La tutelle veut restaurer la confiance altérée entre acquéreur et promoteur.
Coopératives et amicales d’habitat, Vefa…, plusieurs projets de textes sont à l’étude ou en cours de finalisation.
Les pistes de relance du programme de logements sociaux sont en phase de conceptualisation.
Le point sur l’actualité du secteur avec Nouzha Bouchareb, ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville.
Par : Charaf Jaidani
Finances News Hebdo : La crise de l’immobilier a trop duré. Quelles sont les mesures envisagées pour relancer le secteur ?
Nouzha Bouchareb : Le secteur est confronté à une crise de confiance entre l’acquéreur et le promoteur. Il y a un certain nombre de dysfonctionnements et de pratiques illégales sur lesquels nous travaillons pour les corriger et redonner confiance aux citoyens. D’où la nécessité de sécuriser les transactions immobilières pour verrouiller toute tentative d’arnaques dans ce domaine.
C’est pour cela que nous avons créé une commission sur la révision du texte relatif aux coopératives d’habitat pour un meilleur suivi et un meilleur encadrement de ce type de production. Idem pour les activités des Amicales et des Associations d’habitat.
D’autre part, un projet de décret d’application de la VEFA sur les garanties d’achèvement des travaux est en cours de finalisation. Cet outil reste le meilleur moyen de sécuriser le consommateur en lui garantissant ses droits et en lui permettant de commencer la vente dès l’autorisation du projet en toute légalité et confiance entre les deux parties prenantes.
F.N.H. : Le programme dédié à la classe moyenne n’a pas connu l’engouement attendu. Comment votre département compte-t-il le redynamiser ?
N. B. : Le gouvernement a mis en place, en 2013, un programme dédié à la classe moyenne qui est basé sur l’exonération des droits d’enregistrement, d’inscription dans les registres fonciers et de timbre au profit des acquéreurs, avec un prix de vente ne dépassant pas 7.200 DH/m² TTC.
A valeur d’aujourd’hui, près de 250 unités ont été réalisées, ce qui reste insuffisant vu les objectifs escomptés. Ce gap est attribué à la faiblesse de l’offre face à l’existence d’une demande de plus en plus grandissante pour ce genre de logements.
L’étude sur la demande en habitat réalisée par notre ministère démontre que 23% des demandeurs d’un bien immobilier souhaitent l’acquérir à un prix se situant entre 250.000 et 400.000 DH.
Pour booster ce segment, nos équipes s’attèlent sur le renforcement de l’offre foncière permettant de produire des logements adaptés aux besoins des citoyens, qui sont placés au coeur de notre stratégie, en termes de prix de vente et de qualité. Nous étudions, actuellement, des propositions de produits de logements respectant le nouveau cahier des charges. Les offres retenues seront dévoilées en temps opportun.
F.N.H. : Qu’en est-il du segment du logement social, avez-vous une nouvelle vision pour cette catégorie ?
N. B. : Je tiens à préciser que l’urbanisation rapide des territoires qui se situe à plus de 60%, génère des besoins croissants en termes d’équipement et de logements.
L’expérience relative aux programmes de logements sociaux a atteint sa maturité et arrivera à échéance fin 2020, bien que ses effets continueront à se faire sentir au-delà de ce terme.
Malgré sa réussite, ce dispositif a fait l’objet d’échanges et de partage avec les partenaires interpellés par la problématique de la croissance du déficit en logements.
Pour l’après-2020, des pistes de réflexion se situent actuellement à un niveau avancé grâce à un appui technique de la Banque mondiale. Elles portent sur un produit de logements abordables basé sur la consolidation des acquis cumulés et proposent un schéma reposant sur un ciblage pertinent et efficace ainsi qu’un accompagnement financier adapté aux capacités financières des ménages. Ces pistes sont actuellement en phase de conceptualisation avant d’entamer les consultations avec les parties prenantes concernées par ce genre de programmes.
Je vous rappelle que le Maroc s’est engagé depuis plusieurs décennies dans le processus de réforme de la politique du logement en vue d’accompagner la dynamique urbaine. Ce processus a été basé essentiellement sur l’aide aux programmes sociaux permettant de faciliter l’accès au logement des ménages issus des différentes tranches sociales.
Dans ce contexte, deux programmes de logements sociaux ont été mis en place : celui à faible valeur ajoutée de 140.000 DH destiné aux ménages à revenus réduits et celui de l’habitat social à 250.000 DH lancé en 2010. Ces deux segments ont permis la réalisation de près de 500.000 unités, soit une offre annuelle moyenne d’environ 50.000 logements.
F.N.H. : Le programme «Villes sans bidonvilles» n’arrive pas à atteindre tous ses objectifs surtout dans les grandes métropoles. Quelles solutions proposez-vous pour remédier à ses différentes lacunes ?
N. B. : Aujourd’hui, compte tenu des effets d’une urbanisation rapide, le maintien du rythme des efforts consentis et le renforcement des synergies restent incontournables pour rendre irréversible le processus de lutte contre l’habitat insalubre et celui des bidonvilles en particulier. Le ministère, en concertation avec les partenaires concernés, veille à repenser le programme «Villes sans bidonvilles» en l’inscrivant dans le cadre d’une vision globale visant à réaliser l'intégration, l'harmonie et la complémentarité urbanistiques, et ce pour garantir un logement décent aux populations.
Ces objectifs ne peuvent être atteints sans l’amélioration du mode de gouvernance du programme et de la convergence des politiques publiques, particulièrement en matière d’équipements et de transports, la généralisation de l’accompagnement
social en faveur des ménages concernés ou encore sans l’intensification et la diversification de l’offre en logements dits abordables.
