Marchés publics : l’insoluble casse des prix

Marchés publics : l’insoluble casse des prix

 

La spirale de la casse des prix fait de nouveau réagir la FNBTP.

La responsabilisation des acteurs est le seul rempart pour faire face à ces pratiques.

 

Par Y. Seddik

 

Les dernières remontées de terrain sur la situation de secteur, opérées par la Fédération nationale du bâtiment et des travaux publics (FNBTP), dénotent d’une montée exponentielle des dégâts pour les entreprises. La casse des prix en est la cause principale.

Le fait n’est pas nouveau. Mais il prend une telle ampleur, qu’il a poussé la FNBTP à monter au créneau. Elle a alerté par la voix de son président sur la gravité de la situation. «La spirale de la casse des prix prend des proportions inquiétantes pour la résilience et la survie des entreprises», et surtout «devient pandémique», déplore dans une lettre adressée aux entreprises El Mouloudi Benhamane, président de la Fédération.

L’Etat, dans son rôle d’agent économique, ouvre via la commande publique des opportunités de marchés aux entreprises. Or, dans un contexte où les projets se font de plus en plus rares et où le secteur dépend majoritairement de cette commande publique, la tentation des candidats est telle qu’ils déposent les offres les plus basses possibles, afin de remporter les marchés à tout prix, souvent à perte et au détriment de la qualité. Une tentation qui s’explique aussi par l’importance donnée au critère «prix» dans la passation des marchés publics.

Car, de par la loi, le marché doit être attribué à l’offre économiquement la plus avantageuse. Il ne s’agit pas obligatoirement de l’offre la plus basse, mais, dans la pratique, c’est toujours le cas.

«Le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse n’est pas appliquée. L’offre la plus basse est celle qui est retenue, bien que le prix proposé ne couvre même pas l’achat de la matière première», déplore une source au sein du secteur qui a requis l’anonymat. «La course folle aux prix bas engendre des pratiques autodestructrices. Un secteur économique qui perd la réalité de ses prix est un secteur en danger», alerte notre interlocuteur.

 

Les responsabilités

Au côté de cette notion de prix, c’est la responsabilité des maîtres d’ouvrages qui fait défaut. Souvent, ils acceptent (ou s'obligent à accepter) des offres qui n'ont aucune relation avec la réalité économique.

«Le maître d’ouvrage n’assume pas ses responsabilités en élaborant une estimation réelle du coût du projet. Il se contente de l’utilisation des prix des anciens marchés en ajoutant ou supprimant une marge sur ces prix», regrette notre source.

Sur ce point, la réglementation est pourtant claire. Selon l’article 41 du décret des marchés publics, l’offre la plus avantageuse est considérée anormalement basse lorsqu’elle est inférieure de 25% par rapport à l’estimation du coût des prestations établie par le maître d’ouvrage. Elle est considérée excessive lorsqu’elle est supérieure de plus 20% du coût.

Dans le cas où elle est jugée anormalement basse, la commission d’appel d’offres demande par écrit au concurrent concerné les précisions qu’elle juge opportunes. Après avoir vérifié les justifications fournies, la commission est fondée à accepter ou à rejeter ladite offre, en motivant sa décision dans le procès-verbal. Or, nous explique-t-on, la plupart des commissions se cachent derrière les réponses des entreprises concernées, faisant parfois fi des règles éthiques d’ouverture des plis et d’appréciations des offres.

 

Concurrence de l’informel et étrangère

Cette fuite en avant trouve son origine dans l’afflux des opérateurs étrangers, qui sont souvent encouragés par des subventions étatiques ou d’autres formes de coups de pouce. Les nationaux se trouvent, par conséquent, contraints de s’aligner sur ces pratiques pour assurer leur survie.

«L’absence de l’application généralisée de la préférence nationale dans les projets de l’Etat constitue une toute autre menace pour les opérateurs nationaux», nous indique un chef d’entreprise.

Mais il faut dire que la concurrence étrangère n’est pas le seul problème. Celle de l’informel est encore plus acharnée. «Les entreprises non qualifiées continuent de prendre du terrain et de gagner les projets de bâtiments. Elles n’hésitent pas à brader les prix, quitte à travailler au prix coûtant», poursuit-il.

 

Peut-on y remédier ?

La responsabilité des offres anormalement basses est partagée entre tous les acteurs du BTP. Dans l’attente d’un référentiel des prix pour les commandes publiques, et d’une refonte structurelle du secteur, dont plusieurs chantiers ont été ouverts suite à la signature du contrat-programme avec le gouvernement, la responsabilisation des acteurs demeure la seule solution envisageable.

En clair, les maîtres d’ouvrages doivent revoir la tendance baissière des estimations des projets publics, les commissions d’appels doivent être plus responsables. Pour leur part, les entreprises doivent «revoir leurs politiques de prix et soumissionner avec des prix raisonnables» a notamment exhorté la fédération dans sa lettre évoquée plus haut.

D’ici là, ce secteur continuera de subir de plein fouet l’imposture des casseurs. Les coûts augmentent et les prix baissent, avec des collatéraux sur la qualité, la sécurité, voire la survie de l’entreprise nationale qualifiée. ◆

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