Consommation: les dessous d’une hausse des prix exponentielle

Consommation: les dessous d’une hausse des prix exponentielle

Les Marocains sont à bout de souffle. Depuis plusieurs mois, ils font face à une importante hausse des prix des produits de base, notamment les denrées alimentaires.

Les mesures mises en place par le gouvernement pour faire face à cette flambée des prix, à l’instar de l’aide octroyée aux transporteurs, sont jugées inefficaces pour préserver le pouvoir d’achat des consommateurs.

 

Par M. Ait Ouaanna

 

 

C’est le sujet de conversation numéro un : les temps sont durs, les dépenses quotidiennes augmentent de manière exponentielle ! Depuis plusieurs mois déjà, les pressions inflationnistes étranglent les ménages marocains. Selon les dernières statistiques du haut-commissariat au Plan, l’indice des prix à la consommation (IPC) moyen a progressé de 6,6% sur l’ensemble de l’année 2022 en comparaison avec l’année 2021.

Cette variation est la conséquence directe de la hausse de l’indice des produits alimentaires de 11,0% et de celui des produits non alimentaires de 3,9%. En ce début d’année 2023, la flambée des prix des produits de première nécessité a pris une tournure plus alarmante. Un tel niveau n'a jamais été atteint auparavant : le prix de la viande proposé par les boucheries oscille entre 100 et 120 dirhams le kilogramme. Les légumes ne sont pas non plus à l’abri de cette hausse vertigineuse. En guise d’illustration, au niveau des marchés de la région CasablancaSettat, les pommes de terre coûtent entre 7 et 8 DH/Kg, les oignons de 8 à 10 DH/Kg et les tomates entre 10 et 14 DH/Kg. Ces prix aussi élevés des denrées alimentaires représentent aujourd’hui un lourd fardeau pour les ménages, qui voient leurs dépenses augmenter substantiellement et leur pouvoir d'achat s'effriter. Une situation de plus en plus inquiétante, notamment à l’approche du mois du Ramadan.

«Nous ressentons cette hausse des prix, et plus particulièrement au niveau des produits de consommation, surtout les légumes, les fruits et les viandes dont les prix ont grimpé de manière spectaculaire. Il s’agit d’une vraie bataille pour les plus démunis qui n’arrivent pas aujourd’hui à joindre les deux bouts», se désole Ouadi Madih, président de la Fédération nationale des associations du consommateur (FNAC). Pour sa part, Bouazza Kherrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC), estime que le cas du Maroc est assez particulier, car bien que l'offre dépasse largement la demande, nous constatons une hausse inexplicable des prix à la consommation.

«D’habitude, en cas de crise, les prix augmentent face à une offre restreinte, mais le cas du Maroc est étonnant car quasiment tous les produits sont disponibles sur le marché. Macroéconomiquement parlant, il s’agit d’un bon signe. Ce qui est plutôt inquiétant, c’est l’indisponibilité. Le problème est qu’aujourd’hui la majorité de ces biens est inaccessible. Le consommateur voit bien devant lui tous les produits dont il a besoin, mais son pouvoir d’achat ne lui permet pas de les acquérir». En effet, l’accroissement des prix est lié à une combinaison de facteurs, parmi lesquels les effets de la pandémie du Covid19 et de la guerre en Ukraine, ainsi que la sécheresse. Du côté du gouvernement, l’une des raisons souvent citées pour expliquer cette situation est la hausse des tarifs du fret. Mais, maintenant qu’à l’international ces prix ont connu une baisse, les professionnels pointent du doigt un dysfonctionnement au niveau national.

«Pour justifier cette flambée des prix, le gouvernement présentait, au tout début de la crise, la hausse du prix du fret comme la cause majeure de cette situation. A ce momentlà, les conteneurs coûtaient entre 400 et 1.800 dollars. Mais actuellement, ce coût est inférieur à 400 dollars, et malgré cela, aucun effet n’a été observé sur les prix pratiqués au Maroc, ce qui signifie que le problème réside au niveau du marché national», souligne Bouazza Kherrati.

