Industrie navale : un potentiel sous-exploité face à l'essor industriel

Industrie navale : un potentiel sous-exploité face à l'essor industriel

Alors que le secteur industriel affiche une croissance spectaculaire ces deux dernières décennies, l'industrie navale peine à suivre le rythme. Le rapport annuel du CESE souligne les freins à son développement et propose des pistes pour un redressement durable.

 

Par Désy M.

Au cours des 25 dernières années, le secteur industriel marocain a connu un essor remarquable. Ryad Mezzour, ministre de l'Industrie et du Commerce, a présenté, à l'occasion de la 2ème édition de la Journée nationale de l’industrie (16 octobre), des chiffres qui illustrent cette dynamique. Le nombre d'emplois a doublé, le nombre d'entreprises a triplé et le chiffre d'affaires du secteur a quadruplé, passant de 185 milliards de dirhams en 1999 à 800 milliards de DH en 2023. Les exportations, elles, ont explosé, enregistrant un bond de 61 milliards à 377 milliards de dirhams sur la même période. Ce dynamisme est porté par des secteurs phares comme l'automobile, l'aéronautique, les phosphates ou encore le textile.

Pourtant, un secteur reste en marge de cette croissance : l'industrie navale. Le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) met en lumière le potentiel de l'industrie navale, un secteur que le Maroc ambitionne de développer pour devenir un acteur majeur de l'économie bleue. Mais cette ambition ne se réalisera que si l'industrie navale se hisse au niveau de compétitivité requis, en intégrant un transfert de technologie et de savoir-faire pour réduire la dépendance aux chantiers navals étrangers, tant pour la réparation que pour l'acquisition de navires. Avec ses 3.500 km de côtes et une zone économique exclusive (ZEE) de 1,2 million de km², le Maroc dispose d'atouts naturels indéniables pour développer une industrie navale robuste. Le pays bénéficie également d'un réseau portuaire en pleine expansion, avec 43 ports, dont 14 ouverts au commerce extérieur, et des chantiers navals stratégiquement situés à TanTan, Agadir et Casablanca.

En outre, la compétitivité de la main-d'œuvre marocaine, renforcée par des synergies avec les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique, place le Royaume dans une position favorable pour faire décoller ce secteur. Malgré ces avantages, l'industrie navale marocaine peine à sortir de l'ombre. Ahmed Réda Chami, président du CESE et qui vient d’être nommé ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne, a souligné lors de la JNI que le secteur reste à un stade embryonnaire. Entre 2013 et 2022, il n'a généré qu'un chiffre d'affaires annuel de 500 millions de dirhams, concentré sur la réparation et la construction de petites embarcations, essentiellement des bateaux de pêche. Sa contribution à l'économie demeure modeste, représentant à peine 0,01% du PIB et 0,10% de la valeur ajoutée de l'industrie de transformation. Le secteur a créé seulement 700 emplois sur la dernière décennie, tandis que le nombre d'entreprises a chuté de 40 à 10, témoignant d'une régression préoccupante.

Selon le rapport du CESE, cette faiblesse résulte d'une intégration industrielle limitée et d'une forte dépendance aux importations, la majorité des intrants étant achetés à l'étranger. Entre 2002 et 2022, le Maroc a importé pour 14 milliards de dirhams de services maritimes, soit une moyenne de 660 millions de dirhams par an. À cela s'ajoute un déficit de 21,1 milliards de dirhams dans la balance des services de transport maritime, révélant une vulnérabilité notable face aux armateurs étrangers.

Des initiatives publiques encore timides

Pour relancer le secteur, les autorités marocaines ont lancé plusieurs initiatives, dont un plan directeur pour le développement des infrastructures portuaires à l'horizon 2030, et la signature en 2017 d’un contrat de performance pour l’industrie navale. Une banque de projets a également été mise en place pour encourager les investissements dans des segments clés comme la réparation navale et la construction de navires. Néanmoins, le CESE estime que ces mesures restent en deçà des attentes pour impulser un véritable décollage. «Les efforts se sont concentrés sur les infrastructures, mais la formation, la réglementation et l’attractivité pour les investisseurs ont été négligées», précise Chami.

L’absence d’une stratégie publique intégrée, les difficultés d'accès au foncier, un cadre juridique et fiscal inadapté, ainsi que le manque de compétences locales freinent le développement du secteur. La rareté des produits financiers adaptés aux projets industriels navals, tout comme la lourdeur des procédures administratives sont également soulignées dans le rapport. Pour surmonter ces obstacles, le CESE recommande la mise en place d’une stratégie nationale intégrée, inspirée des modèles internationaux réussis et axée sur une approche écosystémique. Parmi les mesures proposées, on trouve le renforcement des infrastructures portuaires, notamment à Agadir et Tan-Tan, la mise en concession du chantier naval de Casablanca, la coordination renforcée entre les acteurs du secteur et la création de programmes de formation spécialisés pour améliorer les compétences locales.

Le rapport suggère également de privilégier des segments accessibles comme la rénovation et la maintenance des navires, avant de s’aventurer vers des projets plus ambitieux de construction. Interpellé par ce rapport, Mustapha Farès, Directeur général de l'Agence nationale des ports, a réaffirmé lors de la 2ème édition de la JNI la volonté de dynamiser le secteur. «L’industrie navale a encore un long chemin à parcourir par rapport à l'aéronautique et à l'automobile. Nous avons beaucoup de milles nautiques à attraper. Grâce au rapport du CESE, nous allons, en collaboration avec les partenaires de l'industrie et le cluster du chantier naval, tracer une feuille de route pour asseoir au moins une cible et une trajectoire pour y arriver», a-t-il déclaré avec optimisme. Cette vision concertée pourraitelle enfin hisser l’industrie navale marocaine à la hauteur de son potentiel ? Le chemin est encore parsemé d'embûches, mais le Maroc semble déterminé à relever le défi de l’économie bleue.

 

 

 

 

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