Intelligence artificielle : Amal El Fellah Seghrouchni lève le voile sur la loi «Digital X.0»

Intelligence artificielle : Amal El Fellah Seghrouchni lève le voile sur la loi «Digital X.0»

Invitée des «Nuits de la Finance», la ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration a détaillé les chantiers structurants qui doivent ancrer l’IA dans les usages au Maroc, avec une nouvelle loi-cadre («Digital X.0 ») centrée sur la gouvernance de la donnée, l’identité numérique et l’interopérabilité.

 

Par A. Hlimi

En ouverture, Amal El Fellah Seghrouchni situe l’IA là où elle compte : «nous devons être capables de rendre les systèmes proactifs, capables de surprendre utilement le client en allant au-delà de la simple extrapolation du passé». Le message s’adresse directement aux banques, assureurs, sociétés de crédit et marchés: la course mondiale vers une «finance intelligente» est engagée et impose d’aligner simultanément technologie, régulation, infrastructures et compétences.

Pivot du dispositif, la future loi «Digital X.0», concoctée par la ministre en poste depuis un an, se trouve au Secrétariat général du gouvernement (SGG) avant son prochain examen parlementaire. Elle énonce les principes de gouvernance des données et cadre l’usage des algorithmes, en articulation avec la loi 09-08 sur les données personnelles. Deux innovations se détachent :

• Identité numérique «à identifiants sectoriels» : au lieu d’exposer tout le «sac de données» d’un citoyen à chaque interaction, l’accès est borné à ce qui est strictement nécessaire par secteur (banque, santé, assurance…). Le banquier n’a pas, par principe, à connaître l’historique médical, de même que la CNSS n’a pas, par défaut, à connaître la totalité des revenus du citoyen. Cette granularité, dit la ministre, vise une protection effective par conception.

• Interopérabilité sous consentement traçable : fini le «au revoir, utilisateur» après un consentement initial flou.

L’architecture met en place des «demiconnexions» techniques : seules les données expressément autorisées circulent entre administrations et, demain, avec des acteurs privés dans des cadres précis. C’est un changement profond de paradigme, autant juridique que technique.

À ces deux blocs s’ajoute la cybersécurité, omniprésente. Tout doit être sécurisé. L’ambition n’est pas de «durcir» pour durcir, insiste la ministre, mais d’aligner des règles «accueillantes» aux usages tout en protégeant les citoyens, l’identité numérique et la confiance. L’interopérabilité publique (entre administrations) est le périmètre de la loi. Le privé (banques-assurances-fintech) doit, lui, s’auto-organiser sur des standards compatibles, avec à la clé des briques communes mises à disposition (signature électronique, identités sectorielles, services socles). Tout le monde reste astreint à la protection des données.

 

Cas d’usage : Du scoring à la détection de fraude, jusqu’aux «agents» proactifs
Sur le terrain, l’IA financière couvre aujourd’hui toute la chaîne. Elle va de la décision en temps réel - où la donnée alimente le conseil et des réponses instantanées - à la gestion du risque et de la conformité, avec le scoring de crédit, l’analyse de risque et la détection de fraude en vue 360° grâce à l’orchestration de multiples acteurs et sources. Côté relation client, elle fait passer les chatbots scriptés à de véritables agents intelligents (voix, interactions complexes) et à des modèles proactifs capables de proposer des solutions inédites mais pertinentes : l’exemple du «majordome digital», qui étend le service au-delà du produit bancaire (logement, crèche, etc.), préfigure ainsi la banque empathique. La ministre situe cette évolution sur une courbe de maturité qui mène du reporting descriptif à la prédiction, puis à la recommandation, avant la prescription.

 

Data centers, cloud souverain et GPU mutualisés

Outre la loi, le développement numérique dans le Royaume sera servi par un socle physique. Le Maroc avance sur des data centers de nouvelle génération (Dakhla, Ben Guérir, Rabat, et d’autres sites), avec un objectif de 70% d’énergies renouvelables pour le projet de Dakhla (500 MW); un phasage est prévu, rappelle la ministre, mais la trajectoire est claire : performance énergétique et souveraineté.

Parce que l’IA n’est pas un «plug-in», l’État investit aussi la R&D. La ministre revendique une approche frugale : plutôt que des modèles géants, privilégier des LLM réduits finement adaptés à des niches, avec des data sets de qualité, pour gagner en précision, coûts et sobriété. Dans ce registre, le partenariat noué récemment avec Mistral est stratégique : ouverture des modèles (open source), laboratoire R&D envisagé à Rabat ou Casablanca, et travail prioritaire sur le multilinguisme (arabe, amazighe, langues africaines).

À la clé, des modèles adaptés aux contextes linguistiques et sectoriels des acteurs financiers marocains et africains et un levier concret pour bâtir des avantages compétitifs, sans dépendance excessive à des boîtes noires. Le discours de la ministre ne masque pas les réalités locales : un niveau d’analphabétisme élevé, une littératie financière encore insuffisante (près de la moitié des usagers ne comprend pas les conditions de crédit/assurance), une hausse des fraudes numériques signalée depuis 2022, et le poids de l’économie informelle.

Autant de facteurs qui peuvent brider l’adoption, si les solutions restent pensées «pour» et non «avec» l’usager. D’où l’accent sur la simplification des procédures : la réforme administrative, outillée par l’IA, passe par la modélisation des parcours, l’identification automatique des redondances (ex. pièces demandées plusieurs fois) et la transformation des textes papier en données structurées exploitables. Le pays porte encore 80% d’informations sur papier dans de nombreux pans.

L’open data ne peut prospérer qu’en industrialisant la dématérialisation intelligente : OCR quand c’est possible, vision par ordinateur quand c’est manuscrit. L’État a lancé la dynamique, mais la ministre appelle clairement l’écosystème à contribuer et à saisir l’opportunité industrielle : il y a là un gisement d’emplois et de création de valeur pour des acteurs capables de numériser, nettoyer et gouverner la donnée. 

L’expérience «Jazari»

Pour faire atterrir l’innovation, le ministère met en réseau des instituts «Jazari» : lieux où chercheurs, startups, donneurs d’ordre et administration co-développent des solutions. Un Jazari Fintech figure au programme, avec des appels à manifestation d’intérêt et des consortiums mixtes (grands groupes, startups, académies).

L’idée est assumée : investir large (10 projets) pour réussir quelques paris (2 ou 3 qui sortent). Le capital humain suit : généralisation des formations IA dans les écoles d’ingénieurs, programme national 8-14 ans, 550 doctorats annoncés (dont la première cohorte déjà engagée en IA et cybersécurité) et un objectif 20.000 emplois dans le digital, au moins pour moitié orientés IA.

 

 

 

 

 

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