Pour Houdaifa Ameziane, président de l'Université Abdelmalek Essaâdi de Tanger, l’université ne doit plus faire une gestion au quotidien de son offre de formation, mais elle doit se placer dans une démarche prospective en anticipant les besoins.
L’université est amenée à jouer un rôle important dans le processus de la régionalisation avancée en formant les élus aux métiers de la gestion locale et du management public.
Finances News Hebdo : «L’inadéquation entre l’offre et la demande» est un slogan que vous contestez. Quelle est la réalité de la formation dispensée aux étudiants universitaires aujourd’hui ?
Houdaifa Ameziane : Je ne dis pas que cette inadéquation n’existe pas, ce que je veux dire c’est que celle-ci quand elle existe, elle n’est pas forcément le résultat d’un quelconque dysfonctionnement au niveau de l’université, ou d’un manque d’ouverture sur le monde de l’entreprise et vice-versa. Autrement dit, je n’incrimine ni l’une ni l’autre.
La réalité, aujourd’hui, est que lorsqu’une entreprise s’installe, elle a besoin immédiatement de profils prêts à l’emploi. Or, l’université ne peut répondre favorablement à ses attentes dans l’immédiat. Pour ce faire, nous avons besoin d’au moins 3 à 5 ans pour former des jeunes avec des profils adéquats. C’est pourquoi, momentanément, notre offre peut se trouver inadaptée aux besoins immédiats des entreprises.
A mon avis, l’université ne doit plus faire une gestion au quotidien de son offre de formation, c’est-à-dire gérer les problèmes de la formation au jour le jour, mais elle doit se placer dans une démarche prospective en anticipant les besoins. Cela suppose, bien entendu, que nous ayons des outils et des moyens, qui permettent de prospecter le marché et de faire des projections à l’avenir. Il faut qu’il y ait au niveau de l’université des services de planification ou observatoires, qui s’occupent de ces études prospectives.
L’université doit s’inscrire dans une démarche de planification stratégique avec une vision claire de développement à court et moyen terme, comme c’est le cas du secteur industriel ou celui de l’énergie.
Toutefois, ceci n’est possible que si l’université travaille en parfaite collaboration avec le secteur industriel, qui va absorber les lauréats.
Il est absolument nécessaire que les deux parties travaillent d’un commun accord, de manière institutionnelle, en établissant des mécanismes afin d’identifier les besoins et les moyens à mettre en place pour répondre adéquatement à la demande.
Pour ce faire, il faut une implication claire du secteur industriel et des opérateurs économiques, de manière générale, dans la préparation des filières de formation pour les adapter aux besoins de professionnalisation, et pourquoi pas, une contribution financière aux budgets des universités comme c’est le cas dans plusieurs pays où les universités sont parrainées par le secteur industriel.
Cela permettra de rendre cette adéquation, la plus harmonieuse possible.
F.N.H. : La vision industrielle du Maroc est marquée par deux étapes : celle du Pacte national pour l'émergence industrielle (2009-2015) et celle du Plan d'accélération industrielle (2014-2020) en cours actuellement. Les prévisions en matière de formation sont-elles plus exhaustives dans ce dernier comparativement au Pacte émergence qui avait montré certaines limites en la matière ?
H. A. : Il faut dire que le premier plan était ambitieux et a permis au pays d’entrer pour, la première fois, dans cette culture de vision stratégique. Une vision, qui a permis de réaliser plusieurs choses sur le plan de la formation, notamment des 10.000 ingénieurs pour lesquels l’université marocaine a contribué de manière assez conséquente. Certes, il y a eu des lacunes et des dysfonctionnements, qui sont dus à cette réadaptation du système de l’université pour la préparation de profils, en vue de satisfaire les besoins immédiats des nouveaux métiers. Malgré certaines erreurs du Pacte émergence, nous avons pu rectifier le tir et perfectionner notre démarche et notre manière de travailler. Donc, au-delà des erreurs, le Maroc a acquis un certain professionnalisme, comparativement à nos voisins (Algérie ou Tunisie), qui sont encore dans la phase dubitative, celle de la mise en place d’une vision. Le PAI est donc un plan raisonnable. Nous avons des secteurs sur lesquels nous misons, qui sont déjà créés, mais qu’il va falloir développer pour atteindre les objectifs fixés, à savoir augmenter la valeur ajoutée du PIB de 9 points, créer 500.000 emplois à l’horizon 2020…
Des objectifs, certes jouables, mais dont la réussite peut être compromise par des facteurs exogènes du fait que nous vivons dans un monde globalisé et sujet à des perturbations et des crises. La vocation libérale que le Maroc a adoptée, l’expose, en effet, à un certain nombre de facteurs externes, qui ne sont pas sans conséquences. Raison pour laquelle, il faudra désormais intégrer les variables exogènes, qui sont des contraintes dans tout modèle de développement, de la manière la plus précise possible pour atténuer les chocs et atteindre les objectifs souhaités.
F.N.H. : Le Maroc a entamé un chantier important, celui de la régionalisation avancée. Quel rôle l’université sera-t-elle amenée à jouer ?
H. A. : Pour la première fois, nous allons assister à une mutation importante du modèle de gouvernance et de management public au Maroc. Nous passons donc d’un mode de gestion de la chose publique centralisé à un régime décentralisé avec plus d’autonomie pour les régions et plus de pouvoirs pour les élus. L’université, évidemment, ne peut rester indifférente à cette mutation.
En tout cas, en ce qui nous concerne à l’Université Adelmalek Essaâdi, nous avons été sollicités par la Région pour accompagner la réussite de cette régionalisation avancée. Cela passe par la formation des élus, entre autres, aux métiers de la gestion locale et du management public à travers un vaste programme de formation en partenariat avec d’autres opérateurs de la formation, qu’ils relèvent du public ou du privé.
Propos recueillis par L. Boumahrou