’est que de 4,5% (source Eurostat). Cela la place en 4ème position des IDE sortants de l’UE après les Etats-Unis (34%), les pays de l’AELE -Norvège, Suisse, Liechtenstein et Islande- (15%) et les pays du Mercosur -Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay- (5,1%).

La Chine est, en revanche, le premier fournisseur de l’UE avec 18,7% du total des importations communautaires devant les Etats-Unis (12%), le Royaume-Uni (10%) et les pays de l’AELE (8,5%). La Chine était, par ailleurs en 2019, le premier déficit de la balance commerciale de l'UE avec -163,7 milliards d’euros. Cette analyse permet de mettre en évidence le fait que la prééminence de la Chine pour l’économie de l’UE est bien davantage au niveau des approvisionnements qu’à celui des investissements de production.

Ainsi, si un mouvement de relocalisation est observé, en termes de calendrier, il serait observé d’abord au niveau des chaînes d’approvisionnements et sur un temps plus long, éventuellement sur celui des investissements qui prendrait évidemment plus de délais. L’économie marocaine a donc l’opportunité de se positionner sur ces deux segments vis-à-vis du marché européen. Le plus important pour cela est que le Maroc continue à renforcer sa base de production dans les secteurs industriels et agricoles.

Les actions entreprises de ce point de vue par les autorités marocaines, en liaison avec le secteur privé, pour renforcer quantitativement et qualitativement l’industrialisation du pays et les investissements (nationaux et internationaux) dans les secteurs productifs sont, à cet égard, à saluer. Et cette industrialisation est la meilleure condition pour l’augmentation des IDE. Les investissements internationaux vont là où les nationaux investissent ! Et la perspective d’une taxe carbone au niveau de l’UE et de son Green Deal permet au Maroc d’envisager une nouvelle compétitivité «verte» qui est un atout considérable à la fois pour les exportations et les IDE.

F.N.H. : Nous restons tout de même fort dépendants de l'économie européenne. Quels sont aujourd'hui les moyens qui nous permettront de continuer à être le partenaire de l'Europe de demain ?

F. S. : Le Maroc a entamé depuis deux décennies une stratégie de diversification de ses partenariats internationaux qui donne des résultats encourageants. Les nombreux Voyages Officiels Royaux ont permis d’ouvrir de nouvelles perspectives sur l’ensemble des continents et, bien entendu, principalement en Afrique. Et cette diversification économique ne doit pas être lue comme un objectif de «moins d’Europe». Il y a encore de nombreuses choses nouvelles, positives et porteuses d’avenir à faire avec ce continent.

Ce n’est donc pas «moins d’Europe» qu’il faut, c’est «mieux d’Europe». Par ailleurs, plus l’économie marocaine approfondit et accélère la diversification de ses partenariats internationaux, plus elle pourra consolider son rôle central dans l’axe EuropeMéditerranée-Afrique ! Une économie marocaine qui reste dans un tête-à-tête avec l’Europe est une économie qui demeure périphérique et qui s’inscrit dans la logique réductrice du «voisinage européen». Plus les axes économiques Nord-Sud (EuropeMéditerranée-Afrique) et Est-Ouest (dimension transatlantique et ouverture sur l’Asie) sont denses, plus le Maroc gagne en centralité stratégique.

F.N.H. : Tournons-nous vers le Sud ! Quel sera le rôle du Maroc en Afrique à l'aune de ces nouveaux changements ? Et quelles sont les opportunités que nous pourrons saisir pour aspirer à plus d'indépendance économique dans un nouvel enjeu régional africain ?

F. S. : L’Afrique constitue incontestablement un axe fondamental pour le développement des relations économiques internationales du Maroc. L’entrée en vigueur de la Zone de libreéchange continentale africaine (ZLECA) constitue à cet égard une opportunité. Le processus a été officiellement lancé mais il reste encore de nombreux points à finaliser (commerce des services, règles d’origine, concurrence, propriété intellectuelle, …). La crise de la Covid-19 crée, par ailleurs, une opportunité pour renforcer encore davantage la coopération Sud-Sud, notamment intra-africaine.

Les grands groupes marocains sont déjà largement présents en Afrique. Il faut continuer à accompagner ce mouvement pour encourager les PME qui peuvent se développer sur le continent. Il existe de nombreuses opportunités pour les PME qui permettraient de renforcer des partenariats mutuellement bénéfiques. Plusieurs success-stories existent déjà dans des secteurs variés. L’Afrique n’est pas uniquement le continent du futur. C’est aussi le continent du présent. 

(*) Entretien réalisé en marge du webinar organisé sur le sujet par l’Université Euromed de Fès

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