Le Commissariat aux comptes en question

Le Commissariat aux comptes en question

abdou diop directeur associe du cabinet de conseil mazarsLes multiples redressements suscitent bien des interrogations sur la pratique fiscale au Maroc. Le rôle des commissaires aux comptes est «pointé du doigt», surtout lorsqu’éclatent de gros scandales financiers. Deux sujets qui interpellent Abdou Diop.

L’actualité de ces dernières semaines aura été marquée par les redressements fiscaux et les sommes faramineuses que doivent payer certaines grandes entreprises. Sous sa casquette d’expert-comptable DPLE et de commissaire aux comptes, Abdou Diop trouve cette situation quasiment aberrante. Il s’explique : «L’entité est sommée de payer à la DGI un montant très important, mais après plusieurs jours ou mois de négociations, la somme est réduite et transigée entre 25 et 50% du montant initial». Sous d’autres cieux, les choses se passent autrement : après les va-et-vient entre le Fisc et l’entreprise, cette dernière paye la même somme à quelques euros près. Un lecteur externe ne connaissant pas l’environnement du Maroc est-il en droit de se demander où est le Fisc pour que l’entreprise puisse se retrouver avec de tels arriérés ? Conséquence : «l’opinion publique pointe du doigt les commissaires aux comptes (CAC), faisant fi du fait que la fiscalité au Maroc et la complexité des textes laissent une grande marge d’interprétation», martèle A. Diop.

D’ailleurs, le rôle des commissaires aux comptes a été régulièrement évoqué dans l’affaire Samir. «Pour le cas de la Samir, c’est très particulier et un peu plus vicieux en raison de la nature des sujets et de la taille des enjeux», souligne-t-il, faisant savoir qu’il y a parfois méconnaissance du mode de fonctionnement des auditeurs et du rôle des commissaires aux comptes. En général, sur des sujets de contrôles fiscaux, de changement de méthode comptable, de détournements…, la responsabilité incombe très rarement aux CAC qui ont une obligation de moyens.

La vraie question qu’il faut se poser est surtout relative aux moyens qui leur sont accordés au Maroc. «Dans des sociétés industrielles, financières, ou d’une certaine taille…, les honoraires sont parfois nettement inférieurs à ceux pratiqués en Afrique centrale ou de l’Ouest. Ce qui veut dire que, quelque part aussi, la capacité d’intervention des CAC est réduite», précise-t-il.

Autre point débattu : la durée du mandat du CAC auprès d’une entreprise. Certifier les comptes d’une société pendant des années permet de créer de facto des liens d’affinité. Des liens qui peuvent nuire à la sincérité de l’opinion formulée sur les comptes, objet de la certification, la quintessence même de la mission d’un CAC. A. Diop rappelle cependant que la réglementation dans certains secteurs fixe désormais la période de rotation d’un commissaire aux comptes à 6 ou 9 ans. 

Oligopole

«Il existe trois grandes catégories de cabinets d’expertise-comptable : les structures de grande taille qui sont membres de réseaux internationaux, celles de taille nationale sérieuses, très compétentes, et d’autres qui sont moins structurées», précise Diop. Aujourd’hui, au Maroc, ce sont justement quelques cabinets qui signent les banques. Et ce sont les cabinets membres de réseaux. Une situation d’oligopole qui s’explique par le fait que ces derniers disposent de l’artillerie lourde pour certifier les comptes des banques. Une puissance humaine et technique dont ne disposent pas les cabinets locaux. «Aujourd’hui, de manière naturelle, une banque marocaine ne peut pas être auditée par un cabinet ne disposant pas d’une technicité, des expertises et des outils spécifiques permettant d’analyser les sujets essentiels : règlementaires, normes internationales, système d’information, salles de marché, règlementation internationale (notamment avec le poids des filiales africaines), actuariat, ALM, ..», rappelle avec insistance A. Diop. Et d’ajouter : «Donc, si ces compétences ne sont pas rassemblées, l’audit ne peut être fait dans de bonnes conditions».

Idem pour les compagnies d’assurances. Si dans son équipe le CAC ne dispose pas d’actuaires et des outils nécessaires, il ne peut pas l’auditer dans de meilleures conditions et conformément aux normes exigées. Aujourd’hui, ces entreprises privilégient la qualité et l’expertise au prix de la prestation. Malheureusement, dans le secteur public marocain, l’approche est encore souvent au moins-disant pour les missions d’audit. Pourtant, les structures publiques présentent encore plus de risques puisqu’il s’agit de fonds publics. «Elles encourent des risques qui sont beaucoup plus grands et pourtant, le choix est fait sur du moins-disant. Aujourd’hui, sur des services de cette nature qui ont une portée importante, le choix du prestataire devrait privilégier l’expertise et donc le qualitatif», recommande A. Diop, tout en tirant la sonnette d’alarme sur les PME familiales (ou pas) qui emploient des effectifs importants et qui échappent à tout contrôle : si elles ferment, c’est toute l’économie d’une ville qui est menacée. 

S.E

 

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