 

Les intermédiaires, la goutte d’eau qui fait déborder le vase

Les défenseurs des droits des consommateurs imputent cette hausse à la présence de nombreux intermédiaires dans le processus de distribution des marchandises, notamment les produits agricoles. En juin 2021, le Conseil de gouvernement avait adopté le projet de loi n°37.21 édictant des mesures spéciales relatives à la commercialisation directe des fruits et légumes dans le cadre de l’agrégation agricole. Celuici a pour objectif de raccourcir les circuits de vente en permettant aux agriculteurs disposant d’unités de conditionnement de commercialiser leurs produits sans l’obligation de passer par les marchés de gros. En revanche, l’introduction de cette loi s’est avérée insuffisante pour limiter les agissements des intermédiaires, qui menacent la stabilité des prix proposés sur le marché.

«Là où le bât blesse, c'est que le marché marocain, notamment celui des fruits et légumes, regorge d'intermédiaires et fonctionne avec un système de rente, une situation dont le ministère de l’Agriculture est bien conscient. Les circuits de distribution sont dominés par la rente, et c’est à ce niveau là que le gouvernement doit agir afin d'atténuer l’impact de ces intermédiaires sur la stabilité des prix de tous les produits et services. Et le symptôme pathognomonique de cette rente, c’est l’octroi, au niveau du marché de gros, d’une sorte de licence à des gens désignés par une instance inconnue et qui touchent des taxes alors qu’ils n’apportent aucune valeur ajoutée. Cela rend difficile la maîtrise des prix qui sont censés être libres en fonction de l’offre et la demande», déplore le président de la FMDC.

 

Monopole de la plateforme économique de Casablanca

Outre la présence de ces intermédiaires, Bouazza Kherrati attribue également cette flambée des prix au fait que Casablanca détient le monopole en matière de détermination des tarifs pour l’ensemble des régions du Royaume. «La fixation des prix dépend du marché et de la loi de l’offre et la demande. En revanche, les circuits de distribution doivent être connus; et ce que nous reprochons au gouvernement, c’est que c'est encore flou et que rien n’a été fait pour la maîtrise desdits circuits de distribution. Il reste donc beaucoup d’efforts à faire dans ce sens. Outre cela, nous observons un certain monopole de la plateforme économique de Casablanca  : c’est là où tous les prix sont fixés, ce qui n’est pas normal du moment où nous avons 12 régions et, par conséquent, chaque région doit avoir sa plateforme économique», insiste-t-il.

 

Un contrôle occasionnel

En vue de déceler toutes les formes de spéculation et pratiques qui nuisent au bon fonctionnement du marché, faussent les règles de concurrence loyale et, par conséquent, contribuent à cette hausse des prix, les commissions mixtes, provinciales et locales de contrôle des prix, de la concurrence et de la protection du consommateur, multiplient ces derniers jours leurs tournées dans les différents marchés et points de commerce du Royaume. Certes, ces campagnes de contrôle sont primordiales pour lutter contre les irrégularités pouvant porter atteinte à la sécurité sanitaire des citoyens et altérer leur pouvoir d’achat, en revanche, les militants des droits des consommateurs critiquent le fait que ces commissions ne serrent la vis qu’à l’approche du mois sacré. «Les opérations de contrôle ne sont effectuées qu’à l’approche du mois de Ramadan. Le citoyen ne consomme-t-il que pendant ce mois sacré  ? Qu'en est-il alors des 11 autres mois ? Pourquoi n'avons-nous pas des agents qui vont sérieusement contrôler les fraudeurs ? Pourquoi les contrôles ne se font-ils pas sur toute la chaîne de distribution, du marché de gros au consommateur ? Les intermédiaires existent depuis belle lurette, mais quelles mesures ont été prises pour essayer d’y mettre fin ? Il est indispensable de prendre des mesures draconiennes et strictes afin que le consommateur se sente protégé», martèle Ouadi Madih.

