Sous l’angle économique, nombreux sont les ministres qui revendiquent le sacré courage politique du gou-vernement Benkirane, qui a ouvert des dossiers chauds réputés pour leur impopularité aux yeux de l’opi-nion publique. Mais, il en faudrait bien plus pour convaincre certains économistes qui jugent le bilan écono-mique de l’actuel gouvernement décevant. Lacunes du système fiscal, accroissement de la dette publique, manque de fiabilité des chiffres, taux de croissance annuel moyen atone… sont autant de reproches qui lui sont faits.
Il est clair que le foisonne-ment des espaces de débat portant sur le bilan du gou-vernement Benkirane à la veille des élections législatives, conforte quelque part la vitalité de la démocratie érigée en para-mètreclef par la Constitution de 2011. C’est dans ce contexte d’effervescence électorale que les professeurs de l’Universi-té Mohammed V de Rabat et leurs partenaires ont organisé récemment à Rabat un débat sous le thème : «Gouvernement Benkirane : Quel bilan ?». Le débat s’apparentait plus à une joute entre, d’un côté, Driss El Azami El Idrissi, ministre délégué chargé du Budget, et Mohamed Mobdi, ministre délégué chargé de la Fonction publique et de la Modernisation de l’administration, et de l’autre, les professeurs universitaires et économistes Abdelkader Berrada et Najib Akesbi.
Les chiffres, sources de polémique
Avant même d’entrer dans le vif du sujet, Abdelkader Berrada a déploré le manque de fiabi-lité des chiffres, vu les écarts parfois importants au niveau des prévisions et des réalisa-tions afférentes aux grands agrégats macroéconomiques (croissance, déficit budgé-taire, endettement public, etc.). Réponse du berger à la bergère, Driss El Azami a reconnu à moitié cette problématique, tout en se félicitant du fait qu’en termes de réalisations du PIB, par exemple, le gouvernement s’aligne généralement sur les chiffres émanant du haut-com-missariat au Plan (HCP). De ce fait, les écarts de chiffres concerneraient uniquement les prévisions, argument que rejette en bloc Abdelkader Berrada. Cela dit, étant dans leurs rôles respectifs, le ministre délégué au Budget et celui en charge de la Fonction publique ont défendu le bilan du gouverne-ment Benkirane qu’ils estiment satisfaisant. «Dénier le courage et la responsabilité politique de ce gouvernement, qui a ouvert certains dossiers délicats por-tant sur la retraite, la décom-pensation et la fiscalisation de l’agriculture, est un mauvais procès», martèle le patron du Budget, qui a tout de même reconnu l’accroissement de l’endettement public, qui n’est que la résultante de la politique économique, mais aussi fiscale. A en croire Najib Akesbi, la problématique de l’endettement public au Maroc est à relier à l’inefficacité et à l’iniquité du système fiscal. Malgré un taux de pression fiscale situé autour de 22% du PIB, on note que le taux de couverture des dépenses du Budget général de l’Etat (BGED) par les recettes fis-cales ne franchit guère la barre des 62%. Or, le «taux d’auto-suffisance fiscale», gage de souveraineté financière, serait de 80%. Devant cette situation, force est de constater que l’Etat est contraint de jouer la carte de l’endettement pour faire face à ses dépenses qui ont tout de même baissé en 2015. Najib Akesbi reste formel : «Malgré la tenue des Assises de la fiscalité en avril 2013 qui ont débouché sur 60 recommandations, le gouvernement a raté l’occasion de bâtir un système fiscal plus efficace et rentable». Cela dit, aux yeux du ministre délégué chargé du Budget, l’instauration de la télédéclaration et le butoir de TVA sont autant de preuves matérialisant l’action gouverne-mentale en matière d’efficacité et d’équité fiscale.
Une croissance en retrait
«Au cours des cinq dernières années, le taux de croissance annuel moyen était de 3,1% du PIB contrairement aux années 2007 et 2008, période au cours de laquelle celui-ci était de 4,3% du PIB», déplore Berrada, qui rap-pelle le contexte international favorable du mandat du gouvernement (baisse des cours du baril de pétrole). L’universitaire affirme, par ailleurs, que le taux de croissance potentiel du pays se situe autour de 9% du PIB. Le faible taux de croissance annuel moyen enregistré au cours des cinq dernières années serait la résultante d’une politique monétaire accommodante, du comportement rentier du patronat et d’une carence de patrio-tisme économique. «Sur le terrain éco-nomique, nous avons l’impression d’avoir affaire davantage à un Etat pompier que stratège», clame Abdelkader Berrada, qui situe le déficit budgétaire à 4,9% du PIB en 2015 contre 4,3% d’après les chiffres officiels. Celui-ci n’a pas manqué de sou-ligner que le taux de croissance annuel moyen enregistré au cours des cinq dernières années (3,1% du PIB) a été l’un des plus faibles depuis les années 60.
