Fragmentation d'Internet : quand les régulations divisent le réseau

Fragmentation d'Internet : quand les régulations divisent le réseau

Internet, initialement conçu comme un réseau ouvert et mondial, est aujourd'hui menacé par des régulations nationales et régionales qui le fragmentent en plusieurs «îlots» numériques.

 

Par K. A.

Ces régulations, souvent motivées par des préoccupations liées à la protection des données personnelles, à la sécurité ou à la souveraineté numérique, ont pour conséquence de restreindre l'accès à certains services et de créer des expériences d'Internet très différentes selon les pays. L'un des exemples les plus marquants de cette fragmentation est l'Union européenne, avec son Digital Services Act (DSA), adopté en novembre 2022.

Ce texte législatif vise à renforcer la responsabilité des plateformes numériques concernant le contenu qu'elles hébergent et les données personnelles qu'elles collectent. Le DSA impose aux grandes entreprises de respecter des règles strictes, sous peine d'amendes pouvant atteindre 6% de leur chiffre d'affaires mondial. Cela concerne environ 10.000 plateformes numériques, dont des géants comme Google, Facebook et Twitter, qui doivent se conformer à des obligations spécifiques en matière de modération des contenus et de transparence des algorithmes. En Asie, la Chine a pris une approche encore plus radicale en créant ce que l'on appelle le «Grand Firewall».

Ce système de censure et de contrôle d'Internet bloque l'accès à de nombreux services occidentaux tels que Google, Facebook, YouTube et Twitter. Plus de 10.000 sites web sont ainsi inaccessibles en Chine où les internautes utilisent des alternatives locales, fortement surveillées par le gouvernement. Avec plus de 900 millions d'internautes, la Chine constitue un marché immense, mais totalement isolé du reste du monde numérique.

En 2021, le gouvernement chinois a durci les restrictions à l'encontre des géants du numérique, forçant les entreprises étrangères à suivre des règles strictes concernant la censure et la protection des données. Jack Ma, fondateur d’Alibaba, avait mis en garde lors d’un discours : «Nous devons réfléchir aux conséquences à long terme de la fragmentation d’Internet, qui pourrait nuire à l'innovation et à l'accès égalitaire à l'information».

Avec plus de 700 millions d'internautes, l’Inde a adopté une législation imposant aux plateformes comme WhatsApp et Twitter de se conformer à des règles strictes en matière de modération des contenus et de transparence. En 2021, l’Inde a également bloqué plus de 60 applications chinoises, accusées de menacer la sécurité nationale. En effet, les régulations qui fragmentent Internet ne concernent pas seulement les utilisateurs, elles imposent également des défis majeurs aux grandes entreprises technologiques. Les plateformes comme Facebook, Google, et Amazon doivent désormais s'adapter à des régulations différentes selon les régions du monde. Ces entreprises sont confrontées à un véritable casse-tête : offrir une expérience utilisateur cohérente, tout en se conformant à des lois souvent contradictoires. Les géants du web sont également confrontés à une prolifération de régulations nationales qui compliquent leur expansion dans certains marchés.

En Afrique, bien que les régulations soient moins strictes qu'en Europe ou en Asie, plusieurs pays commencent à adopter des lois inspirées du RGPD (Règlement général sur la protection des données) pour protéger les données des utilisateurs. Toutefois, seulement 28% des pays africains disposent actuellement d'une législation complète sur la protection des données, rendant difficile l'harmonisation numérique à travers le continent.

Les répercussions pour les utilisateurs

Pour les utilisateurs, la fragmentation d'Internet se traduit par des expériences numériques inégales d'un pays à l'autre. Un internaute chinois n'aura pas accès aux mêmes services qu'un internaute américain ou européen. Par exemple, alors que les Européens peuvent utiliser des plateformes comme Facebook et YouTube en toute liberté, les internautes chinois sont limités à des alternatives locales, fortement censurées, comme WeChat ou Baidu. Cette fragmentation pose également des problèmes de sécurité et de confidentialité. Les régulations strictes en Europe obligent les entreprises à protéger les données des utilisateurs et à se conformer à des règles de transparence, tandis que dans d'autres régions, les utilisateurs peuvent être plus exposés aux cyberattaques ou à la surveillance gouvernementale.

Le Maroc, bien que moins touché par la fragmentation d'Internet que d'autres pays, n'est pas totalement à l'écart de cette dynamique mondiale. Le pays a adopté une loi sur la protection des données personnelles en 2009, et de plus en plus d'entreprises technologiques locales et étrangères se conforment à cette législation. Toutefois, le Royaume se situe à la croisée des chemins entre les régulations européennes et un environnement plus ouvert, similaire à celui des États-Unis. Les entreprises marocaines, en particulier les startups et les PME, doivent naviguer entre ces deux mondes pour offrir des services compétitifs tout en respectant les règles internationales. 

 

 

 

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