Import-export : «La numérisation ouvre la voie à de nouveaux marchés de manière plus fluide»

Import-export : «La numérisation ouvre la voie à de nouveaux marchés de manière plus fluide»

Dans son récent rapport sur le suivi économique du Maroc, la Banque mondiale place la digitalisation des activités d'import-export comme un levier majeur de modernisation du commerce extérieur marocain. Celle-ci représente un indicateur prouvant la résilience de l’économie du Royaume et son ambition de se positionner sur les chaînes de valeurs mondiales, en élevant ses activités d’import-export aux standards internationaux. Entretien avec Ahmed El Maghribi, expert en commerce international et consultant en import-export.

 

Propos recueillis par Désy M.

Finances News Hebdo : Dans le rapport de suivi de la situation économique du Maroc publié récemment par la Banque mondiale, certains indicateurs ont montré la résilience de l’économie marocaine par rapport à certains pays à revenus intermédiaires. Parmi ces indicateurs satisfaisants, figure la digitalisation des activités d’importexport. Quel est l’apport de celle-ci et comment se déploie- t-elle ?

Ahmed El Maghribi : Comme mentionné dans la question, la performance de l’économie marocaine suscite un intérêt croissant de la part des institutions économiques internationales, notamment la Banque mondiale, en raison de la résilience dont elle fait preuve malgré un contexte national et international difficile. En effet, l’économie marocaine a été confrontée ces dernières années à une série de chocs majeurs, notamment la pandémie de Covid-19, les tensions géopolitiques internationales, les changements climatiques, ainsi que la hausse préoccupante de l’inflation, autant de facteurs ayant lourdement impacté l’activité économique. Cependant, les réformes structurelles engagées par l’État ainsi que la capacité du secteur privé à s’adapter ont largement contribué à la reprise économique et au retour progressif aux niveaux d’avantcrise, en particulier dans les secteurs des exportations, des services et du tourisme. Dans ce contexte, la digitalisation joue un rôle central dans la dynamique du commerce extérieur. Le chantier de numérisation des activités d’import-export a connu une avancée significative au cours des dernières années, ce qui s’est traduit par une augmentation du volume et du nombre des opérations commerciales, tout en renforçant la compétitivité des entreprises marocaines engagées à l’international. Il y a encore quelques années, les opérations d’importation ou d’exportation se faisaient de manière traditionnelle, impliquant plusieurs jours, voire semaines, pour l’obtention des autorisations nécessaires; la validation physique des documents par les autorités compétentes et des déplacements entre les administrations. La moindre erreur ou demande de modification documentaire entraînait des délais supplémentaires, augmentant les coûts de production, de transport et de stockage, au détriment de la réactivité des entreprises. Aujourd’hui, grâce à la mise en place de plateformes numériques telles que PortNet, qui est un guichet unique des procédures du commerce extérieur, et Badr (Base automatisée des douanes en réseau), il est désormais possible de déclarer électroniquement les opérations d’import-export; transmettre et suivre en ligne les documents liés aux marchandises; obtenir la validation administrative et échanger les observations, et effectuer des modifications sans déplacement ni attente. Cette transition numérique a permis une simplification des procédures, une réduction significative des délais et une maîtrise des coûts logistiques, contribuant ainsi de manière directe à la croissance du commerce extérieur marocain et à l’amélioration de l’environnement des affaires.

 

F.N.H. : Comment la digitalisation des procédures douanières et logistiques contribue-t-elle aujourd’hui à la fluidification des opérations d’import-export au Maroc, notamment dans les zones portuaires comme Tanger Med ? Et quelles sont concrètement les retombées de cette transformation numérique ?

A. E. M. : La transformation numérique constitue aujourd’hui un axe central de modernisation du commerce extérieur au Maroc. Elle vise à réduire les délais, améliorer la transparence, limiter les coûts logistiques et renforcer la compétitivité des opérateurs économiques. Tanger Med, en tant que hub portuaire majeur en Méditerranée et en Afrique, incarne pleinement cette dynamique. La digitalisation permet de remplacer les procédures papiers longues et complexes par des systèmes électroniques intégrés, réduisant ainsi les délais de traitement administratif; les files d’attente physiques (accès portuaire, douane) et les risques d’erreurs et de fraudes. En exemple : Tanger Med Port Community System (TMPCS) : c’est une plateforme collaborative qui connecte l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique portuaire (opérateurs portuaires, douane, transitaires, transporteurs, etc.). Elle permet une gestion intégrée et en temps réel des opérations : déclarations, notifications, suivis documentaires, traçabilité des marchandises. Paiement multicanal avec Fatourati : facilite le paiement digital des prestations portuaires (redevances, frais de passage, etc.). Cette option réduit considérablement les files d’attente et les manipulations administratives. Gate Access : système digital de gestion des entrées/sorties des camions selon des créneaux horaires planifiés. La plateforme permet une fluidité à l’entrée et sortie du port, réduction des temps d’attente, amélioration de la sécurité. Dématérialisation du passage portuaire  : Les unités fret à l’import/export n’ont plus besoin de présenter de documents papiers. Les formalités sont complètement numériques. Gestion électronique de la déclaration sommaire et du bon à délivrer  : Ces documents essentiels à la douane sont désormais remplis et traités en ligne, ce qui accélère les formalités et réduit les erreurs. Cela instaure un climat de confiance pour les investisseurs internationaux. Les retombées de cette digitalisation sont concrètes. D’abord, les délais de traitement portuaire ont été considérablement réduits, atteignant jusqu’à 60% de gain de temps sur certaines opérations. Cette efficacité nouvelle s’accompagne d’une simplification notable des démarches administratives: moins de papier, moins de files d’attente et un recours réduit à l’intervention humaine directe. Grâce au suivi en temps réel des opérations, tous les acteurs -douanes, logisticiens, opérateurs portuaires - bénéficient d’une meilleure coordination. La digitalisation renforce également la sécurité et la conformité, en limitant les erreurs humaines et les fraudes documentaires. Enfin, cette mutation technologique s’inscrit dans une logique durable : en dématérialisant les documents et en fluidifiant les mouvements de marchandises, elle contribue à la réduction de l’empreinte carbone du secteur. Ainsi, à Tanger Med comme ailleurs, la digitalisation ne se limite pas à une modernisation des outils, elle redéfinit profondément la dynamique du commerce international marocain.