Là où le bât blesse
Certains intervenants issus de l’auditoire partagent l’idée selon laquelle le gouver-nement Benkirane n’est pas parvenu à inverser la vapeur sur bon nombre de points. En clair, ils estiment que la crois-sance continue d’être peu pourvoyeuse d’emplois. Même son de cloche pour l’investissement public, qui aurait peu d’incidence sur la création de richesse et l’amélioration de la valeur ajoutée. «La question de la corrélation entre crois-sance et emploi se pose toujours. Du reste, l’investissement public est peu productif et a peu d’impact sur la crois-sance puisqu’il concerne davantage les infrastructures de base (santé, éduca-tion, routes, etc.)», rétorque le patron du Budget, pour qui les investissements publics massifs dans les différentes stra-tégies sectorielles ont considérablement modifié la donne économique du pays. Au sujet de la réforme des retraites, notam-ment la Caisse marocaine de retraite (CMR), qui va enregistrer un déficit de 6 Mds de DH en 2016, certains inter-venants ont reproché au gouvernement de différer le problème en procédant à la réforme paramétrique au lieu d’opérer directement une réforme systémique. Par ailleurs, de l’avis de certains écono-mistes, il subsisterait certaines zones de risque, pour ne citer que l’augmentation de la dette des établissements et entre-prises publics et la chute des recettes non fiscales issues entre autres des monopoles et des participations de l’Etat. «Il est assez paradoxal de constater que la baisse des dépenses de fonctionne-ment du Budget général de l’Etat depuis 2013 ne s’est pas accompagnée d’une hausse des dépenses d’investissement», s’inquiète Abdelkader Berrada.
M. Diao
La transparence, un marqueur fort du gouvernement
Même si Najib Akesbi regrette la reculade du gouvernement sur le dossier de la pénalisation de la fraude fiscale, Driss El Azami a défendu l’exemplarité de son camp en matière de transparence et de lutte contre la corruption, en relevant que les ministres du cabinet de Benkirane sont tenus de soumettre à nouveau à la Cour des comptes l’étendue de leur patrimoine à la fin du mandat du gouvernement. Dans le même ordre d’idées, il convient de rappeler qu’une stratégie nationale de lutte contre la corruption a été lancée en mai 2016 par le Chef de gouvernement. Cela dit, Mohamed Mobdi, ministre délégué chargé de la Fonction publique et de la Modernisation de l’administration, a pour sa part, justifié l’instauration des contrats à durée déterminée (CDD) dans l’administration publique par la rationalisation des dépenses publiques et l’efficacité et la productivité du secteur public qui garantissait jusque-là le fonctionnariat à vie.
«Un gouvernement pro-patronat» ?
Sur un ton ironique qui n’a pas laissé l’auditoire indifférent, Najib Akesbi a affirmé que le patronat marocain n’est pas assez reconnaissant envers le gouvernement qui a répondu favorablement presque à toutes ses doléances fiscales. Pour preuve, il rappelle qu’à l’issue des Assises de la fisca-lité de Skhirate, les recommandations de la Commission compétitivité ont été retenues par le gouver-nement et qu’aucune suggestion émanant de la Commission éthique n’a été appliquée. Pour rappel, la première commission était entre autres chargée de faire des propositions allant dans le sens de la baisse de la pression fiscale et d’accroître la visibilité fiscale des opérateurs économiques. Tandis que la deuxième commission avait pour tâche de se pencher sur la fiscalisation du capital non pro-ductif et l’agriculture, tout en faisant des recommandations pour rétablir l’équité fiscale entre le capi-tal et le travail. A en croire Akesbi, l’iniquité du système fiscal actuel se traduit entre autres, par le fait qu’à revenu égal, les taux d’imposition diffèrent en fonction de la profession (agriculteur, profession libérale, salarié, etc.). En revanche, pour Driss El Azami, l’introduction du butoir TVA, et la suppres-sion de la règle de décalage d’un mois pour la récupération de la TVA sont autant d’éléments militant en faveur de l’équité fiscale. «Il était temps que l’Etat cesse de profiter des entreprises», clame-t-il.