Avec une pression croissante sur les finances publiques et des ambitions sociales grandissantes, le Maroc ne peut plus compter uniquement sur le budget de l’État pour financer ses grands projets.
Par Désy. M
Le Royaume franchit une nouvelle étape dans sa stratégie de développement économique avec l’adoption d’une politique actionnariale ambitieuse. Publiée au Bulletin officiel, cette réforme vise à renforcer le rôle des entreprises publiques tout en réorientant l'investissement vers le secteur privé. Une transformation majeure qui s'inscrit dans les objectifs du Nouveau modèle de développement (NMD) et qui ambitionne de redéfinir le rôle de l’État en tant qu’actionnaire.
Hassan Edman, professeur universitaire d'économie et gestion à Agadir, précise que la nouvelle politique du Royaume s’articule autour de 15 axes, dont 7 fondamentaux à vocation économique, sociale, territoriale et institutionnelle. Parmi ces axes majeurs, 5 ont un impact économique direct : «Assurer la souveraineté nationale dans les secteurs stratégiques, favoriser l’intégration internationale et la coopération Sud-Sud, dynamiser l’investissement privé, encourager l’innovation et l’emploi productif et intégrer le développement durable et la résilience climatique». À ceux-ci, s’ajoutent des objectifs d’équité territoriale et de renforcement de la gouvernance publique. Plusieurs raisons stratégiques expliquent la nécessité de cette transformation.
Tout d’abord, l’amélioration de la gestion des ressources publiques en optimisant l’efficacité des établissements et entreprises publics (EEP) et en renforçant leur gouvernance. En effet, de nombreux établissements publics dépendent encore des subventions étatiques ou accumulent des déficits importants, ce qui pèse lourdement sur le budget public. Actuellement, les subventions aux EPP dépassent les 40 milliards de dirhams par an.
Un nouveau cap pour l’investissement
L’investissement au Maroc repose à 66% sur le secteur public, tandis que le privé ne représente qu’un tiers des flux financiers. Un déséquilibre qui, selon les experts, freine la dynamique de croissance et limite l’impact économique des investissements réalisés. Un expert évoluant au Centre de la prospection économique et sociale ayant requis l’anonymat souligne que le rendement de l’investissement public est aujourd’hui insuffisant : «Quand on investit un Dirham dans le secteur public, on obtient un retour d’un Dirham. Cette équation ne répond plus aux exigences du NMD, qui vise à transformer le Maroc en une économie émergente à l’horizon 2035», a-t-il affirmé.
L’objectif principal de la réforme est donc clair : inverser la tendance pour que l’investissement privé représente les deux tiers du total, tout en optimisant la rentabilité des entreprises publiques. De ce fait, cette initiative devient impérative, car elle permettra de «renforcer l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers, qui préfèrent des économies plus ouvertes avec un État moins interventionniste et un environnement des affaires plus assaini», explique le professeur Edman. De plus, cette transformation s’inscrit dans la volonté de moderniser le secteur public, de favoriser les partenariats public-privé et de s’aligner avec les objectifs de développement durable. Elle est donc essentielle pour rendre l’économie marocaine plus compétitive et inclusive, conformément aux ambitions du NMD.
Modus operandi
La réforme de la politique actionnariale ne relève pas d’un simple choix stratégique, mais bien d’une nécessité pour assurer la viabilité du modèle économique marocain. Pour Edman, sa faisabilité dépend de plusieurs facteurs, à la fois favorables et contraignants. Elle est renforcée par une volonté politique forte, soutenue par des objectifs stratégiques majeurs. Parmi eux, l’organisation de la Coupe du monde 2030 constitue un levier important, imposant au Maroc des exigences en matière d’infrastructures, de gouvernance et d’attractivité économique.
Cette ambition pousse à une modernisation accélérée des EEP, notamment dans les secteurs du transport, de l’énergie, des télécommunications et du tourisme. Le défi reste toutefois de taille: comment attirer davantage de capitaux privés sans compromettre les services publics essentiels ? La réponse repose sur une gouvernance rigoureuse, un cadre réglementaire modernisé, un suivi efficace et des incitations fiscales adaptées, soutient Hassan Edman. Le Maroc a déjà posé les premiers jalons avec la nouvelle Charte de l’investissement et la réforme du climat des affaires. Reste à voir si ces mesures permettront d’atteindre l’objectif clé : faire du secteur privé le moteur principal de la croissance et de la transformation économique du pays.