Aujourd’hui, 478.980 ménages sont concernés par le programme VSB contre 270.000 initialement recensés au moment de son lancement en 2004. Ils sont répartis dans 85 villes, dont une grande majorité est concentrée sur l’axe «Casablanca-Kénitra».
S’agissant des grandes agglomérations, où le phénomène des bidonvilles se fait de plus en plus ressentir, les efforts déployés ont permis d’enregistrer des avancées considérables, malgré les contraintes rencontrées. Les objectifs de départ ont été majoritairement atteints. A titre d’exemple : au niveau du Grand Casablanca, 96% des ménages ont été traités et ceux restants à traiter sont à 70% issus des quartiers périphériques ayant intégré le périmètre urbain à l’occasion de nouveaux découpages et à 30 % de l’augmentation des ménages bidonvillois.
D’autres contraintes, autres que celles liées à la démographie que le programme affronte, sont liées entre autres, à la particularité des projets de résorption qui sont généralement des opérations complexes combinant plusieurs aspects : technique, financier, social…
F.N.H. : La vente future en l’état d’achèvement (VEFA) n’a pas connu l’adhésion des promoteurs. N’est-il pas opportun de revoir ce texte pour le rendre plus attractif et plus pratique ?
N. B. : Il est clair que l’application de la vente d’immeubles en état futur d’achèvement (VEFA) est le moyen le plus efficace pour garantir les intérêts du consommateur lui garantissant ses droits, et permettre au promoteur de commencer la vente dès l’autorisation du projet en toute légalité et confiance entre les deux parties prenantes.
Cette pratique est gérée par la loi n° 107.12, adoptée en 2016, qui régit l’achat et la vente sur plan des biens immobiliers et commerciaux et vient modifier et compléter la loi 44-00. Actuellement, un projet de décret d’application relatif aux conditions et modes de présentation des garanties pour la restitution des échéances payées en cas de non-exécution du contrat VEFA est en cours de finalisation. La pré-mouture finale a été élaborée selon un processus de concertation étroite et continue avec les acteurs concernés.
Ce projet de texte a fait l'objet de plusieurs séances de travail, ce qui a engendré un retard depuis 2016.
Dans ce sens, nous avons ouvert une concertation élargie avec les acteurs concernés notamment la FNPI, le secteur financier, les banques, les assurances, les notaires… pour accélérer la finalisation du texte du décret en vue de l'amélioration des mécanismes de mise en oeuvre de la VEFA.
F.N.H. : Malgré les mesures de relance, les villes nouvelles n’arrivent toujours pas à s’imposer dans le paysage urbanistique national. Que prévoyez-vous pour leur donner une nouvelle impulsion ?
N. B. : Le processus de consolidation d’une ville nouvelle est délicat et sa réussite ne peut être ressentie et quantifiée en l’espace de quelques années. Il faut pour cela 3 à 4 décennies, voire plus. Les expériences des pays précurseurs dans ce domaine sont là pour le démontrer. Le chantier des villes nouvelles au Maroc étant récent, il est clair que nous devons nous montrer un peu plus clément dans notre évaluation, et ce malgré toutes les difficultés rencontrées aujourd’hui.
Des entraves qui se résument notamment en termes de portage institutionnel, de positionnement dans l’armature urbaine, de statut, de mobilité, de dynamique économique, de fonction et de vocation propres.
Tels sont, à vrai dire, les difficultés réelles et défis auxquels il y a lieu de s’atteler avec célérité et diligence. Des difficultés, reconnaissons-le, qui empêchent l’essor de ces villes et ne permettent pas véritablement la promotion de leur attractivité et l’amélioration de leur capacité de captation des investisseurs et des habitants. Ce sont au fait des problématiques qui interrogent et interpellent les différents acteurs y compris bien sûr notre ministère, mais pas uniquement.
Comme tout projet de grande envergure, impliquant a fortiori une pluralité d’acteurs et de partenaires, le programme initial des villes nouvelles a connu quelques difficultés de mise en oeuvre, exacerbées, par moments, par la défaillance de quelques promoteurs immobiliers privés. Les pouvoirs publics, dans un élan de redressement et de maîtrise de la situation, ont été prompts à réagir. Des plans de redynamisation des villes nouvelles de Tamesna et de Tamensourt ont été élaborés en 2013.
Il va sans dire qu’il est extrêmement difficile pour le groupe Al Omrane de continuer à gérer ces villes. Car ce n’est pas leur métier, d’autant plus que le mode de gouvernance de ces cités et les moyens mis à leur disposition ne permettent pas une implémentation et pilotage efficaces des plans de relance. Par conséquent, un cadre juridique qui définit les rôles et les responsabilités est plus que nécessaire.
Le projet de loi sur les villes nouvelles devra être revu et versé dans le circuit de validation et d’approbation. Cette réforme est susceptible de solutionner bon nombre de dysfonctionnements rencontrés aujourd’hui.
Des mesures doivent également être prises pour limiter l’ouverture à l’urbanisation des zones adjacentes aux villes nouvelles pour éviter de les concurrencer et de les pénaliser, comme le cas de Tamesna. Une mixité sociale bien ajustée servira comme levier d’intégration urbaine et favorisera un équilibre dans la représentation des classes sociales qui ont élu domicile dans les villes nouvelles.
La ville nouvelle de Tamesna aujourd’hui présenterait une surreprésentation des classes sociales défavorisées. Tamensourt, à seulement quelques kilomètres de Marrakech, se doit de se faire une vocation propre. Autant de mesures, et bien d’autres, à mettre en oeuvre dans un cadre intersectoriel. Nous ne ménagerons évidemment aucun effort pour apporter notre contribution et participer activement et pleinement à faire des villes nouvelles des lieux où il fait bon vivre.