 

Des mesures jugées fébriles

Pour faire face à la cherté de la vie, le gouvernement a mis en place différentes mesures. S’exprimant au Parlement sur ce sujet, la ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah, a rappelé que l’exécutif a maintenu les subventions des matières premières, à savoir le gaz butane, le blé et le sucre, et a subventionné les prix de l'eau et l'électricité. Il a aussi mobilisé une aide directe pour les transporteurs et a suspendu la TVA à l'importation des bovins domestiques. Néanmoins, ces mesures sont considérées comme étant inefficaces étant donné que les prix continuent leur tendance haussière. A ce jour, 9 tranches de subvention ont été accordées aux professionnels du transport routier, soit plus de 4 milliards de dirhams. Le but de cette opération est de leur permettre de ne pas répercuter la flambée des prix des carburants sur les marchandises. Or, ce n’est pas le cas.

«L’impact de cette subvention accordée aux transporteurs n’a pas eu les résultats escomptés. Finalement, le consommateur ne gagne rien. Pire encore, certains transporteurs ont même augmenté leurs prix. Nous avons à plusieurs reprises fait part de cela auprès des préfectures, et on nous explique que ces gens augmentent leurs prix à cause de la conjoncture actuelle, alors que justement ils sont subventionnés pour ne pas le faire», déplore Ouadi Madih. Par ailleurs, il souligne que le gouvernement doit agir le plus rapidement possible afin d’éviter le scénario de 2018, où le Maroc a connu un large mouvement de boycott visant trois marques commerciales accusées de pratiquer des tarifs excessifs. «Les citoyens sont conscients de ce qui se passe; le gouvernement n’a rien fait pour eux. Nous avons demandé la mise en place de certaines mesures, mais cela n’a pas été pris en considération. Qu’attend le gouvernement pour agir ? Que le peuple marocain sorte dans les rues pour protester contre cette injustice ? Ou qu’on procède au boycott de certains produits ? Le gouvernement n’a rien retenu de la leçon de 2018. Le boycott est très dangereux pour l’économie d’un pays…», précise-t-il.

 

Réduction des taxes sur le carburant, «un must»

Pour faire face à cette flambée des prix, le président de la FNAC indique que l'exécutif doit, entre autres, procéder à la réduction de la taxe intérieure de consommation (TIC) et de la TVA sur le carburant. «Il faut sérieusement penser à réduire la TIC et la TVA sur le carburant. Aujourd’hui, nous vivons une situation catastrophique qui n'empêche pas le gouvernement de continuer de gagner beaucoup d'argent sur le dos des consommateurs grâce à la taxe sur le carburant. En termes de recettes, on parle de 18 milliards de dirhams rien que sur ce produit. En 2015, on avait dit qu’on va libéraliser le carburant et qu’en parallèle un fonds d’aide aux citoyens démunis sera mis en place. Effectivement, les prix du carburant ont augmenté, mais le fonds d’aide n’a jamais vu le jour», fait-il remarquer. De son côté, Bouazza Kherrati indique que si jamais le prix d'un produit donné devient excessivement cher, le gouvernement doit appliquer l’article 4 de la loi sur la liberté des prix et la concurrence, qui stipule que «des mesures temporaires contre des hausses ou des baisses excessives de prix, motivées par des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé, peuvent être prises par l’administration, après consultation du Conseil de la concurrence. La durée d’application de ces mesures ne peut excéder six mois prorogeable une seule fois par l’administration».

Enfin, ces défenseurs des droits du consommateur soulignent le rôle primordial du citoyen dans la lutte contre cette hausse des prix. «Si cette crise est là, c’est aussi pour remettre les pendules à l’heure. Gouvernement, fournisseurs et consommateurs doivent tous œuvrer pour maintenir la stabilité des prix. Le consommateur doit changer ses habitudes de consommation en évitant le gaspillage et en achetant uniquement ce dont il a besoin. C'est malheureux que des produits de première nécessité finissent au dépotoir», souligne Bouazza Kherrati. Dans cette même veine, Ouadi Madih relève que «le consommateur doit rationaliser sa consommation et savoir comment gérer ses achats. On ne peut pas, par exemple, acheter deux kilos de tomates pour ne consommer qu’un seul et jeter l’autre. En réduisant nos achats, cela peut contribuer à diminuer le prix, car lorsqu’un commerçant s’aperçoit en fin de journée qu’il n’a pas réussi à vendre une grande partie de sa marchandise, il sera obligé de baisser les prix, ce qui va permettre aux nécessiteux d’en acheter aussi», conclut-il. 

 

 

 

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