 

F.N.H. : Quels freins persistent encore à une digitalisation complète de l’écosystème du commerce extérieur marocain, notamment pour les PME, et comment y remédier ?

A. E. M. : On peut identifier deux principaux obstacles à la numérisation complète du secteur du commerce extérieur au Maroc. Le premier obstacle est lié à la multiplicité des systèmes électroniques utilisés par les administrations et ministères. Certaines administrations ou institutions qui ont été habilitées à gérer et délivrer les autorisations relatives à l'importation ou à l'exportation de certains produits continuent d'utiliser des systèmes électroniques propres, indépendants du système PortNet. Cela peut s'expliquer par le fait qu'elles sont en phase de transition vers la numérisation ou que leur système est encore en phase d'expérimentation. Parfois, des préoccupations liées à la protection des données et aux défis de sécurité nécessitent l'indépendance des systèmes informatiques de ces administrations. Cette situation place les acteurs économiques devant une multitude de systèmes qu'ils doivent gérer simultanément pour finaliser les procédures d'importation ou d'exportation et obtenir les documents nécessaires. Le deuxième obstacle réside dans le facteur humain, en particulier chez les entreprises qui interagissent avec ces systèmes numériques. Si les jeunes générations sont généralement à l'aise avec les processus numériques, certains dirigeants d'entreprises plus âgés hésitent encore à s'engager directement dans la numérisation. Préférant souvent déléguer ces démarches à des déclarants en douane agréés, ces derniers choisissent cette option pour éviter d'éventuelles erreurs susceptibles d’entraîner des coûts supplémentaires. Dans ce contexte, il est essentiel de connecter les différentes administrations impliquées dans le commerce extérieur à un système numérique unique, tout en renforçant les campagnes de sensibilisation et de communication pour promouvoir la numérisation comme un moyen efficace d’accélérer le traitement des procédures, d'obtenir les autorisations et de faciliter la surveillance à distance des documents.

 

F.N.H. : À quel point la digitalisation peut-elle rendre le commerce extérieur marocain plus résilient face aux chocs externes, comme les tensions géopolitiques ou les perturbations logistiques mondiales ?

A. E. M. : La digitalisation joue un rôle essentiel pour renforcer la résilience du commerce extérieur marocain face aux chocs externes. Tout d'abord, la digitalisation contribue à accélérer les procédures et à réduire la dépendance aux processus traditionnels, permettant ainsi aux entreprises marocaines de s’adapter plus rapidement aux changements soudains des marchés mondiaux ou aux tensions géopolitiques. Par exemple, des plateformes numériques telles que PortNet permettent d’accélérer l’obtention des autorisations et facilitent le dédouanement, ce qui permet aux commerçants de réagir plus rapidement aux fluctuations de l’offre et de la demande. Deuxièmement, l'amélioration de la communication et de la coordination entre les différents acteurs de la chaîne logistique (ports, autorités douanières, importateurs, exportateurs) renforce la capacité de l’économie à réagir efficacement aux perturbations logistiques mondiales. En cas de crises ou de retards dans les expéditions, la numérisation permet un suivi en temps réel des cargaisons, facilitant ainsi la prise de décisions rapides et efficaces pour atténuer les impacts négatifs. Troisièmement, la numérisation offre un soutien stratégique au secteur privé pour suivre les évolutions mondiales, en améliorant la transparence, en réduisant la corruption et en renforçant la compétitivité, ce qui contribue à protéger les entreprises marocaines contre les crises mondiales. Enfin, la numérisation ouvre la voie à de nouveaux marchés de manière plus fluide, permettant ainsi au Maroc de diversifier ses exportations et de réduire sa vulnérabilité aux chocs externes. Grâce à l’automatisation des processus et à l’intégration des technologies numériques, les entreprises peuvent renforcer leur compétitivité même en période de crise mondiale. 

 

 

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